retrouvez ICI un extrait de la conférence
Rappel du cours précédent
La notion de devoir
Chez Kant la notion de devoir est très profonde dans la mesure où elle touche le sérieux même de l’existence. Dans le cours précédent, nous sommes sortis de la notion de droit et de devoir, du devoir sans droit et du droit sans devoir pour parler du droit au delà du devoir et du devoir au-delà du droit. Ceci est un peu déconcertant parce que nous vivons dans un monde qui fait reposer la rationalité sociale et politique sur la notion de droit et de devoir. On se dit que si on respectait déjà les droits et les devoirs, ce serait pas mal. Malheureusement, c’est parce qu’on formule les choses ainsi qu’elles ne sont pas si bien que cela.
Le contrat
Nous avons également remis en question la question de contrat qui derrière une apparence de rationalité est finalement une notion extrêmement violente car passer un contrat, c’est une manière de préserver son égoïsme. Il y a deux manières d’être égoïste et violent dans la vie, on peut l’être directement ou établir un contrat qui est une manière civilisée d’être égoïste et de donner une apparence de rationalité à notre monde. Il y a là une forme d’illusion, ce qui amène la notion de Contrat Social ainsi que celle des droits et des devoirs dont on parle ordinairement et qui sont, soit des droits sans devoir, soit des devoirs sans droit. C’est toute l’ambiguïté des Droits de l’Homme qui sont des droits sans devoir et c’est l’exigence des minorités qui, quand elles se libèrent, exigent des devoirs sans droits. L’homme réclame des droits et exige des devoirs et nous sommes dans la confusion la plus complète.
Le devoir au delà du droit
Les choses prennent une autre tournure quant on va dans le début du respect et du sérieux sous la forme du droit à l’existence que les stoïciens on trouvé, mais surtout dans la notion de devoir au delà du droit, c’est-à-dire du sérieux fondamental. Notre devoir dans l’existence, c’est d’avoir le sens du devoir, c’est-à-dire avoir le sens du sérieux et poser à la racine de la vie, la loi et l’exigence du sérieux. La « Loi » profonde, c’est la loi du sens, la symbolique de la loi dans laquelle on ne peut pas faire n’importe quoi avec l’existence. Il y a la règle de la pensée, de la conscience et de ce qui est vécu de tout son être, la loi du sérieux fondamental. Nous n’avons qu’un devoir, et c’est le devoir à l’égard de la Pensée.
Avec les enfants, on peut parler du sérieux, et pas simplement des droits et des devoirs au sens citoyen des termes, même si, bien entendu, c’est important d’enseigner à des enfants qu’il y a un certains nombre de règles à respecter. Cependant, on leur fera d’autant mieux respecter ces règles en leur enseignant le sens du sérieux. Et le sens du sérieux, rien ne l’enseigne mieux que la Beauté, c’est dans la Beauté qu’on découvre le sérieux de l’existence, c’est pour cela qu’il n’y a pas plus rationnel que la Beauté. Lorsque quelque chose est beau, je le respecte, et j’ai d’autant plus envie de le respecter et de ne pas lui faire de mal, qu’il est beau. Quelque part, la Beauté est ce qui enseigne le mieux le sérieux de l’existence. C’est lorsqu’on a le sens de la Beauté que, véritablement, on prend conscience de notre devoir et du désir d’introduire un sérieux fondamental dans l’existence. Si je suis dans la Beauté, je fais les choses le plus sérieusement du monde et quand je fais les choses le plus sérieusement du monde, je suis dans la Beauté.
La contemplation
La Raison est Beauté et la Beauté est Raison, Dieu enseigne la relation entre la Beauté et le sérieux. C’est notre monde qui a séparé la Beauté de la raison parce que notre vision du monde, depuis le 16ème siècle est uniquement déterminée par le pouvoir, ce qui nous intéresse, ce n’est pas la vie, c’est le pouvoir sur la vie, ce n’est pas le sérieux de la vie, c’est l’efficacité et la maitrise du pouvoir que nous pouvons générer sur la vie, ce qui nous fait passer complètement à côté de l’existence. Nous avons une vision utilitaire de la vie et nous n’en n’avons plus une vision contemplative. Les anciens faisaient de la contemplation, l’essence de la sagesse et la contemplation c’était tout simplement cultiver le regard divin sur l’existence. Avoir conscience qu’à la source de toutes choses se trouve une lumière ineffable qui donne à chaque chose son éclat. En étant dans la contemplation, je vis dans la communion, et je n’ai besoin de rien d’autre. Je me nourris de la contemplation, je bois la contemplation et je n’ai même plus besoin de dormir car celle-ci me repose totalement. Cette vision des choses qui est, au départ, expérimentée par les païens va être christianisée et développée davantage pour donner tout son sens à la Vie véritable. En ce sens, nous comprenons ce que signifie la Morale évangélique, cette Morale au-delà de la morale qui nous amène dans le sérieux fondamental de l’existence.
Malheureusement, le devoir a été enseigné d’une manière extrêmement culpabilisante, Il fallait faire notre devoir, sous-entendu pour dominer le mal qui est en nous, et on se définissait non pas par rapport à la beauté, mais par rapport au mal. Il fallait faire son devoir et obéir parce qu’il fallait luter contre l’être désobéissant qui se trouve en nous et le devoir était pensé sur le mode d’un combat très culpabilisant. Ce qui fait, qu’à un moment, nous sommes arrivés au paradoxe d’un monde qui refuse le devoir parce qu’il est ressentis comme étant une répression à l’égard des désirs humains.
La Beauté sauvera la monde
Or, ce n’est pas du tout cela, le véritable devoir, c’est l’exigence du sérieux fondamental qui nous appelle à tout vivre avec le plus grand sérieux et avec la Beauté. Dostoïevski disait que la Beauté sauvera le monde. La Beauté crée le monde et elle le sauve, tout vient de la Beauté. Aristote dit que la nature a tout fait avec beauté, et en chaque chose se trouve l’étincelle divine donnant à chacune sa spécificité qui lui permet d’exister. Nous avons affaire là à une vision magnifique et c’est dans cette vision des choses qu’il faut comprendre la destinée de l’homme. Lorsque nous comprenons ce qu’est la Beauté et le sérieux, quelque chose jaillis en nous et dit : « C’est cela que je veux vivre et c’est là que se trouve l’existence », alors par un libre mouvement de notre liberté, nous rencontrons notre destinée et il n’y a pas d’opposition entre le destin et la liberté. Berdiaev qui est un homme de la liberté a écrit un ouvrage qui s’appelle : « De la destination de l’homme » où il met en relation la liberté et la destination de l’homme parce que derrière sa vision des choses, il y a une expérience de la Beauté.
L’expérience de la Beauté, c’est ce qui se passe quand, rencontrant quelque chose qui est beau et qui me subjugue, je désire obéir à cette beauté en me sentant totalement libre. Je vois le beau, je me dis que c’est ça que je veux vivre, et je comprends que je suis libre parce que je suis libéré d’une vie qui n’est pas belle, d’une vie qui ne me rend pas libre. Mais ce n’est pas moi qui impose ma liberté, c’est la Beauté extérieure qui révèle ma liberté intérieure et je veux rentrer dans cette beauté parce que je sens que plus je vais vivre cette beauté, plus je vais être libre intérieurement. La Beauté sauvera le monde parce que la Beauté est la seule manière de parler de la vie morale, de la vie spirituelle et de la vie divine en respectant la liberté de l’homme. Le drame de la morale et de la religion c’est d’avoir voulu parler de Dieu, de morale et de religion sans beauté, sous la forme d’un devoir contraignant qui ne rend pas libre et qui est uniquement défini comme une guerre contre le mal.
Le Sens
Il y a là quelque chose de tout à fait profond à propos du devoir et de la liberté que donne celui-ci. C’est Kant qui le comprend en donnant à la notion de devoir une dimension métaphysique. Je me sens appelé par la raison fondamentale, la loi morale, l’exigence du sérieux et cette exigence me libère et plus j’obéis à cette exigence de sérieux, plus je me libère. Kant n’a pas vu la relation qu’il pouvait y avoir entre le devoir et la Beauté, il a maintenu une différence entre le Beau et le Vrai, il n’est pas allé là où Dostoïevski et les Pères du désert sont allés. Il y a là quelque chose de magnifique qui permet de comprendre la notion du sens. Quand je fais l’expérience de la Beauté à travers l’appel fondamental qui m’emmène dans le sérieux fondamental, ma vie a du sens, elle me dit quelque chose, elle me donne à vivre quelque chose, elle donne de la valeur. Il y a quatre caractères du sens : La direction, la signification, l’intuition et la valeur. Je me laisse inspirer par la Beauté, ma vie a un Sens, je sais où je vais, elle me parle et je comprends ce qu’elle signifie, je commence à avoir l’intuition du sens créatif de la vie et elle me livre l’expérience de la valeur.
Notre vie peut avoir un sens banal, c’est le sens que l’on voit tous les jours, il est double. D’un côté c’est le bon sens qui fait que je m’insère dans la société et que je fais des choses utiles pour la vie sociale, cela a du sens, j’ai une utilité sociale. D’autre part, il y a une utilité individuelle, je fais des choses bonnes pour moi et je dis que la vie a du sens. Mais en fait, fondamentalement la vie n’en n’a pas parce qu’on s’aperçoit à la première épreuve, que ce qui nous fait vivre, ce n’est pas du tout l’utilité sociale ou individuelle, ce qui nous fait vivre, c’est une raison d’être fondamentale et c’est la raison intrinsèque de la vie, c’est-à-dire la Beauté même de l’existence. Nous ne vivons pas parce que c’est utile ni parce que c’est bon pour nous, nous vivons parce qu’il est beau de vivre et c’est parce qu’il est intrinsèquement beau de vivre que nous avons la force de traverser le monde malgré les difficultés que traverse la société ou bien de faire face aux épreuves de la vie quand celle-ci n’est pas toujours bonne pour nous. S’il n’y avait pas en nous, quelque chose d’ineffable de l’ordre de la gloire et de la lumière de la vie, nous n’aurions pas la force de vivre.
La vie a du Sens quand on fait l’expérience de la Beauté, c’est ce qui se passe quand il y a quelque chose qui est plus qu’utile et qui est plus que bon. Il y a des moments où l’humanité est belle, ou la vie sociale est belle et j’ai un bonheur infini de vivre l’aventure humaine, là la vie a du Sens parce que je suis ébloui et subjugué. Si je fais simplement des choses utiles à l’intérieur de la société sans qu’il y ait ce moment de beauté, il va manquer quelque chose. Même chose si je fais des choses bonnes et utiles pour moi sans qu’il y ait quelque chose qui m’enlève, à un moment, la vie n’a plus de Sens. La vie a du Sens parce que je suis enlevé, ravi, emporté au ciel, transcendé par quelque chose.
L’Eschatologie
Cela nous permet de comprendre la question de l’eschatologie qui est la façon d’envisager le sens par les Pères de l’Eglise. Ce terme signifie : « Les fins ultimes ».On ne comprend rien à la question du sens de la vie si on reste à sa superficie en s’intéressant à la direction, à la signification, à l’intuition et à la valeur. Il faut donner à la question du sens sa vision eschatologique, comme l’ont fait les Pères de l’Eglise qui nous amènent au sens du sens qui est plus que le sens. Là nous retrouvons quelque chose qui a déjà été développé avec Denis l’Aréopagite et qui est le sens christique de l’existence, le Christ nous emmenant dans la plénitude.
A la base de la vision chrétienne de la vie, il y a le principe d’éminence et derrière lui, le principe de débordement de vie, de vie à foison. La Bonne Nouvelle est là ! L’Evangile vient nous apporter la Vie par rapport à la mort et la Vie déborde de vie. C’est ce qui fait que la vie est la Vie, quand la vie ne déborde pas de vie elle est la mort, et passer de la mort à la vie, c’est passer d’une vie médiocre et stérile à une vie qui déborde.
Nous avons des problèmes de sens dans notre monde parce que nous avons perdu ce sens débordant de l’existence et que nous avons une vision étriquée du sens de la vie. L’eschatologie, c’est la théorie du sens qui pousse le sens jusque dans le sens ultime qui est le sens final, le sens absolu, le sens qui répond véritablement à la question du sens et ce n’est pas un sens utile socialement ou personnellement.
Le sens ultime, c’est ce qui nous emmène au bout du bout, dans l’extraordinaire. Si le sens n’est pas quelque chose d’extraordinaire, il n’a pas de sens. Si la vie n’est pas quelque chose d’extraordinaire, il n’y a pas de vie, si Dieu n’est pas extraordinaire, il ‘y a pas de Dieu, si la religion n’est pas extraordinaire, il n’y a pas de religion. On ne vit correctement que dans la gloire, gloire de Dieu, gloire de la vie religieuse, gloire de la vie et gloire du sens. Ce qui est génial dans la théorie chrétienne de l’existence, c’est le sens glorieux de l’existence, c’est le fait de dire que tous les problèmes que l’on a à propos du sens et à propos de la vie sont liés à cette absence de sens glorieux.
La gloire, c’est le rayonnement infini du royaume et de la royauté, on l’oublie, mais la théorie chrétienne de l’existence est une théorie du royaume qui vise à libérer la royauté de l’homme qui est de vivre dans la gloire en faisant rayonner l’existence et en rayonnant de vie. Cette vie est possible, on la voit dans le visage des saints, dans les icônes et on la pressent dans l’expérience de la liturgie et de la divine communion. Il nous est arrivé dans l’existence, ou bien de rayonner nous même ou bien de voir ou de sentir un rayonnement autour de nous. Là, nous sommes dans l’existence, dans quelque chose qui a du sens, nous sommes dans la plénitude. L’eschatologie, c’est la vie pleinement vécue, la vie épanouie dans la Beauté. Ceci est important parce que là nous avons une clef pour dénouer le problème de notre temps et de notre culture.
La crise de l’occident
Il y a une crise terrible dans la culture occidentale à propos de la question du sens et à propos de la vie. C’est Nietzsche qui se rend compte de cette crise quand au début de « La volonté de puissance », il explique qu’il y a un problème terrible qui est en train de s’emparer du monde occidental et qui est celui de la « maladie de la vie », les êtres humains dans la culture occidentale, sont malheureux, ils ont tout pour être heureux et ils ne le sont pas. Il y a quelque chose qui n’est pas heureux dans la modernité. En 1850, on voit apparaitre un mouvement philosophique tout à fait singulier qui s’appelle le nihilisme et qui est devenu la philosophie officielle du monde occidental. C’est une philosophie de l’incroyance, avec l’idée que ne pas croire est ce qui libère l’homme.
Ne pas croire amène le doute et, comme le dit Nietzsche, le soupir de la créature qui pose la question : « A quoi bon ? » et qui vit dans un monde où les valeurs se déprécient. Il y a une crise des valeurs parce que les occidentaux « n’y croient plus », ils n’ont plus la joie, l’enthousiasme, la passion. C’est normal, car on leur explique qu’il était très dangereux de croire et si on croyait, on allait être aveuglé par le fanatisme. Aussi s’ingénient-ils à ne pas croire et donnent-ils à cette incroyance la forme politique de la laïcité qui, actuellement n’est pas simplement la séparation de l’Eglise et de l’Etat mais qui est la séparation de la société et de toutes religions et croyances, en disant que la croyance doit demeurer une affaire privée. Le problème, c’est que quand vous supprimez la croyance religieuse, vous supprimez la croyance tout court, or, il s’avère que la croyance, c’est le lien avec l’existence. Si on n’y croit pas, rien n’est possible. Donc, nous avons affaire à un énorme problème qui est la crise au sein du croire, cette crise entraine le problème de la vie et du sens de la vie dans laquelle nous évoluons. Notre culture est enfermée dans deux modèles contradictoires et inséparables : Le modèle du sens lui-même et le modèle du non sens.
Le modèle du sens
Le modèle du sens, c’est le modèle du plan, on pose le sens comme un plan. Le plan, c’est une représentation jugée bonne qui sert de modèle et on juge les choses par rapport à ce modèle, tout ce qui s’en rapproche est bon et a du sens et tout ce qui s’en éloigne est mauvais et doit être rejeté. Cette vision du sens a organisé une certaine vision religieuse, elle a organisé une vision non religieuse et elle organise mentalement notre vision du monde, qu’elle soit religieuse ou non. On se donne un idéal, un modèle, et à partir de là, on mesure et on juge le monde. Cela donne quelque chose qui est totalement dépourvu de pensée mais qui a une certaine efficacité sociale dans la mesure où cela favorise la confiance. Un amie m’a raconté que quand elle était petite, sa grand-mère a pris une feuille de papier où elle a tracé une diagonale puis, tout ce qui montait était des petits anges et tout ce qui descendait étai t des petits diables et elle l’a représentée au milieu en lui disant : « voilà ma petite fille, si tu es gentille tu ira au paradis et si tu n’est pas gentille tu ira en enfer. Pour elle, le sens de la vie, c’était ça, il fallait être conforme par rapport à un idéal.
Cette vision des choses débouche sur un conformisme total à l’égard de la vie religieuse qui fait qu’on ne sait plus de quoi on parle et on ne comprend plus rien à la chose religieuse, on se contente d’obéir d’une manière totalement servile et cela peut déboucher sur la pire des façons de se comporter socialement, à savoir, la surveillance des autres pour voir s’ils sont dans le bon sens et la dénonciation de ceux qui ne le sont pas. Pendant un certain temps, en occident, c’est ainsi que le religieux a été pensé, comme un modèle auquel il fallait se conformer, avec une police ecclésiastique, idéologique et morale qui surveillait ceux qui allaient dans le bon sens et qui réprimait ceux qui allaient dans le mauvais sens. Ce qui est frappant c’est que des théories non religieuses fonctionnent de la même façon. Le communisme a fonctionné exactement de la même façon que le catholicisme conformiste. Il y avait une police de la pensée qui dénonçait ceux qui n’étaient pas de bons communistes et ils étaient poursuivis et traduits en justice. Actuellement, la mode du politiquement correct fonctionne exactement de la même façon. Nous avons un modèle démocratique qui n’est plus chrétien, qui n’est plus communiste, mais qui considère qu’il y a un idéal, un modèle de tolérance et de démocratie et il faut se conformer à ce modèle antiraciste, antiségrégationniste qui surveille jalousement votre langage pour voir tout ce qui va dans le bon sens et dénoncer tout ce qui va dans le mauvais.
Nous voyons que, au nom de ce modèle, on change totalement l’écriture à travers l’apparition de ce phénomène étrange qu’est l’écriture inclusive. Il y a ici une machine à faire du sens qui est une machine à pouvoir, à surveiller, à terroriser mentalement tous ceux qui ne sont pas conformes à l’ordre dominant. Là on a affaire à un système d’oppression politique et mental. On peut dire que ce système a été à un moment chrétien, mais il ne l’est plus, il est anti chrétien, démocratique et il prend différentes formes dans notre monde.
Le non-sens
Par rapport à cela, nous assistons à la réaction inverse et symétrique qui est totalement opposée à cela. C’est la réaction de l’existentialisme qui refuse le modèle, se révolte contre les modèles qui imposent une direction et qui veut un sens pour soi. L’idée, c’est celle de la liberté et non pas de la rationalité et du conformisme social, considérant que le sens, ce n’est pas ce qui est utile à la société mai ce qui est utile pour l’individu. Nous retrouvons sous une autre forme, la théorie du modèle, je dénonce par la révolte tout ce qui ne va pas dans mon sens et j’accepte tout ce qui y va. Nous voyons que la question du sens est monopolisée par l’opposition entre le conformisme et la révolte. Le conformisme et la révolte sont les deux faces d’une même manière de penser, c’est à dire une manière fondamentalement statique et figée où il y a une image et tout ce qui se conforme ou pas à cette image.
Une hypocrisie collective.
En fait, l’inquisition n’est pas du tout achevée car nous avons toujours des tribunaux inquisitoriaux qui continuent d’exister et de faire fonctionner une police sociale et morale, particulièrement féroce. Nous sommes dans une hypocrisie et un mensonge collectifs, ceux là même dénoncés par le Christ lorsqu’il remet en question l’hypocrisie des pharisiens. Lorsqu’un pharisien et un publicain vont prier, le pharisien surveille la morale de l’autre et se félicite de ne pas être comme lui. Il est conforme au modèle et il juge sévèrement celui qui ne l’est pas. Ce conformisme a totalement envahi la vie sociale et la psychologie et 2000 ans après l’Evangile, nous sommes toujours concernés par cela. C’est d’une actualité vertigineuse et nous voyons que les maladies spirituelles persistent à travers le temps.
La nouveauté chrétienne
C’est là qu’apparait la nouveauté chrétienne car ce que l’on ignore, c’est que le christianisme n’a pas seulement été une religion conformiste, c’est aussi une religion de liberté et d’un anti conformisme total. Le christianisme et une sortie de l’hypocrisie religieuse et le sens profond de la vie chrétienne, c’est l’ouverture sur l’extraordinaire du religieux. De ce point de vue, c’est une subversion totale de la question du sens religieux de l’existence. L’inouï dans la question du sens chrétien, c’est la notion d’eschatologie qui est liée à la notion de royaume et derrière elle, à la relation personnelle qu’il peut y avoir entre l’homme et Dieu dans le mystère de la paternité. La notion d’eschatologie va de pair avec cette parole de l’Evangile : « Cherchez le royaume de cieux et tout vous sera donné par surcroît ». Le christianisme est présenté comme une religion de l’Amour et on occulte totalement la dimension du Royaume, bien évidement, le Christ a dit : « Aimez vous les uns les autres » (on oublie souvent de dire : « comme je vous ai aimé »), mais il a surtout dit : « Cherchez le royaume des cieux et tout vous sera donné par surcroît ». La quête du Royaume est notre devoir fondamental.
La caractéristique du Royaume, du sens de la royauté, c’est la puissance, et derrière elle, le rayonnement, et derrière lui, la Vie débordante, la générosité, qui ne cesse par de s’écouler. Quand le Christ nous parle du Royaume des cieux, Il le compare à un grain de sénevé qui devient un arbre immense, le Royaume des cieux, c’est le débordement. Le Christ dit aussi à l’homme : « Tu ne pardonneras pas une fois, mais soixante dix sept fois sept fois », c’est-à-dire, quand tu fais quelque chose, débordes ! Que ce ne soit pas le donnant / donnant mais, au contraire, quelque chose qui bouscule le contrat pour emmener dans un torrent d’Amour. Il a été dit : « Aimez vous les un les autres comme je vous ai aimé », cela ne veut pas dire « aimez-vous », cela veut dire « soyez des torrents d’Amour, soyez des torrents de Vie ».
Nous avons là quelque chose de tout à fait étonnant du point de vue du sens puisque ce qui nous est dit dans les Évangiles, ce n’est pas le sens, ce n’est pas la raison, c’est le torrent et le feu. Le torrent et le feu montrent que lorsqu’il y a du Sens, le sens et le non-sens, c’est la même chose parce que le Sens va au-delà du sens et que le sens qui existe est un non-sens par rapport au Sens qui va venir. Pour la première fois, on voit apparaitre dans la pensée, une équivalence entre le sens et le non-sens qui permet de libérer le sens et le non-sens. Le non-sens n’est pas le contraire du sens mais, à l’intérieur du torrent et du feu, c’est la même chose.
Un débordement de Vie
Pour libérer la culture et l’espace occidental de la pensée totalement obstrués par le doublet conformisme / révolte, il nous manque ce que nous donne la divine communion, c’est-à-dire un cœur brulant d’amour et de vie, l’intensité, la puissance, la royauté intérieure et la véritable liberté. La liberté, c’est donner et vivre à foison, aimer et penser à foison, manger, boire, dormir, tout faire en débordant de vie. Là nous sommes dans autre chose, personne n’a parlé du Sens comme cela, là nous somme dans l’eschatologie, la théorie des fins ultimes. La fin ultime n’est pas du tout l’histoire d’un jugement dernier qui va toucher tout le monde, la fin ultime se trouve dans ce foisonnement d’amour et effectivement, cela donne un sens à l’apocalypse au sens profond du terme. Un jour, l’Amour divin se déversera sur le monde et ce sera comme un déluge de lumière divine. Les Pères de l’Eglise abordent les choses avec une vision eschatologique et c’est ce qui se passe lorsqu’on aborde la moindre chose de l’existence avec un torrent d’Amour. Dans ce texte merveilleux d’Irénée de Lyon, vous avez une présentation de ce qu’est le Sens ultime de toute chose. Le Sens ultime de chaque chose, c’est le Royaume et tout est guidé par le Royaume.
Il ne faut pas avoir une vision naïve du Royaume, cela ne veut pas dire que nous allons fonder une société idéale qui sera comme un club de vacances dans laquelle nous pourrons nous reposer et profiter de l’existence, mais c’est ce qui se passe dans le cœur de chacun lorsque nous faisons l’expérience de la paternité et de la rencontre avec Dieu. On fait ces expériences quand on rentre dans l’amour du Père. Etre Père ou être Mère, c’est quelqu’un qui a des vues plus grandes que les vôtres, c’est quelqu’un qui dit : « Tu veux que je te donne ça, hé bien moi, je te donne bien plus… ». Le Père c’est le créateur, c’est celui qui amène la nouveauté. Je rencontre le Père quand je bouleverse toutes les images que je peux avoir de moi-même et du monde pour aller vers quelque chose de radicalement nouveau dans lequel, je suis créé. Une expérience de création, c’est ce qui se passe quand on prend une phrase de la bible ou une Parole de l’Evangile et qu’on est foudroyé par une signification bien au delà de ce qu’on pensait avoir compris. Tout d’un coup, là ou il y avait quelque chose de petit, il y a quelque chose d’immense, et là, nous sommes dans la gloire, dans le Royaume des cieux, nous avons rencontré Dieu le créateur et nous avons vécu l’expérience du jugement dernier. Tout d’un coup, nous sommes dans la réalisation, et la vie a du Sens, pour la première fois j’entends une direction de la Vie et on me donne un sens, une intuition de la Vie et de la valeur. Ce n’est pas simplement un but utilitaire pour la société ou pour moi, c’est quelque chose d’énorme.
Il y a l’expérience du Père qui féconde et de la maternité qui protège, qui fait grandir et qui amène encore plus loin dans une expérience de croissance. Le Père et la Mère font décupler l’existence et produisent une libération extraordinaire de l’être. L’eschatologie ne doit pas être vue comme une prévision universelle par rapport à la vie politique, comme la venue du royaume de Dieu sur terre qui nous apportera une société où on sera heureux pour l’éternité. Mais l’eschatologie, c’est une pratique quotidienne, nous l’avons à chaque fois que nous avons un retournement du cœur et que nous sommes brulants d’amour et de vie pour aborder les Paroles divines qui nous fécondent et nous font grandir. Là, nous vivons l’expérience d’être à l’image et à la ressemblance de Dieu et de rayonner comme Lui.
La royauté de l’homme
Cette question de l’eschatologie est la manière la plus créatrice, la plus nouvelle, la plus magnifique dont on puisse parler de la vie. C’est une révolution mentale tout à fait extraordinaire. La misère dans laquelle nous sommes, la chute de l’être humain, l’exil, c’est la question que Dieu pose à Adam : « Où es-tu ?, qu’est ce que tu as fait du Sens ? Je t’avais donné un royaume, je t’avais donné un cœur capable de brûler d’amour et de vie, et tu es là dans un sens misérable, par rapport à l’utilité sociale et à l’utilité personnelle, alors que tu es un Roi ».
La misère humaine, on l’a tous les jours, il suffit d’allumer la radio ou la télévision pour assister à des débats sans intérêt dans lesquels on rétrécit totalement l’existence. On a des moyens de communication hors du commun à travers lesquels on pourrait diffuser la Parole divine et on ne parle que de lessive et des derniers ragots et en plus, on ne donne que des nouvelles d’assassins et de criminels dont on n’a absolument pas envie d’entendre parler. On n’apprend que des morts et des attentas, jamais des résurrections et des créations. Résultat, tout le monde vit dans l’angoisse et chacun se replie sur une misérable utilité sociale ou personnelle en étant dans un état de demi-dépression permanente.
Extraordinaire vision de l’eschatologie liée à la Parole dans le texte d’Irénée de Lyon où celle-ci nous est donnée dans l’interprétation et la vision divine de l’existence. Nous retrouvons ici, le sens dostoïevskien de la Beauté, repris par Berdiaev et nous avons le sens de la destination de l’homme. Berdiaev croit en Dieu parce qu’il a un sens de l’inouï de l’existence et de la Personne, de la Beauté incroyable qu’il y a dans l’existence de l’homme et de l’être personnel et de cette expérience extraordinaire qui fait que quand on a touché la beauté de l’homme et la beauté de l’existence, c’est cela que l’on veut vivre, on veut obéir à cela et rien ne nous rend plus libre que cette obéissance.