9 – La Vérité, signe d’elle-même

retrouvez ICI un extrait de la conférence

La Vérité, signe d’elle-même

La vérité n’est pas un concept qui occupe une grande place chez Berdiaev qui est un penseur de la liberté. Il y a souvent une opposition entre liberté et vérité, la liberté étant subjective et la vérité objective. Cependant la liberté et la vérité ne s’opposent pas et il y a une très grande profondeur à dire, comme dans les Evangiles que la vérité rend libre.

Quand on a affaire à la vérité, il importe de lever un malentendu car on confond souvent la vérité avec le rapport que l’on peut entretenir avec elle. On peut adresser trois critiques à la vérité :

– Premièrement, c’est un modèle contraignant, répressif et réducteur.

– Deuxièmement, c’est le problème que posent ceux qui détiennent la vérité et qui, en son nom, imposent une véritable dictature.

– Troisièmement, c’est se poser la question, comme Pilate le fait : « Qu’est ce que la vérité ? ».

C’est vrai qu’il existe des abus à propos de la vérité et qu’on a eu tendance à appeler vérité un modèle institué auquel on est tenu de se conformer. Il existe un rapport à la vérité qui est insupportable et dangereux, croyant détenir la vérité, on pense pouvoir tout se permettre. Et il peut y avoir quelque chose de très arbitraire dans la manière dont on parle de la vérité.

Examinons ces trois critiques sous un autre jour.

La Vérité nous libère

La notion de vérité est essentielle et on s’est rendu compte de son importance lors du totalitarisme. La caractéristique des régimes totalitaires est de ne pas supporter d’êtres mis au grand jour. Lorsque Soljenitsyne a écrit « L’archipel du goulag », il l’a écrit pour expliquer ce qu’était vraiment le stalinisme et aller contre les propagandes staliniennes qui le présentaient comme un état pur et ayant les mains blanches. Il a montré les crimes commis par Staline qui ont fait que ce régime politique avait les mains souillées par le sang. On s’est aperçu, à ce moment là, de l’importance de la vérité.

La violence s’accompagne toujours du mensonge, et on pourrait dire que la vraie violence, c’est le mensonge qui protège la violence et qui tend à la légitimer. La caractéristique de la violence, c’est que ce n’est pas simplement des gestes, c’est un système mental qui légitime ces gestes. C’est le fait d’humilier, bafouer, torturer, et faire physiquement du mal à quelqu’un,  mais la violence dans la violence, c’est le système qui se met en place autour d’elle et qui tend à dire que la violence n’existe pas et que tout cela n’est ni mal, ni violent.

Quand tel est le cas, on s’aperçoit que la seule chose qui peut lutter contre cette violence, c’est la vérité. La vérité est capable de nous libérer.

La Vérité peut être incarnée

Si j’appelle vérité la capacité à voir le monde tel qu’il est, je m’aperçois qu’il y a toujours quel que chose de joyeux. La vérité renvoie à des expériences. Un jour, il m’est arrivé de boire du vin du Roussillon et de me dire que ce vin correspondait exactement à ce qu’était pour moi, le véritable vin, c’était une définition du vin. Je crois qu’on peut dire cela de beaucoup de choses, il y a des moments dans l’existence où celle-ci apparaît telle qu’elle est, dans toute son authenticité et dans toute sa vérité, il y a là quelque chose d’extrêmement joyeux.

Par exemple, pour la musique ; un jour, vous écoutez un interprète et vous vous dites que la musique c’est lui ! Il porte la musique, et pour vous, il est l’incarnation même de la musique. Même chose pour la peinture et plein d’autres choses.

Lorsque quelqu’un vit vraiment ce qu’il vit, il devient l’incarnation de ce qu’il vit et là, il y a quelque chose de proprement libérateur.  Lorsque cela se passe cette personne devient un modèle pour les autres, mais ce n’est pas aliénant, c’est au contraire, quelque chose de libérateur. Qu’est ce qui  nous permet d’avancer dans l’existence et de faire des progrès dans tous les domaines ? Ce sont ceux qui incarnent ce qu’ils font. Tout d’un coup, je vais voir quelqu’un qui sait, qui est porteur de la chose qu’il vit et à son contact, je vais devenir meilleur et faire des progrès.

Là, il y a une expérience de vérité, la vérité n’est pas quelque chose de contraignant, au contraire, ça m’évite le mensonge, mais c’est aussi quelque chose qui me donne un modèle positif et créateur.

Dans une rencontre personnelle, il ya une relation entre la personne et le modèle. On a souvent tendance à penser que le modèle, la norme, c’est quelque chose inventé par la société pour nous contraindre. C’est oublier l’expérience humaine de la vérité, de la norme et du modèle, c’est-à-dire, vous et moi dans notre imagination, dans notre mémoire et notre sensibilité personnelle. Il y a des hommes et des femmes qui sont des repères et qui à un moment, nous servent à avancer.

Ce n’est pas la société qui les a inventés, ce n’est pas un système contraignant qui les a imposés, c’est l’expérience même de la vie. Il s’avère que parfois, nous sommes plusieurs à nous reconnaitre dans telle ou telle figure et à lui donner une légitimité parce que c’est notre propre expérience qui en bénéficie et qui illustre la pertinence de ce modèle. Il y a quelque chose de magnifique dans notre expérience humaine, c’est de devenir à un moment, des normes, des modèles les uns pour les autres. Cela fait société, ce n’est pas la société qui invente la norme, c’est plutôt la norme qui invente la société

La Vérité est imprévisible

On peut donner une vision positive à la question de Pilate. Lorsque Pilate demande au Christ : « Qu’est ce que la Vérité ? », il n’est pas loin de découvrir quelle est la nature de la vérité. La vérité est imprévisible, c’est la raison pour laquelle elle est mystérieuse. Tout d’un coup, quelque chose ou quelqu’un peut apparaître comme porteur de la vérité de l’existence et en cela, inaugurer une humanité créatrice.

Cela est complètement imprévisible, à chaque époque, on voit apparaître des hommes, des femmes, des symboles qui deviennent la vérité d’une époque et qui expriment ce qu’elle est.  Il est vrai que c’est difficile de dire ce qu’est la vérité parce que la vérité de notre époque n’est pas encore dite. Par exemple, on peut dire que Balzac correspond bien à la vérité d’une époque car il a fait vivre un monde dans lequel tout le monde se reconnait.

Il y a des  penseurs, des créateurs, des mystiques, des visionnaires qui sont capables de faire apparaître la vérité d’une époque, de faire apparaître tout son éclat et toute sa lumière.

Ainsi nous apercevons que la nature a besoin de la culture, l’humanité a besoin de l’histoire. Vivre, c’est vivre ces moments étincelant de l’existence où tout d’un coup par exemple, la nature est révélée grâce à la peinture, ou bien une époque est révélée grâce à des penseurs et à des êtres spirituels et visionnaires. C’est un phénomène tout à fait aléatoire et imprévisible, une époque est très heureuse quand elle voit apparaître des prophètes et des visionnaires qui lui permettent d’exprimer ce qu’elle est, et cette même époque est malheureuse quand personne ne vient révéler sa lumière et son être profond.

Nous nous apercevons que toutes les critiques que l’on peut adresser à la vérité s’effondrent l’une après l’autre. C’est vrai qu’il y a des manières de parler de la vérité qui peuvent être violentes, et des comportements dans la vérité qui peuvent être arbitraires et dogmatiques, mais quand nous rentrons dans la vie de la vérité, il en est tout autrement. Lorsque nous prenons l’expérience de la vie comme la méthode pour pouvoir penser, tout change.

C’est particulièrement important dans les choses « religieuses ». Notre époque est hostile au monde religieux parce qu’elle ne le vit pas.

La définition globale de la vérité

La vérité n’est pas la réalité mais c’est l’image juste de celle-ci, c’est la représentation et la parole juste de la réalité. La vérité c’est la chose qui a trouvé son langage et c’est un langage qui correspond à quelque chose.

On confond souvent la vérité avec le réel, le réel n’est pas vrai, il faut qu’il y ait un discourt sur le réel et c’est lui qui donne sa dimension au réel. La vérité est l’exemple même de la vision spirituelle des choses dans la mesure où elle est liée à la relation entre l’esprit des choses et les choses.

La vérité est toujours une expérience spirituelle, on le voit dans les manières fausses ou justes de penser. Il y a parfois des discussions impossibles lorsqu’on confond les faits et les arguments. Une chose est de parler de ce qui s’est passé, une autre d’argumenter. Par exemple, lorsque vous avez une discussion religieuse, certains vous diront : « La religion c’est faux parce que les chrétiens ont fait ceci ou cela.» Que les chrétiens aient fait ceci ou cela ou que mon voisin qui est religieux soit un menteur est une chose, mais la fausseté de tel ou tel aspect du religieux est autre chose. On ne peut pas juger une pensée par un fait car, à ce moment là on peut lui opposer un autre fait. Lorsque quelqu’un dit que la religion est fausse parce que les chrétiens ont mal agit, on peut lui répondre que la religion est vraie parce qu’ils y a des chrétiens qui agissent très bien. On confond les faits et les idées t on a tendance à prendre les faits pour des idées.

L’expérience de la vérité, c’est l’expression d’une parole à propos de la réalité et qui révèle celle-ci telle qu’elle est. Ce qui va être vrai, ce n’est pas tel ou tel fait de l’histoire de l’Eglise ou des chrétiens, c’est telle parole à propos des faits qui se sont passés dans leur histoire, et tout d’un coup, cette parole sera juste. Ce qui est important dans la vérité, c’est de se situer dans la parole. Dans les évangiles, le Christ parle toujours en Esprit et en Vérité. C’est toujours dans le cadre de l’Esprit qu’Il parle et c’est l’Esprit qui parle à travers Lui. On juge de la justesse de ses paroles à partir de l’Esprit qui le traverse et qui traverse ceux qui l’écoutent. C’est cela qui fait la Vérité.

A un moment de votre vie, vous pouvez dire : « J’ai rencontré la Vérité » parce que vous avez rencontré une personne qui vous a parlé de la réalité et ce qu’elle vous a dit était plein d’Esprit. Vous étiez alors dans la vérité parce que vous étiez dans l’Esprit et que l’Esprit s‘accordait à vous.

A partir de là, on peut voir 4 éléments constituants de la Vérité.

– Premièrement, la vérification

– Deuxièmement, l’évidence

– Troisièmement, la chose même

– Quatrièmement,  l’auto révélation

La Vérification

La vérité c’est d’abord de l’ordre du vérifiable. Quelqu’un dit quelque chose et cela correspond à des faits vérifiables. La vérité c’est l’accord avec la réalité concrète.

L’artiste pense la vérité de cette façon, et il a raison, la vérité c’est de l’ordre d’une expression, d’une sensation, de quel que chose que je peux voir et toucher, à partir de ce moment là, c’est vrai.

Il est important d’avoir ce côté charnel, matériel et concret de la vérité. Dans les évangiles, c’est Thomas qui apporte cette vision de la vérité, lorsque pour croire à la résurrection, il demande à voir et à toucher. Il n’y a rien de contestable à cela, c’est au contraire, totalement juste et humain. Lorsque Thomas est dans cet état, il est sincère, il est vrai et c’est très bien que quelqu’un désire toucher pour croire.

Néanmoins, cela ne suffit pas pour pouvoir déterminer ce qu’est la vérité parce que la vérité est aussi une vérité intérieure et pas simplement extérieure. C’est une vérité de conscience et pas simplement d’expérience. C’est Descartes qui exprime le rapport à la vérité sur un mode intérieur et notamment sur le mode de l’évidence.

L’évidence

La vérité n’est pas simplement la vérité des choses, c’est aussi la vérité des hommes, des sujets qui parlent. C’est la vérité de l’évidence, c’est la capacité que l’on a de voir. Voir, cela veut dire expérimenter de l’intérieur, toucher et sentir les choses de l’intérieur. Les yeux sont l’organe du toucher à distance, quand je vois, je touche avec les yeux. L’évidence c’est ce qui se passe quand on a en soi la faculté de la vision intérieure. Je pense que quelque chose est vrai, non pas quand je le touche, mais quand je l’ai expérimenté de l’intérieur et que je suis amené à le sentir et à le voir de l’intérieur.

Nous voyons alors apparaître un élément extrêmement intéressant de la vérité, c’est le fait qu’elle n’a pas seulement besoin des choses et du monde pour exister, elle a aussi besoin des hommes. Il y a quelque chose de spécifiquement humain qui fait toute la vérité de la vérité. La vérité se vit et ce n’est pas simplement quelque chose de l’ordre de la représentation extérieure. Si quelqu’un nous parle de la vérité comme d’une chose, sans sentir ce qu’il dit, sans le vivre et le penser, nous sommes devant un paradoxe car on sent que cette personne n’est pas vraie. On se dit qu’elle dit des choses qui sont vraies, mais elle-même ne l’est pas et elle fini par être fausse en disant des choses vraies.

C’est le problème de la banalité, si je dis : « Nous sommes dans une salle à telle adresse, où il y a 150 chaises et où les lumières sont allumées », tout ce que je dis et vrai, mais cela n’a aucun intérêt parce que cela ne touche pas notre humanité et ne nous permet pas de devenir ce que nous sommes. Ce qui est vrai, ce n’est pas quand quelqu’un me parle de la situation matérielle, c’est quand il vit ce qu’il vit, qu’il voit ce qu’il voit et permet aux autres de le voir. Une expérience personnelle c’est quand quelqu’un me fait voir quelque chose d’existant. C’est un peu la caractéristique du peintre qui fait voir les choses à l’occasion de leur existence. C’est en ce sens qu’il y a une vérité de la peinture, une vérité de l’art, c’est une vérité personnelle, cela nous touche et nous éveille personnellement.

Lorsqu’on se situe au niveau de la Personne, on définit un type de vérité qui n’a rien à voir avec la vérité objective au sens de la vérité réaliste.  On s’aperçoit que quelque chose est vrai parce que cela vient de l’intérieur et que cette vérité de l’intérieur est plus vraie que celle de l’extérieur.

Il faut donner du sens à ce qu’on appelle, le parlé vrai. Lors d’un procès, les magistrats jugent en fonction des faits, mais également en fonction de ce qu’ils ont entendu et de ce qu’ils on vécu sur le plan humain. Parfois, cela amène à un paradoxe parce que, de l’extérieur il est impossible de démontrer que quelqu’un est innocent et impossible de démonter qu’il est totalement coupable. Il y a des moments d’incertitude, mais le juge va faire pencher la balance d’un certain côté parce qu’il sent que des paroles sont vraies. Il y a des choses qu’on  ne peut dire qu’avec tout son être. Il y a des gens qui disent qu’ils sont innocents et on ne les croit pas et d’autres que l’on croit car il y a une manière de dire qui ne s’invente pas. Il y a des moments dans l’existence où la vérité de la personne est plus forte que tout.

Cette vérité de la personne est le fondement de la vie sociale. Le fondement de la vie sociale s’est de faire confiance. C’est vrai qu’il y a du mensonge dans l’existence, mais on ne peut pas passer son temps à mentir. Il y a forcément un moment où l’humanité est capable de vérité et c’est parce que nous pensons que nous sommes capable de vérité que la vie sociale est possible. Ce qui nous fait penser que nous sommes capables de vérité, c’est qu’à un moment de notre vie, nous avons fait l’expérience de la vérité. Même si cela n’a pas duré longtemps, c’était vrai. Il y a eu des moments où il y a eu de l’amour et de l’amitié et c’était vrai, il y a eu de la fraternité et du cœur et c’était vrai.

C’est un fondement absolu de notre humanité et cela renvoie à l’expérience de l’évidence. C’est-à-dire à l’expérience inouïe et personnelle de la vérité que je sens et c’est la deuxième expérience que fait Thomas. Ce qui va l’amener à croire dans la résurrection, c’est le Christ lui-même car Il se laisse toucher et Il se laisse voir. A ce moment là Thomas réalise que si le Christ se laisse toucher, c’est qu’Il est vraiment ressuscité, autrement, Il ne se laisserait pas toucher. Thomas peut alors dire qu’il croit en la résurrection parce qu’il a senti que celui qui se laissait toucher était vrai. La résurrection est vraie parce que Thomas et le Christ sont vrais. Lorsque le Christ se laisse toucher par Thomas, celui-ci devient vrai parce qu’il existe en tant qu’être capable d’évidence. Le Christ va accoucher de Thomas et lui permettre de devenir ce qu’il est.

La chose même

Le troisième élément de la vérité, c’est le moment qui n’est ni objectif, ni subjectif, c’est le moment de la chose même. C’est l’expérience de l’authenticité mais qui donne une faible image de ce qui se passe dans la Vérité. La vérité n’est pas toujours quelque chose d’objectif ou de subjectif, c’est aussi ce qui se passe quand je rentre dans l’univers des révélations, quand les choses et l’existence se mettent à parler.

Dans les expériences de la musique ou du vin que j’évoquai précédemment, nous avons quelque chose de la révélation au sens humain. Je vois se manifester la musique, le vin, la danse, la littérature, je vois un aspect de l’existence dans sa lumière et là, je suis touché par le caractère créateur qui se manifeste à travers ce que je vois et ce que je vis. Ce qui n’est ni objectif, ni subjectif, c’est ce qui est créateur, c’est ce qui est vivant, ce qui est essentiel, ce qui porte en soi même le mystère et la beauté de la création.

On se demande si le monde a un créateur et on commence à avoir un début de réponse lorsqu’on fait l’expérience d’un certain nombre de choses créatrices, c’est-à-dire porteuses de l’évènement « monde ». L’évènement « monde », l’évènement « existence », c’est la révélation d’une possibilité créatrice, c’est la révélation d’une lumière. Il y a des moments dans l’existence où on est touché par la lumière de la vie.

Cet été, j’ai accompagné un groupe en Allemagne. Des musiciens jouaient du Bach, moi je parlais de Maitre Eckart et Il y avait un point commun entre Maitre Eckart et Jean-Sébastien Bach. Maitre Eckart, c’est la mystique et Jean-Sébastien Bach, c’est la musique. En lisant l’un, en écoutant l’autre et en regardant la ville, on voit la même chose, on voit la même lumière créatrice et c’est quelque chose qui parle. C’est la parole du monde, la parole de la vie et de l’existence. Là on rentre dans des nourritures, on commence à rentrer dans la communion, dans le pain et dans le vin, on découvre des choses créatrices et nourrissantes. On est dans un autre espace qui est un espace de vérité. La vérité n’est plus un objet, elle n’est plus un sujet, la vérité est une croissance, une libération, elle est comme un arbre qui va vers le ciel.

Le point commun entre le vin, la musique et  Maitre Eckart, c’est que tous nous parlent  de la beauté de la vie, du caractère vivant de l’existence et de quelque chose qui commence à nous emmener vers le ciel, qui commence à ouvrir une dimension verticale. Cela commence à nous faire vivre et à rendre vivant ce qui est en nous et autour de nous.  On rentre dans les vérités spirituelles qui ne sont ni objectives, ni subjectives mais qui sont créatrices car elles font vivres les objets et les sujets. C’est cette capacité créatrice qui fait toute la beauté de la vérité. Il y a des choses qui sont vraies parce qu’elles nous font vivre. Elles donnent du sens à l’expérience personnelle de la vérité. Dans chacun de nos parcours, nous avons fait l’expérience de la vérité, de quelque chose qui nous rendait vivant ou vivante et qui rendait vivante l’existence autour de nous.

C’est un peu ce que vit Thomas. Il a voulu toucher et voir, il peut toucher et voir, à ce moment là, il est visiblement impressionné par le Christ qui se laisse toucher et voir. Il va franchir un pas, car faire l’expérience de toucher et de voir quelqu’un, n’est pas anodin. Thomas a voulu voir et toucher, et il lui est donné de voir et de toucher la résurrection.  La résurrection est quelque chose qui peut se toucher et se voir. Tout d’un coup, quelqu’un est porteur de résurrection et elle se manifeste à travers lui.

Nous avons du mal à comprendre l’expérience de Thomas parce que nous sommes habitués à voir les choses sous l’angle du prodige. Nous voyons que dans le Christ, l’homme vivant porte l’homme mort et l’homme mort porte l’homme vivant, c’est quelque chose qui dépasse la limite de la vie et de la mort, et cela apparait sous la forme d’un prodige. Il est vrai que cela est prodigieux, mais en même temps cette expérience est très réelle et de même qu’il y a des moments dans la vie où je comprends ce que sont le vin, la musique et la mystique, il y a des moments où je comprends ce qu’est la résurrection. L’expérience de la résurrection, ce n’est pas de voir le mort derrière le vivant mais de voir le vivant derrière le mort.

Cette expérience de voir le vivant derrière le mort n’arrive pas seulement quand je touche les plaies du Christ, mais c’est aussi une des expériences importantes que l’on peut faire dans la vie. C’est l’expérience du retournement par rapport à la mort. Nous faisons tous cette expérience lorsque nous découvrons les limites de la mort et l’existence d’une vie infiniment plus profonde que la mort.

Nous faisons cette expérience quand nous rentrons dans le monde spirituel, quand nous nous rendons compte qu’il y a des choses qui dépassent le plan de la mort. Platon pensait que les vérités mathématiques dépassaient le plan de la mort et possédaient quelque chose d’éternel. Il croyait à l’éternité parce qu’il croyait à l’éternité du vrai qu’il expérimentait avec les mathématiques. Descartes, lui,  nous dit qu’il y a quelque chose dans la conscience humaine qui est indéracinable. On découvre là un espace étonnant qui échappe à la mort.

Ce qui est étonnant, c’est que le Christ propose, dans son corps même, de faire l’expérience de quelque chose qui dépasse le plan de la mort. Le corps mort du Christ n’est pas un corps mort, c’est un corps vivant. C’est une expérience très profonde, il y a quelque chose de l’intérieur du corps qui est proprement indestructible. C’est le fait même de l’existence du corps, le fait même de la création qui est derrière le corps. Lorsqu’on est porteur du mystère de la création qui est tout le mystère du Père, la mort n’existe pas.

Il n’y a pas que les vérités mathématiques qui sont éternelles, il n’y a pas seulement la conscience qui est éternelle, il y a quelque chose dans le corps qui est proprement indestructible. A notre mort, nous n’allons pas aller dans le néant, parce que les constituants de notre corps que sont les atomes ne vont pas êtres anéantis. Ils sont porteurs du souffle de la création qui va plus loin que la vie et la mort telles que nous les connaissons. Nous touchons là quelque chose d’extraordinaire, le Christ propose à Thomas de toucher la création et Il le met en contact avec la création d’une manière progressive. Thomas veut toucher et voir, Le Christ lui permet de le faire, une fois que Thomas a touché et vu, il a compris que ce que le Christ disait était vrai, il a senti une évidence. Maintenant, allons plus loin. Qu’a-t-il senti dans cette évidence ? Il a senti qu’il y avait quelque chose de créateur. Ce qu’il a senti dans le Christ, Thomas l’a senti dans son propre corps, c’est lui qui est en train de ressusciter, il fait une expérience de création profonde et il se rend compte que c’est la même chose qu’une expérience de sensation profonde.

Proust dans « La recherche du temps perdu » fait la même expérience. En se demandant si il existe quelque chose de réel dans ce monde, il s’aperçoit que ce qui existe, c’est la mémoire, derrière la mémoire, les sensations et derrière les sensations, la mémoire. Un jour en sentant quelque chose il fait la relation entre ce qu’il vit et ce qu’il a vécu, et il s’aperçoit que ce qu’il a vécu n’est pas mort. Quand je fais une expérience de sensation avec mon corps, cette sensation est liée à la vie et la vie n’est jamais morte.

Le Christ fait l’expérience pour toute l’humanité que même à l’intérieur des lieux de la mort, la Vie est plus forte que la mort et il est porteur de cette Vie plus forte que la mort. L’expérience de sensation profonde que fait Thomas le mène à la vérité qui est l’expérience d’une vie beaucoup plus forte que la mort. Quand je lis Maitre Eckart, quand j’écoute Jean-Sébastien Bach, quand je bois du vin du Roussillon, je me dis que c’est la vérité, la vérité du vin, de la musique, de la mystique, et cette vérité c’est découvrir le principe vivant créateur qui est plus fort que la mort. Cela nous mène au dernier stade de la vérité qui est la révélation.

La révélation

C’est la caractéristique de Dieu, On parle toujours de Dieu comme Dieu révélé et c’est la même chose que la Vérité. Le Dieu révélé, c’est le Dieu qui se manifeste lui-même, en personne et qui vient, en personne manifester ce qu’est Dieu. Nous sommes là au plus haut stade de la Vérité qui est l’auto manifestation et l’auto réalisation de Dieu, ce qui se traduit par l’idée que Dieu parle de lui-même. Spinoza dit de la vérité qu’elle est signe d’elle-même. On peut le traduire en disant que la vérité parle d’elle-même. Les grandes choses parlent d’elles mêmes, elles n’ont pas besoin d’un discourt pour expliquer ce qu’elles sont. L’Amour parle de lui-même, la Beauté parle d’elle même, le génie parle de lui-même.  Il n’y a pas besoin de discourt pour expliquer ce qu’est le Beau ou le Vrai, il suffit de le voir, de le vivre ou de l’écouter pour le voir se manifester.

Les hommes cherchent des preuves de l’existence de Dieu et ils ne voient pas que Dieu n’est pas ce que l’on trouve mais plutôt ce qui se manifeste de lui-même, ce qui parle de lui-même, de l’intérieur, sous la forme d’une évidence. Dieu se manifeste et parle de lui-même au moment où je prends conscience du miracle de l’existence. Dieu parle à travers le miracle et le miracle parle à travers Dieu. Le miracle c’est le totalement neuf, totalement autre, inouï, ineffable et pourtant très réel qui se manifeste à l’intérieur de l’existence.

C’est l’expérience que Thomas fait, Il commence par le désir de sentir, puis il fait l’expérience de la sensation, ensuite l’expérience  de la création et enfin celle du miracle. En allant au bout au bout de son désir, de son expérience de la sensation et de la vie, il est mis en face du miracle de l’existence. Lorsque je peux sentir et vivre les choses jusqu’au bout, je tombe nécessairement sur la résurrection et sur le miracle.

Thomas va pouvoir accepter la résurrection du Christ parce que lui-même va être ressuscité et ce qui fait qu’il est ressuscité, c’est qu’il peut sentir et vivre jusqu‘au bout. Si nous sommes capables de faire une expérience de vie de tout notre être, de tout notre cœur et de tout notre feu intérieur, tout d’un coup la résurrection s’éclaire et Dieu parle à travers elle parce que l’expérience de la vie, l’expérience de la résurrection et l’expérience de Dieu c’est la même chose.

Nous trouvons là l’extraordinaire de la vérité !

Pour résumer les choses

Tout ce qui est capable de nous emmener jusqu’au bout dans la vie, nous révèle la vérité de l’existence. Cela permet de comprendre cette parole du Christ : « Je suis le Vérité, la Voie et la Vie », le Christ est la Vérité parce qu’il est la Vie qui va jusqu’au bout. La Vie qui va jusqu‘au  bout c’est Dieu qui va jusqu’au bout, dans l’incarnation, et par là même qui révèle dans notre existence la relation entre la Vie et Dieu.

Dieu devient Vie et la vie devient Dieu, Dieu s’est fait Homme pour que l’homme devienne Dieu. Dieu s’est fait Vie pour que l’homme devienne vivant et comprenne qu’en devenant vivant, il tombe sur la vérité même de Dieu. On retrouve ici ce qui a été expliqué lorsque nous avons parlé de la Vie et que nous avons dit que Dieu est vivant. La vie c’est la bonne méthode pour tout comprendre parce que c’est la méthode de l’expérience, c’est la méthode même de l’Esprit.

Vivre, c’est vivre ce que l’on vit, sentir en passant du visible à l’invisible et découvrir ce qui fait vivre derrière la vie, c’est rentrer en relation avec la créateur et le souffle de toutes choses. La caractéristique de Dieu c’est d’être le Vivant par excellence. Comme Dieu est vivant, il est incarné, comme Il est incarné, nous pouvons rentrer dans l’espace divin et dans l’espace de la vie avec Dieu.

La Vérité c’est donc ce qui se passe lorsque la Vie m’apparaît sous son vrai jour, lorsque je fais de véritables expériences de sensation et de vie qui commencent par une sensation humaine et qui finissent  par une sensation de mon être profond.

L’expérience de Thomas, c’est l’expérience même de la Vérité et de ce qui se passe quand on va dans la vérité. Si nous faisons véritablement l’expérience de la vérité des sensations de ce que l’on vit, nous allons découvrir la création et la résurrection au fond de nos sensations. Il n’y a pas une sensation qui ne soit pas liée à la création et à la résurrection.

Thomas demande à voir et à sentir le Christ parce qu’il demande à pouvoir réaliser, dans sa sensation, la création et la résurrection parce que la création et la résurrection l’appellent de l’intérieur de cette sensation. Ce qui fait qu’il va croire, c’est que le Christ se laisse totalement aller dans cette expérience en lui disant : « Tu veux voir, eh bien vois !, tu veux sentir, eh bien  sens ! »