Je vous parlerai en paraboles

La morale chrétienne

Aujourd’hui beaucoup de personnes sont d’accord avec ce qu’on appelle la morale chrétienne qui encourage l’amour du prochain, mais elles disent aussi que pour cela, elles n’ont pas besoin de Dieu. La morale chrétienne est alors prise à son propre piège. En effet, la morale que nous défendons est tout à fait acceptable, mais à force de vouloir « vendre » la morale chrétienne et la rendre acceptable, on fait totalement perdre de vue ce qu’elle est. Il y a beaucoup d’éléments dans la morale chrétienne qui se retrouvent dans un monde non chrétien, et à force de se retrouver dans un monde non chrétien, on aboutit au résultat suivant : puisque les valeurs chrétiennes sont valables aussi bien pour les chrétiens que pour les non chrétiens, il n’y a pas besoin d’être chrétiens pour avoir ces valeurs.

La vérité de la morale chrétienne, c’est que la morale et Dieu sont liés non pas pour une question de pouvoir, mais parce que l’enseignement qui nous est donné nous dit que la morale est quelque chose d’extraordinaire parce qu’il y a quelque chose de divin en elle. Si on n’a pas un rapport émerveillé à la morale, on ne la comprend pas. Ce n’est pas pour étouffer les hommes que l’on relie religion et morale, mais c’est pour les aider. L’émerveillement, c’est se faire miroir et c’est le fait de vivre en admirant, c’est le fait de vivre joyeusement. Pour Spinoza, philosopher et être joyeux, c’est la même chose parce que penser et vivre, c’est passer de la tristesse à la joie. On vit souvent tristement, et on a une philosophie lorsqu’on passe de quelque chose de triste à quelque chose de joyeux et on éprouve une forme de perfection.

Cela permet de comprendre que l’expérience de la morale est une expérience émotionnelle, sensible et incarnée, ce n’est pas simplement quelque chose d’abstrait. La morale, n’est pas simplement ce qui sert à se garantir du mal, mais c’est surtout ce qui permet de faire l’expérience du bien, c’est à dire de ce qui est profondément conforme à notre essence.

S’émerveiller, c’est la même chose que la joie. Agir et vivre, c’est penser avec admiration, en ouvrant les yeux. Lorsque je suis émerveillé, j’ouvre grand les yeux et je me nourris de ce que je vois. Lorsque je suis émerveillé, je regarde et j’écoute vraiment, je suis vraiment vivant et je fais l’expérience du Christ, le verbe, Dieu fait homme, la divino-humanité, je rencontre le Christ et je me rencontre en Christ.

L’émerveillement, la connaissance et le symbole

La connaissance, c’est tout vivre de l’intérieur, tout vivre dans l’intime, des choses qui vont dans le cœur de nous-mêmes pour nous amener au-delà de nous-mêmes. Si nous voulons aller dans la vie divine, il faut aller dans la vie intime. C’est en rentrant dans la vie intime que je comprends ce que veut dire l’au-delà, il ne consiste pas à nier ce qui est pour aller au-delà, ce qui donnerait raison à ceux qui pensent que le religieux est une négation de ce qui est, mais le religieux c’est la plénitude de ce qui est, et je comprends l’au-delà lorsque je vais au-delà de moi-même dans l’intérieur. Si je vais au-delà de moi-même dans l’intérieur, j’irai au-delà de moi-même dans la transcendance.

Il est très important d’avoir une vision symbolique des choses car nous sommes au cœur de l’expérience morale et nous sommes au cœur de la connaissance, de l’émerveillement et de la joie. L’expérience du symbole est extrêmement profonde et joyeuse. Vivre les choses sur le mode du symbole nous met dans l’attitude morale juste, nous sommes centrés, en équilibre, en harmonie et en paix.

L’essence de la condition humaine se trouve dans le Verbe « Au commencement était le Verbe » nous dit le prologue de Saint Jean. Le Verbe, c’est le principe agissant, le principe vivant, au commencement est la vie, et la vie ne connait pas la mort. La vie est action continuelle, c’est le point de rencontre entre le visible et l’invisible. Le Verbe ou la vie, est très bien caractérisé parce qu’Aristote appelle « l’action », « le vivant », et le paradoxe de l’action et du vivant qui est à la fois mobile et immobile. Dans l’expression « toujours vivant », il y a quelque chose de totalement mobile parce que c’est vivant, et en même temps totalement immobile parce que c’est toujours. Dans cette notion d’action, nous avons affaire au principe agissant qui est à la fois mobile et immobile et qui est fulgurant. « Au commencement était le verbe », cela veut donc dire « au commencement était la fulguration absolue de l’être ». Cette fulguration survient lorsqu’il y a coïncidence entre le visible et l’invisible, lorsque la réalité va de l’invisible au visible et qu’il y a une circulation entre le ciel et la terre. Mais en, fait il n’y a pas voyage de l’invisible au visible et du visible à l’invisible, mais fulguration, coïncidence et lumière éblouissante signifiant que chaque atome de la réalité est lié à Dieu. C’est-à-dire que par principe, la réalité est une fulguration d’être qui fait que tout est en Dieu et que Dieu est en tout, et que tout est extraordinairement agissant. Cette fulguration qui permet la réconciliation du mobile et de l’immobile c’est le Christ. Malheureusement en étant humanisé, le Christ perd totalement ce caractère fulgurant.

Le Christ comme fulgurance

Nous avons affaire à un processus culturel où pour diffuser le message, on met le Christ à la portée de tous et Il devient un être plein d’amour, très humain à la portée des hommes et Il se caractérise plutôt par sa douceur. Ceci est normal, on ne peut pas parler du Christ comme une fulgurance car ce message serait incompréhensible par beaucoup. Pourtant c’est bien ce qui se passe, si nous avions une véritable vision du Christ, nous serions confrontés à un soleil fulgurant qui est d’une telle relation avec chaque parcelle du monde et de nous-même, qu’on aurait l’impression d’un déluge d’amour. Ceci est exprimé dans le symbole de Nicée lorsque le christ est nommé « Lumière de lumière » ou bien dans la liturgie lorsqu’on parle du « soleil de justice » ou encore dans la représentation de certains saints comme saint Séraphin de Sarov qui serait plus lumineux que le soleil qui rencontre la neige. On est là devant quelque chose qui dépasse l’imagination.

C’est de cela dont il est question, rentrer dans la vie divine, c’est rentrer dans un espace fulgurant débordant d’un amour infini qui va dans nos cellules et jusque dans les étoiles. C’est la relation entre le visible et l’invisible.

Toute l’expérience de la condition humaine, consiste à être le point de rencontre entre le visible et l’invisible pour avoir accès à la plénitude. A travers l’homme, se manifeste, dans l’espace-temps, ce qui se caractérise au sein de la divine Trinité. C’est pour cela qu’il est absolument tragique d’identifier l’homme à un animal comme un autre et en voulant le faire disparaitre pour supprimer son arrogance. L’homme n’est pas un animal comme un autre, non pas parce qu’il est supérieur aux animaux, mais parce qu’il est habité par une lumière qui vient des sources divines, l’homme vient du cœur de Dieu et ceci se traduit dans sa vie par sa vocation qui est la plénitude. Nous cherchons tous le bonheur, l’accomplissement et la plénitude. Mais nous n’avons pas imagination de ce que c’est car la plénitude va bien au-delà du monde et de ce que nous sommes, mais elle passe par ce monde et par ce que nous sommes.

Tout le problème de l’homme, c’est de passer du visible à l’invisible en faisant l’expérience de l’invisible qui rentre dans le visible et du visible qui va vers l’invisible. Lorsque cela se produit, cela donne le génie de l’homme, son intelligence fulgurante et éblouissante autour desquels se bâtit l’évolution du monde. Ce qui guide le monde, c’est la lumière divine qui vient éclairer l’homme et qui éclaire le monde en permettant à chacun de rentrer dans son espace lumineux.

Le symbole et la parabole

La connaissance symbolique est le cœur de la connaissance et s’ouvrir à la dimension symbolique c’est rentrer au cœur de la connaissance. L’expérience de la connaissance, c’est la même chose que l’expérience de la vie. Sachant que le véritable sens de la connaissance, c‘est l’union de l’intime, comme Eve et Adam se connurent, on est dans la connaissance de l’intime qui passe par l’érotisme ontologique et ce que celui-ci peut apporter comme coïncidence fulgurante des intimes.

L’expérience du symbole c’est l’ouverture à la vie et à la connaissance. Lorsque nous vivons, nous sommes dans la vie concrète et au premier abord, nous ne sommes pas dans la connaissance, mais nous ne sommes pas non plus dans la vie. En général lorsqu’on est dans la vie concrète, on est submergés par celle-ci et on ne voit pas très bien ce qui se passe, jusqu’au moment où on assiste à un éveil de l’être. C’est ce qui va se passer lorsque les être vont commencer à sentir ce qu’ils vivent et à se le représenter. Cela veut dire que l’extérieur va faire vivre quelque chose d’intérieur, et en faisant cela, on va faire rentrer la personne dans le domaine du langage. Alors, va commencer le dialogue avec la vie, où vivre va être dialoguer avec les choses et avec les êtres. C’est-à-dire recevoir des sensations, se représenter les choses, exprimer des sensations et vivre dans ce jeu d’impressions, d’expressions et de représentations, commencer à devenir une personne, quelqu’un qui est porteur de l’invisible dans le visible.

Les conciles œcuméniques des huit premiers siècles aboutissent à la définition du Christ comme celui qui est autant homme que Dieu et qui est la plénitude manifestée, mais ils débouchent également sur l’icône et le sens de la personne. C’est la traduction du Verbe à l’intérieur de la pratique humaine.

Au commencement, se trouve un principe de vie fulgurant, ce principe est au cœur de l’homme dans le désir de plénitude qui le conduit, ce désir de plénitude transforme la relation au monde, crée un monde de langage dans lequel la vie matérielle se met à faire écho dans la vie intérieure et se met à représenter quelque chose et sur le plan de la vie humaine, cette relation entre le visible et l’invisible se traduit par la personne. L’homme devient image et porteur de quelque chose, plus l’homme évolue, plus son image grandit, elle est d’abord personnelle et sociale, puis elle est culturelle, enfin elle devient spirituelle, lumineuse et transcendante, on est dans le verbe qui se fait chair et qui s’exprime à travers la personne.

On voit bien que l’expérience du symbole est la manifestation du Verbe. Voir les choses sous un angle symbolique, c’est apprendre à voir la lumière divine à travers les choses et les êtres. C’est vivre dans un monde transfiguré, qui passe de l’extériorité à l’intériorité et de l’intériorité à la supériorité. Derrière tout être, se trouve une lumière divine époustouflante et l’expérience de la connaissance nous fait rencontrer cette lumière.

L’expérience du symbole.

Elle n’est pas simple car Il faut passer de l’extérieur visible à l’intérieur invisible, c’est ce qu’on peut appeler le symbole courant. Par exemple, derrière le lion, je vois la force et le courage, je passe de l’animal visible à une qualité morale invisible. Mais il faut aller plus loin, il faut aussi apercevoir le visible derrière l’invisible, c’est-à-dire revenir de la force au lion. Revenir vers le visible, c’est revisiter le visible avec les yeux de l’invisible, et découvrir dans le visible un principe fulgurant, une lumière, qui libère la vie, la connaissance et la conduite de la vie. Nous sommes alors dans la vie véritable et dans la plénitude, alors, ce que veut dire conduire sa vie et avoir une éthique prend du sens. Je conduis ma vie, je me laisse guider par la lumière divine éblouissante, je pratique cette relation à la lumière et je donne un sens fort à la notion de morale. Cette éthique me permet d’avoir un discernement et une force pour aborder les choses de ce monde.

Si on appelle la morale le principe et si on appelle l’éthique la manière de vivre, lorsque celles-ci sont reliées à la lumière divine, cela permet de conduire une vie authentique. Nous avons là une réponse à la question que posaient les anciens grecs païens : quelle est la meilleure des vies ? c’est la vie divine. Les anciens en avaient déjà le sens en disant qu’un être qui est capable de vivre de l’intérieur, de se nourrir de ce qui est en lui et de se laisser remplir par l’harmonie de son être intérieur, éprouve un sentiment divin de légèreté, de béatitude et de sérénité.

Ce que le paganisme a expérimenté et découvert, est décuplé dans la vie en Christ. Dans l’expérience du symbole, on a une compréhension de ce que le Christ signifie, Le Christ est la personne du Christ mais c’est aussi le principe Christ, c’est le principe fait Personne et c’est la personne faite principe, c’est le verbe, le soleil, la plénitude et c’est ainsi qu’il convient de la comprendre et qu’il est compris. Lorsque des personnes disent qu’elles ont rencontré le Christ, ce n’est pas forcément qu’elles ont vu la personne du Christ, bien que cela soit possible, mais l’expérience du Christ se fait aussi d’une manière invisible dans la relation entre le visible et l’invisible et dans le fait de ressentir en lisant les Evangiles que ces Paroles parlent de nous. Rencontrer le Christ c’est se rendre compte que ce qu’Il est et ce qu’Il vit, c’est ce que j’ai envie d’être et de vivre. On est là dans les principes de la vie spirituelle et dans l’extraordinaire de l’Evangile. L’Evangile, ce ne sont pas des valeurs auxquelles on adhère, l’Evangile c’est le Christ lui-même, c’est la divino-humanité, et c’est nous-même, c’est le principe fulgurant qui est en nous et que nous voulons faire vivre.

La vie christique passe par l’enseignement et l’enseignement passe par le parlant. Le Christ vient enseigner, cela veut dire transmettre le Verbe et mettre le Verbe au cœur des hommes. Enseigner est la tâche la plus importante qu’il y ait au monde. Il y a différentes manières d’enseigner, on peut le faire en parlant, mais dans toutes les tâches de la vie quotidienne, l’enseignement est là et quantité de choses sont des enseignements. Toute personne qui se tient dans son être profond et qui fait ce qu’elle a à faire est témoin de la lumière.

La différence entre le symbole et la parabole

Le Christ dit « Je vous enseignerai par paraboles » et il ajoute la chose la plus stupéfiante qui soit : « pour que vous ne compreniez pas », par ailleurs il dit : « Je vous enseignerai par paraboles les choses cachées depuis la fondation du monde ».

En Mathieu au chapitre 13, on peut lire : « Jésus dit à la foule toutes ces choses en paraboles et il ne lui parlait point sans parabole, afin que s’accomplisse ce qui avait été annoncé par les prophètes : j’ouvrirai ma bouche en parabole, je publierai des choses cachées depuis la fondation du monde » Auparavant, le Christ dit qu’il parle non pas pour être compris mais pour ne pas être compris.

La parabole du semeur 

Ce jour-là, Jésus sortit de la maison et s’assit au bord du lac. 2 La foule se rassembla autour de lui, si nombreuse qu’il monta dans une barque où il s’assit. Toute la foule se tenait sur le rivage.
3 Il leur parla en paraboles sur beaucoup de choses. Il dit :
4 « Un semeur sortit pour semer. Comme il semait, une partie de la semence tomba le long du chemin ; les oiseaux vinrent et la mangèrent. 5 Une autre partie tomba dans un sol pierreux où elle n’avait pas beaucoup de terre; elle leva aussitôt, parce qu’elle ne trouva pas un terrain profond,
6 mais quand le soleil parut, elle fut brûlée et sécha, faute de racines.
7 Une autre partie tomba parmi les ronces; les ronces poussèrent et l’étouffèrent.
8 Une autre partie tomba dans la bonne terre; elle donna du fruit avec un rapport de 100, 60 ou 30 pour 1.
9 Que celui qui a des oreilles [pour entendre] entende.»
10 Les disciples s’approchèrent et lui dirent: «Pourquoi leur parles-tu en paraboles?» 11 Jésus [leur] répondit: «Parce qu’il vous a été donné, à vous, de connaître les mystères du royaume des cieux, mais qu’à eux cela n’a pas été donné.
12 En effet, on donnera à celui qui a et il sera dans l’abondance, mais à celui qui n’a pas on enlèvera même ce qu’il a. 13 C’est pourquoi je leur parle en paraboles, parce qu’en voyant ils ne voient pas et qu’en entendant ils n’entendent pas et ne comprennent pas. 14 Pour eux s’accomplit cette prophétie d’Esaïe : Vous aurez beau entendre, vous ne comprendrez pas, vous aurez beau regarder, vous ne verrez pas.
15 En effet, le cœur de ce peuple est devenu insensible.

Nous avons affaire à quelque chose de tout à fait extraordinaire qui permet de comprendre la nécessité d’aller au-delà du symbole pour réaliser celui-ci.

Le mot parabole signifie « jeter quelque chose à côté » Une parabole c’est deux choses, d’une part c’est une comparaison, d’autre part c’est une figure mathématique qui ressemble à un U est qui est caractérisée par la symétrie.

Une parabole est une image utilisée de façon harmonieuse de façon à libérer un enseignement caché. Le Christ enseigne en paraboles parce qu’il s’adresse à l’inconscient des êtres humains dans lequel est logé le sur conscient.

Berdiaef a bien compris cela, il a compris qu’à la base de la réalité se trouve un principe fulgurant qui va du visible à l’invisible et de l’invisible au visible et qui est exprimé par la divine trinité. Il rajoute que l’homme manifeste en lui ce principe fulgurant par sa structure ontologique qui est marquée par l’inconscient, le conscient, et le sur conscient.

Faire l’expérience de Dieu, c’est faire l’expérience de la création, c’est-à-dire l’accès à la lumière éblouissante de Dieu. Et en l’homme, c’est ce qui se passe lorsque celui-ci récapitule l’inconscient, le conscient et le sur conscient.

Le conscient est la modalité de passage qui permet d’aller de l’inconscient au sur conscient. C’est ce que l’on retrouve chez Aristote comme le « juste milieu » ou bien chez Pythagore « le moyen terme », c’est le lieu du passage.

Il faut comprendre l’inconscient et le sur conscient comme étant les modalités du rapport de la relation entre l’invisible et le visible et entre le visible et l’invisible. En clair, lorsque nous vivons dans la réalité, nous sommes à un premier niveau de réalité banale dans lequel on ne voit rien. C’est un niveau où nous sommes marqués par la vision égotique, matérielle et immédiate de l’homme. L’homme vit pour lui, il ne s’intéresse qu’à lui et à sa survie parce qu’il vit dans la peur de mourir comme un petit enfant affolé.

Il est sidérant de voir à quel point cet être infantile, terrorisé par la mort a pris possession de notre monde.

Dans cette situation, on ne voit rien.

Ce qui fait qu’il va y avoir « Eveil », c’est une fracture de cet être infantile, vivant dans la mort, lorsqu’il fait l’expérience de l’inconscient, c’est-à-dire de la vie profonde. L’expérience de la vie profonde, c’est ce qui vit longtemps en nous, tellement longtemps que cela vit au-delà de nous-mêmes. Lorsque nous avons des émotions profondes, il y a un choc qui est emmagasiné dans notre vie profonde et qui vit en nous. Cette émotion nous accompagne mais elle a aussi sa vie propre, parfois elle disparait et réapparait. Dans l’inconscient nous faisons l’expérience de l’au-delà à l’intérieur de nous-mêmes. Pour la première fois, à travers l’inconscient nous prenons conscience d’un au-delà de nous.

L’expérience de la conscience, n’est pas celle de l’éveil, mais c’est l’expérience stupéfiante de l’au-delà de l’au-delà. Nous avons des émotions inconscientes en nous qui vivent au-delà de nous en nous parlant quelque part de l’au-delà, et à un moment donné nous sommes capables d’aller au-delà de ces émotions en les faisant vivre dans la réalité. Ceci est extrêmement créateur car nous devenons capables de parler de l’au-delà dans le monde et d’amener des messages lumineux qui viennent de notre profondeur qui se manifeste sous la forme consciente.

Lorsque nous commençons à parler de l’au-delà, cela peut aller très loin. En effet, il est possible de parler de l’au-delà de manière humaine mais il est aussi possible d’en parler de manière plus qu’humaine, et là nous sommes devant l’extraordinaire de l’expérience psychique profonde. La psyché renvoie à un miroir, je me fais miroir d’émotions qui me relient à un au-delà dont je n’ai pas imagination. Nous sommes là devant quelque chose de totalement fulgurant.

Je ne peux pas parler de cela normalement parce qu’en parler vraiment, c’est en donner l’expérience et le goût, pour libérer l’être humain. Si je parle dans la vie quotidienne des hauts secrets de la connaissance, du conscient, de l’inconscient et du sur conscient, personne ne comprendra. Ce langage sera inintelligible pour la personne normale qui est dans son égo, dans la matérialité et l’immédiateté, ne voyant pas autre chose que le pragmatisme, l’utilitarisme et le cynisme.

Pour libérer ces être et leur permettre de découvrir autre chose, il ne faut pas s’adresser à leur égo, mais il faut parler à leur inconscient. En nous, nous avons un être profond qui sait que l’au-delà existe, que le sur-conscient existe et que la réalité n’est pas l’égo. Nous savons que nous vivons mal et que nous ne sommes pas conformes à ce que nous devrions être, c’est pour cela que nous ne sommes pas contents de nous-mêmes, pas contents avec le monde, en colère, angoissé et mal dans notre peau.

On sait que le malaise du monde est un malaise métaphysique parce que notre être profond ne vit pas. On se libère de ce malaise en donnant la parole à l’inconscient qui va informer la conscience et provoquer un passage vers le sur-conscient.

C’est ce que fait une parabole : tout le monde s’attend à ce que le Christ fasse un sermon de morale, mais au lieu de cela, Il raconte une fable, une parabole qui plait à notre inconscient parce qu’elle lui parle sa langue. Si le Christ faisait un sermon de morale, il dirait à son public que celui-ci est ignorant, égoïste et cynique, les gens ne comprendraient pas et seraient renforcé dans leurs mauvaises attitudes.

Pour contourner l’obstacle, le Christ parle à l’inconscient, ceci est déroutant car la foule s’attend à être sermonnée et le Christ lui donne à entendre ou plutôt « à manger et à boire » une fable.

Là commence le travail de l’au-delà, très bien décrit par le Christ dans la parabole du semeur. Lorsqu’on parle à l’inconscient, il y a les oiseaux, les pierres, les épines, la bonne terre et nous n’allons pas tout de suite comprendre ce dont il est question. Ou plutôt, lorsqu’une parole est prononcée, il y a toujours 4 niveaux de discours et nous avons tous ces niveaux de discours et de sens en nous-mêmes.

Premier niveau : On déteste cette parole et ce sont les oiseaux qui l’enlèvent.

Deuxième niveau : On aime cette parole mais on est superficiel et elle est également emportée

Troisième niveau : On est harassé par l’angoisse du monde et on voit cette parole avec le souci du monde

Quatrième niveau : On est capable d’entendre la parole dans l’inconscient et celui-ci va l’amener dans le conscient et dans le sur conscient. A ce moment-là, on est dans l’extraordinaire de la parole.

La même personne peut être dans ces 4 niveaux de sens pour une même parole, elle peut à la fois la détester, l’aimer mais vite l’oublier, en être distraite par les soucis du monde et finir par la comprendre et en vivre. Dans la parabole du semeur, le Christ en grand thérapeute, décrit exactement ce qu’il en est et il parle à la foule de ce qu’elle est, c’est-à-dire la terre avec les oiseaux, les pierres, les épines et enfin la bonne terre. En comprenant cela, chacun peut comprendre qui il est et il y a des chances pour qu’il comprenne le Christ. On est dans un travail de purification extraordinaire et dans un autre texte, le Christ va plus loin en parlant de l’ivraie semée par l’esprit du mal qui pousse en même temps que le bon grain. Il faut attendre que le temps de la moisson arrive pour pouvoir séparer le bon grain de l’ivraie, en attendant, ils poussent ensemble.

Le Christ fait une analogie entre ce qu’il dit et la fin des temps et le royaume des cieux. En effet lorsqu’on sème une parole, il vient toujours le diable qui déforme cette parole et créé un état de confusion où les bonnes et les mauvaises paroles sont rassemblées. On ne peut pas défaire ce mélange du jour au lendemain, il faut attendre le temps des moissons qui est la fin du monde où les anges viendront nettoyer les champs et restaurer les justes. Cela va très loin, la parabole ne parle pas simplement de l’état des êtres, mais également de l’eschatologie.

Le problème du monde dans lequel nous vivons, est celui de la Parole qui n’a pas été entendue, qui a été détournée et qui a entrainé un monde complètement coupé de ses racines. Il faut donc la fin de ce monde pour que soit restaurée l’intégrité de la Parole.

Nous avons affaire à quelque chose d’extrêmement profond qui permet de comprendre ce que veulent dire la morale, l’éthique et la manière de conduire sa vie. La vraie morale chrétienne nous met en face de l’émerveillement et de la connaissance, elle nous met en face d’une expérience très pratique, celle des yeux, des oreilles et de la parole. La véritable éthique est fulgurante, avons-nous des yeux et des oreilles pour la comprendre ? Sommes-nous capables d’aller au-delà de notre égo pour le faire rentrer et vivre en nous-même afin qu’il puisse déboucher non seulement sur la conscience mais sur la sur conscience.

Faire une expérience morale authentique, c’est laisser cheminer en soi une pensée, une parole, un mot et le vivre de tout son être, c’est ce que l’on peut appeler l’expérience intérieure, et c’est ce qui se passe lorsqu’on laisse une image ou une parole vivre et grandir en nous.

Dans l’Eglise Catholique c’est la pratique de la lectio Divina, dans l’Eglise orthodoxe, lorsque les pères du désert se rencontraient les uns les autres, ils commençaient toujours leur entretien par : « Père dis-moi une parole ! » Nous sommes au cœur de la morale chrétienne qui est une éthique de la manducation de la parole comme dirait Marcel Jousse. Que faisons-nous des paroles et des images que nous recevons ?

Les pères disaient qu’un ancien qui pratiquait la prière avait le secret de leur inconscient, il leur disait quelque chose qui paraissait banal ou incongru mais la méditation de cette parole leur ouvrait les portes du royaume.