29 -La morale sans Dieu, la laïcité.

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Nous avons parlé de l’homme coupé en deux et de la scission qu’il peut y avoir entre l’image et le désir qui fait qu’on assiste à des désirs sans image, à des images sans désirs et à la crise de la relation qu’il peut y avoir entre l’image et le désir. Crise qui se manifeste dans la vie morale comme dans la vie matérielle et qui est à la base de la détresse dans laquelle on est.

La parole de Saint-Paul, « je vois le bien et je fais le mal » exprime bien cette crise et c’est le contraire de la véritable Parole du Christ qu’on trouve dans les Evangiles : « Que ton oui soit oui et que ton non soit non », être un, et ne pas être divisé. Cette division que l’on trouve dans l’homme, on la trouve également dans le champ moral et politique.

Lorsqu’on parle de laïcité, on peut être frappé par la confusion qui règne à ce sujet, cette confusion provient de l’oubli de ce qu’est au fond la laïcité. Aujourd’hui nous vivons une laïcité fantasmatique et pas une laïcité réelle.

Revenons sur la laïcité réelle et sur les causes de son explosion, avant de voir comment elle peut se reconstituer et sur ce que peut signifier aujourd’hui, une véritable laïcité.

L’approche contemporaine de la laïcité

Derrière la question de la laïcité, nous trouvons la question de la liberté et de la relation qu’il y a entre la liberté et Dieu. Dans notre approche contemporaine de la laïcité, la liberté est une chose, Dieu en est une autre, est il ne doit pas y avoir de relation officielle entre la liberté et Dieu. Certaines personnes peuvent penser que la liberté et Dieu sont compatibles, mais il leur est demandé de conserver cette idée pour eux-mêmes, comme une idée privée.

Notre monde entend par laïcité, la liberté individuelle, la possibilité du choix et du pluralisme, ce que nous appelons la démocratie. La laïcité, c’est de pouvoir vivre dans un pays où on choisi sa croyance, sa religion, sa spiritualité, ce qui veut dire que l’on peut choisir d’en avoir ou pas, et si on en a, de choisir celle qu’on veut.

Le fondement de la laïcité réside dans la garantie par l’état et les institutions de la liberté individuelle totale en matière de croyance religieuse. Ce qui apparait dans cette vision des choses, c’est d’abord que le fond du problème repose sur un oubli, mais aussi sur des drames historiques qui aboutissent à une impasse contemporaine.

Premièrement, lorsqu’on voit aujourd’hui une opposition entre la liberté et Dieu, on se trompe totalement car s’il y a bien quelque chose qui peut garantir la liberté individuelle, c’est Dieu, et si nous avions conscience du lien profond qui existe entre la liberté et Dieu, nous résoudrions les problèmes auxquels nous sommes confronté avec la laïcité.

L’expérience de la liberté

Lorsqu’on parle de la liberté, il faut distinguer l’indépendance, l’autonomie et la délivrance.

L’indépendance

L’indépendance consiste à ne pas dépendre d’un maitre et à pouvoir disposer de sa propre vie, c’est la liberté de l’affranchi par opposition à la dépendance de l’esclave qui  ne dispose pas de sa liberté. L’indépendance est le problème numéro un de la liberté dans notre monde, quantité d’hommes et de femmes souffrent de ne pas pouvoir disposer librement de leur propre vie du fait de structures politiques, religieuses, morales, familiales, idéologiques ou cultuelles oppressantes. Il est beau d’avoir la liberté extérieure de pouvoir disposer juridiquement de soi, mais encore faut-il en avoir la liberté intérieure, et c’est ce que donne l’autonomie, ou bien la volonté.

L’autonomie

L’autonomie, c’est la capacité que nous avons de fixer nos propres règles. C’est le propre de la volonté d’avoir une règle et de s’y tenir, il est beau d’avoir de l’autonomie, mais dans nos sociétés c’est un problème redoutable. Si de par le monde, l’indépendance est un véritable problème, souvent parce que des structures sociopolitiques archaïques oppriment les hommes et les femmes, dans nos sociétés évoluées, c’est l’autonomie qui en est un.

Il existe une véritable difficulté pour les hommes et pour les femmes d’avoir de la volonté, on s’en rend compte à l’occasion des différentes addictions qui s’abattent sur la société et qui montrent les difficultés qu’il y a à gérer les problèmes d’alcool, de tabac, de nourriture et d’addictions diverses, mais en disant cela, nous ne sommes pas encore au cœur de la liberté. Le cœur de la liberté, c’est ce qu’on trouve dans la délivrance.

La délivrance

La délivrance fait penser à l’accouchement où femme qui met au monde un enfant est délivrée et où l’enfant qu’elle portait dans son ventre voit le jour. C’est une belle image de ce que veut dire la liberté, au sens où nous possédons tous à l’intérieur de nous, un être profond, et être délivré, c’est pouvoir libérer cet être profond. C’est un des plus grands problèmes de l’existence, non plus politique, non plus personnel et psychologique, mais existentiel et métaphysique.

Ce qui est beau dans la vie humaine, c’est sa quête, c’est ce que ressentent les homes et les femmes. Chacun d’entre nous sait qu’il existe un être authentique et nous souffrons de ne pas pouvoir l’exprimer, alors que nous aimerions le faire. Il nous arrive parfois d’y arriver et de dire comme Rimbaud dans « Le bateau ivre », cette phrase magnifique : «  et j’ai vu quelques fois ce que l’homme a cru voir », nous voyons quelques fois ce qui semble être le fond de nous-mêmes et que nous n’arrivons pas toujours à exprimer. C’est dans l’art que certains artistes arrivent à accoucher d’eux-mêmes et à exprimer  leur nécessité existentielle, lorsqu’ils y arrivent, ils sont délivrés et, étant délivrés, ils sont au delà de la dualité qu’il peut y avoir entre la vie et la mort.

Dans « Les manifestes surréalistes », André Breton explique que toute sa vie, il a cherché ce point de l’existence où le haut et le bas, le bien et le mal, la vie et la mort, n’étaient plus en opposition. Il dit que l’acte surréaliste par excellence, consiste à descendre dans la foule et à décharger un révolver sur elle, pour comprendre cela, il faut comprendre ce que veut dire André Breton lorsqu’il cherche ce point de l’existence où tout est dépassé et où l’être humain arriverait à libérer le potentiel qui est en lui. André Breton, comme les surréalistes, a recherché l’existence authentique et il a considéré que la médiocrité était la pire des choses qui pouvait s’abattre sur l’homme. Cette médiocrité existe dans les systèmes mentaux d’opposition dans lesquels nous enfermons l’existence, en n’apercevant pas que l’essentiel se trouve au-delà des dualités. Il y a là quelque chose que l’on peut qualifier comme étant le point apophatique de l’existence que l’on trouve dans la vie spirituelle profonde, comme celle qui est pratiquée par les moines et les moniales.

Dieu et la liberté sont indissociables

Dans cet état de délivrance, on se trouve dans un paradoxe total, car on ne fait pas ce que l’on veut, mais c’est cela qui rend libre. Il y a une coïncidence entre la nécessité que l’on ressent en soi-même, et soi-même, entre nous et ce qui s’impose à nous, là nous faisons l’expérience de la liberté divine. Dieu et la liberté sont indissociables, si nous appelons Dieu, l’être animé par le souffle divin qui est en nous et qui est capable d’aller dans la plus grande profondeur de l’existence, nous nous apercevons que ce qui nous rend libres, c’est cet être qui se trouve à l’intérieur de nous et à qui il arrive parfois de se rebeller contre notre médiocrité pour nous pousser au-delà de nous-mêmes.

Autrement dit, nous sommes libre, pas simplement parce que nous le voulons, mais parce que quelqu’un en nous le veut, un autre que nous le veut.

Nous ne sommes pas libres tous seuls

Il est beau de pouvoir affirmer sa liberté et d’être capable de dire que nous voulons être libres, mais il est encore plus beau  que quelqu’un ait assez d’amour pour nous, pour dire : « je veux que tu sois libre ». La liberté quand elle est la prière d’autrui adressée à nous-mêmes, prend une forme prodigieuse. Nous ne parlons jamais de la liberté à travers la relation à autrui, nous parlons toujours de la liberté par rapport à nous-mêmes, dans le cadre où il y aurait d’un côté une structure oppressante qui s’oppose à nous, et nous qui affirmons notre liberté ou celle des autres contre cette structure. La liberté est  toujours envisagée comme un combat contre une adversité qui veut empêcher d’être libre. Nous pensons la liberté d’une manière paranoïaque  et solitaire, et nous ne la pensons jamais dans la beauté, à travers une relation à autrui où quelqu’un demande à l’autre d’être libre, et cette demande l’aide infiniment à le devenir.

Il est difficile d’être libre quand on l’est tout seul, par sa volonté et il est léger et puissant de pouvoir devenir libre parce qu’un autre nous le demande et c’est quelque chose d’extrêmement fort dans l’éducation. Avoir un père ou une mère, c’est les avoir entendus dire, un jour, « je voudrais que tu deviennes un être vraiment libre », lorsqu’un parent vous dit cela, c’est tout à fait extraordinaire. Quand une autorité, qu’elle soit morale, religieuse ou politique, dit cela, c’est la chose la plus extraordinaire qui puisse se passer.

Imaginez un père ou une mère qui se mettent à se fâcher en disant qu’ils trouvent que vous n’êtes pas assez libre, imaginez une institution religieuse, morale ou politique qui arrive à s’indigner devant le manque de liberté, il y a là quelque chose de génial !

Dans la bible, Dieu se met en colère, dans les Evangiles, le Christ a un moment de colère devant les marchands du temple. La sainte colère vient de ce que l’humanité n’est pas assez libre aux yeux de Dieu, et qu’elle est enfermée, soit dans un ritualisme religieux, soit dans l’apathie individualiste recroquevillée sur elle-même et sur ses propres prérogatives.

Quand nous analysons l’expérience de la liberté, nous trouvons une coïncidence entre notre liberté et la volonté d’un autre, nous ne sommes pas libres tous seuls, mais nous sommes libres parce que, autour de nous, il y a des gens qui veulent que nous le soyons, il y a une culture qui veut que nous le soyons. D’où l’erreur que l’on fait quand on dit qu’on ne veut pas qu’on nous impose quelque chose et qu’on veut librement pouvoir choisir et inventer nos propres valeurs, car cela est à la fois vrai et faux. C’est vrai quand on est dans un monde primaire où il y a une telle oppression que les individus ne sont pas libres de leurs choix et de leurs propres valeurs, mais le monde de la liberté, c’est aussi un monde où on impose quelque chose, où on s’impose des choses les uns aux autres, où on n’a pas affaire à un monde indifférent qui ne demande rien, qui n’impose rien, qui ne veut rien. Il y a une crise politique, morale et spirituelle majeure parce que plus personne n’ose imposer quoi que ce soit, plus personne n’a assez d’amour de la liberté, de la vie et de la pensée pour pouvoir l’imposer. Sous prétexte de respect et de tolérance à l’égard des autres, on n’ose plus rien dire et on ne dit plus rien.

Le problème de la laïcité se trouve là, le jour où nous serons capables de vivre une culture dans laquelle on aura assez d’amour les uns pour les autres pour vouloir que les autres soient libres, le jour où on aura une véritable paternité et une véritable maternité capables de vouloir cette liberté pour l’autre, le problème de la laïcité sera résolu.

Le sens du destin rend libre.

Dans la vie spirituelle profonde, faite de prière et de vie liturgique, Etre avec le Christ et l’Eglise, c’est devenir libres, c’est-à-dire délivrer l’être céleste qui se trouve en nous et qui est en exil,  et c’est la seule chose qu’ils attendent de nous.

Les Grecs anciens avaient un sens de cette relation à travers la notion de destin, dont on explique toujours qu’elle entrave la notion de liberté, la liberté étant de pouvoir choisir et le destin ne laissant pas le choix. Pourtant, rien ne rend plus libre que d’avoir un destin, le destin, c’est l’être céleste en nous qui nous appelle pour que nous ayons une destinée et que nous ne soyons pas simplement un individu venu par hasard et vivant pour rien. Il est beau d’être destiné à quelque chose, il est beau de rejoindre sa destiné et de vivre en ayant le sentiment d’une destination.

Vivre avec le sens du destin et de la destination, c’est vivre avec la grandeur, le destin dit à l’homme : « Tu n’as pas le droit d’être banal, d’être médiocre, d’être vulgaire, tu n’as qu’un seul devoir, c’est d’être grand, beau, généreux et rayonnant ». Le monde dans lequel nous somme est terrible, l’individu est tout seul, destiné à rien, personne ne s’occupe de la destinée, on n’ose plus parler de la grandeur et pire encore, certains demandent un droit à la médiocrité et cela est terrifiant, pourtant nous sommes dans un monde où on vit une grande liberté spirituelle, une grande tolérance les uns avec les autres.

La vraie tolérance.

 Lorsqu’on réconcilie la liberté et Dieu, l’homme et l’être céleste, cela nous donne une vraie tolérance et une vraie ouverture d’esprit parce que nous devenons attentifs au trajet spirituel de chacun, nous comprenons que tout être humain est dans une problématique individuelle de la délivrance et cette problématique a des trajets singuliers avec des occasions mais aussi des difficultés spécifiques pour chaque individu. On veut avoir un monde de tolérance, mais on ne se regarde pas et on ne s’écoute pas spirituellement, on appelle tolérance, le droit de penser ce qu’on veut, c’est-à-dire le droit de penser n’importe quoi.

La vraie tolérance, ce n’est pas cela, c’est faire attention à la pensée de l’autre parce qu’on a le souci de l’autre et de sa liberté, on a le souci de la liberté et de la délivrance. Si nous étions capable de vivre tous ensembles l’expérience de la délivrance, nous serions extrêmement attentifs les uns aux autres et nous serions dans un monde qui connaîtrait une vraie culture et une vraie ouverture.

L’échec de la laïcité

Dans notre monde, la véritable laïcité n’existe pas et quatre éléments permettent de comprendre cet échec.

L’autoritarisme

Dans le cadre du religieux et de l’Eglise, c’est la déviation qui a été faite d’un désir d’ordre religieux. Pour que l’Eglise vive, il faut laisser l’Esprit s’exprimer, il faut le vivre et lui permettre de vivre car c’est l’Esprit qui nous guide. C’est l’expérience du cœur et de la Présence qui guide et qui permet de donner l’ordre et l’harmonie véritables.

Il ne peut y avoir harmonie dans la politique de l’Eglise que quand tout est vécu de l’intérieur par une présence totale à l’existence que l’on appelle l’Esprit. Le problème de l’Eglise est celui de toute organisation humaine, c’est la tentation de vivre les choses non plus par le cœur et la Présence, mais par le mental, la représentation et un ordre purement abstrait qui est plaqué sur la réalité.

Dans notre monde, c’est l‘idée qu’on peut régler une société d’une manière purement technique comme on règle une machine. Une société est faite d’êtres humains et elle ne peut fonctionner que si on parle à ces êtres humains et si on leur dit des choses qui viennent du cœur et de la Présence. Si on veut plaquer un ordre abstrait dans lequel on ne parle pas des individus et de la vie sociale, celle-ci s’étouffe totalement, et on débouche sur une crise morale et psychique et sur  des phénomènes d’angoisse et de mélancolie. Cela se voit dans toutes les institutions qui sont devenues des grandes machines totalement dépersonnalisées où les hommes et les femmes souffrent énormément du carcan dans lequel ils se trouvent.

La  mentalisation

Ce problème qui saisit les sociétés humaines peut aussi saisir l’Eglise au moment où, sous prétexte d’ordre, ce n’est plus un ordre venu du cœur et de la vie spirituelle intense qui guide l’Eglise, mais c’est un ordre technique, humain, moral et organisationnel, aussi abstrait que celui qu’on peut trouver en dehors de l’Eglise, dans la société humaine. Pascal décrit très bien cet ordre totalement abstrait qui tend à se substituer à l’Eglise, il l’appelle l’ordre des « dévots », c’est la version moderne des pharisiens que l’on trouve dans les Evangiles.

Ne négligeons pas les critiques que le Christ adresse aux pharisiens. Au départ, les pharisiens sont l’élite spirituelle du judaïsme, ce sont des êtres remarquables qui vivent et pensent la tradition, le problème c’est que sans s’en rendre compte, ils l’on mentalisée, ils ont créé un monde mental, abstrait et formel qui n’est plus vécu de l‘intérieur. A un moment, la religion devient un autre conformisme et on appelle religieux, non pas celui qui vit la Présence de l’intérieur, mais celui qui se conforme à un système de règles de l’extérieur. Ceci débouche sur une perversion de la tradition, et derrière elle, sur la pollution de la transmission.

Si une tradition spirituelle n’est plus vécue spirituellement comme une expérience de la Présence, et de l’Esprit qui guide, le monde est dévié et perd le sens de sa destinée, de sa vocation, de sa liberté et son être profond est maintenu à l’intérieur, sans pouvoir naître.

La laïcité au sens fort a été détruite, et elle est détruite à chaque fois que la religion est mentalisée et que ceux qui ont pour charge d’être les témoins et les médiateurs commettent une faute à l’égard de leurs responsabilités. Si on appelle laïcité, la liberté profonde, la liberté spirituelle et authentique qui doit exister dans une société, cette liberté est mise à mal à chaque fois qu’un ordre mental extérieur se saisit de cette société pour la dévier totalement de sa réalité. Il y a ce que Julien Benda appelait une trahison des clercs, et on comprend que le Christ soit très ferme à l’égard des pharisiens, parce que lorsque ceux qui ont pour charge d’être les prêtres de l’humanité faillissent à leurs  responsabilités, c’est l’humanité qui dérape.

Dans le monde occidental, on a cru pouvoir sauver la religion en créant un système autoritaire absolutiste dans lequel  la religion devenait un conformisme social et politique et on voit très bien sur quoi cela repose, lorsqu’on cède à la mentalisation des choses, on a le même type de raisonnement que celui qu’on voit dans « Les frères Karamazov », mis en place par le grand inquisiteur lorsqu’il dit au Christ : « Tu as voulu que l’hommes soit libre, qu’il soit un êtres spirituel, et que la politique de l’humanité soit une politique du cœur et de la vie spirituelle, mais tu ne te rends pas compte que les hommes sont médiocres et qu’il faut les gouverner et les diriger. »

 C’est cela qu’on trouve à la base de ce qui détruit la liberté spirituelle, c’est l’idée que les hommes sont faibles et médiocres, et qui si on ne les dirige pas, ils seront incapables de se diriger.

La crainte du religieux

L’absolutisme qui s’est emparé de la société classique a obéit à cette crainte que si on n’ordonne pas la société et les esprits, ceux-ci vont être désordonnés. La religion qui veut tout ordonner, qui a peur, et qui veut toujours organiser pour prévenir, tue la vie spirituelle, et cela débouche sur la crise de la liberté dans notre monde. Nous sommes dans un monde laïc qui veut séparer la liberté et Dieu et qui en appelle à la neutralité totale de l’état en ce qui concerne la vie religieuse et spirituelle. A la base de cet appétit de séparation entre la liberté et Dieu, il y a la crainte jamais exprimée et jamais soignée du religieux. Pour vouloir à ce point séparer la liberté et Dieu, faut-il avoir peur de Dieu et imaginer que la religion ne peut être que répression, oppression, domination et pouvoir.

La majorité de nos contemporains pensent que tous les maux de l’humanité viennent de la religion et qu’elle est forcement synonyme de domination. C’est l’image qu’un certain laïcisme a de la religion qui pour lui, est synonyme de violence, de domination et d’oppression. Elle est synonyme de la religion des dévots et des pharisiens et cela a entrainé la triple impasse dans laquelle se trouve aujourd’hui la laïcité.

La triple impasse de la laïcité

La première, c’est la laïcité de 1789, la deuxième, celle de 1905 et la troisième c’est celle que nous vivons aujourd’hui à travers la notion de neutralité.

La laïcité de 1789

En 1789, on voit apparaître la laïcité pour la première fois, sous la forme de la séparation totale du religieux et du politique en établissant en dogme, la liberté absolue de choix en matière religieuse et morale. Dans un premier temps, cela entraine un grand enthousiasme, un souffle de liberté, c’est la victoire du libre penseur et de l’esprit critique. Mais très vite, on voit apparaître une contradiction profonde, parce que la liberté de croire est une liberté purement factice, la vérité de la liberté de 1789, ce n’est pas la liberté de croire, c’est celle d’être contre la religion et de pouvoir, délibérément, être athée.

Allons plus loin, la liberté de 1789, c’est le blasphème, thème au combien important dans notre société, puisqu’à l’occasion des tragiques évènements de Charlie Hebdo, nous avons vu que la question du blasphème est au centre de la laïcité. Le Marquis de Sade réclame la liberté de pouvoir insulter la religion si bon lui semble. La république est ce lieu dans lequel il doit pouvoir être possible, certes pour les uns, de croire, mais surtout, pour les autres de ne pas croire et, si bon leur semble, de blasphémer.

On débouche nécessairement sur une guerre de type religieux, sur l’absence de liberté de croyance et sur l’impossibilité de bâtir une société dans laquelle les êtres venus d’horizons différents peuvent vivre les uns avec les autres car il est impossible de créer une société dans laquelle les uns insultent la religion des autres.

On se retrouve dans une impasse, c’est ce qui est apparu à l’occasion des évènements de Charlie Hebdo car, à cette occasion, nous avons entendu les autorités politiques expliquer que la république se fondait sur la liberté de la presse dont celle de pouvoir blasphémer et il s’agissait là d’une liberté « sacrée ». Ceci était dans la droite ligne de ce que l’on trouve dans la déclaration de 1789, elle-même totalement en phase avec le « Don Juan » de Molière ou la « philosophie du boudoir » du Marquis de Sade qui réclame le droit au blasphème.

Pourquoi pas ? Mais dans ce cas, on se retrouve dans une contradiction profonde parce qu’il est impossible de fonder une société laïque, si par laïcité on entend la possibilité du blasphème.

La laïcité de 1905

En 1905, on assiste à une deuxième loi concernant la laïcité, et celle-ci repose sur la séparation de l’Eglise et de l’état. Cette loi est surréaliste parce que l’Eglise et l’état sont déjà séparés depuis plus d’un siècle. L’enjeu véritable de cette séparation est toujours actuel, et c’est celui d’éradiquer de la société française, les traces chrétiennes et notamment catholiques, en s‘en prenant en particulier au trop grand rôle que celle-ci joue dans l’éducation et dans la culture. Dans la loi de 1789, on était dans une laïcité ouvertement athée, et là  on a affaire à une laïcité anticatholique et antichrétienne.

Le problème est toujours le même,  et on se demande comment il est possible de bâtir une société laïque, c’est-à-dire fondée sur la liberté de croire, si par ailleurs, au nom de la laïcité on est ouvertement, soit antireligieux, soit anticatholique. Si on respecte la liberté de croire, on doit pouvoir être chrétien et être catholique, avoir des opinions religieuses et ne pas être insulté, ou ne pas être appelé à disparaître de la scène sociale.  La laïcité veut à la fois la liberté de croire et en même temps être athée et anticatholique en défendant le droit au blasphème, mais cela rend une société de tolérance impossible. On vit une tolérence à sens unique car on considère que sur la scène publique, on doit tolérer le blasphème mais pas le catholicisme et ceci est  une contradiction profonde.

La laïcité aujourd’hui

Au-delà de ces contradictions qui montrent un passé qui n’a pas été résolu à l’égard du christianisme et de la foi, se pose un véritable problème pour la République aujourd’hui. Pour bâtir une société, il faut faire des choix et cela implique nécessairement d’avoir des principes et des articles de foi fondamentaux dans lesquels on croit. Notre société est bâtie sur l’idée que la croyance est irrationnelle et qu’il faut pouvoir vivre dans un monde dépourvu de croyance. Pratiquement parlant, c’est impossible dans la mesure où vivre et agir dans la sphère politique, se fait nécessairement à partir d’un certain nombre de croyances et d’articles de foi fondamentaux dans lesquels on croit. La République n’existe que parce qu’on croit en elle et parce qu’on la pose en tant que principe fondamental et souverain. Si on veut refuser toute croyance, on est obligé de détruire la croyance même dans la République. La laïcité est aujourd’hui confrontée à elle-même, car pour que la laïcité existe, il faut nécessairement, à la base de la laïcité, un certain nombre de croyances, lesquelles sont nécessairement non laïques, c’est-à-dire non neutres, autrement, il n’y a pas de laïcité possible.

Le point faible de notre monde

Nous vivons aujourd’hui une crise profonde de la laïcité parce que la culture qui est la nôtre n’a pas voulu regarder en face son propre passé. Il faut regarder notre passé religieux et apercevoir que nous vivons dans le traumatisme à l’égard du religieux parce que nous vivons dans l’opposition entre les dévots d’une part et les libertins d’autre part.

Ce n’est pas par hasard, qu’à un moment, on voit apparaître les fanatiques d’une certaine religion qui commettent des attentats. Ils ont très bien compris que le point faible de notre monde était le religieux et que ce que l’on redoutait le plus, c’était le fanatisme. Donc, d’une manière extrêmement maligne et perverse, ceux qui veulent prendre le pouvoir dans le monde, ont bien compris qu’il y a un point avec lequel ils sont surs de terroriser tout le monde, c’est de faire voir l’image du religieux que notre monde redoute de voir exister.

Nous sommes libéraux et libertaires parce que nous avons la hantise du fanatisme et on nous a servit le fanatisme le plus extrême qui s’oppose à notre aspect libéral et libertaire. Pour sortir de cette impasse, il faut reconstruire une laïcité, c’est-à-dire un monde dans lequel nous puissions vivre en venant d’horizons différents.

La disparition de la culture

Actuellement, il n’y a aucun discours sur la laïcité, on entend des hommes politiques parler de la laïcité, mais personne n’a abordé sérieusement le problème parce que tout le monde se réfugie derrière les lois de 1789 et 1905 et personne ne veut regarder la réalité d’aujourd’hui. Le paradoxe, c’est que nous pensons la réalité d’aujourd’hui avec près de deux siècles de retard, nous imaginons que c’est avec les lois de 1789 et de 1905 que nous allons pouvoir traiter les problèmes en 2018. La situation est d’autant plus surréaliste que l’on oppose à l’Islam, l’Eglise et l’état, alors que l’Islam n’est pas une Eglise et que le véritable problème de la laïcité est posé non pas par le catholicisme qui a accepté la République et qui l’a même sauvée, en décidant de ne pas rentrer dans une guerre religieuse, mais que le problème est ailleurs.

Ce qu’il nous faut d’urgence, c’est une révolution spirituelle et culturelle, nous connaissons une telle crise de la laïcité parce qu’il n’y a plus de culture, parce que nous n’avons plus ce ciment qu’est la culture et qui permet de vivre ensemble.

Trois choses  permettent de vivre ensemble

L’école, au sens fort

C’est-à-dire des lieux où l’on apprend ensemble, où on lit ensemble, où l’on écoute ensemble et en apprenant ensemble, on connait la paix. On dit souvent que le problème de notre société, c’est le problème de l’éducation, mais c’est faux, en réalité, c’est le problème de l’enseignement. Eduquer, c’est donner des règles à des enfants pour qu’ils vivent dans la société, l’éducation s’occupe de la politesse, il y a des problèmes de politesse dans notre monde, mais le problème fondamental n’est pas là. Il y a également des problèmes de transmission des savoirs fondamentaux, mais surtout, il y a un problème de fond qui est celui de l’enseignement, c’est-à-dire d’avoir des maîtres qui délivrent un savoir spirituel en souhaitant le transmettre à d’autres afin qu’eux aussi le transmettent.

 Où est le savoir spirituel que nous allons étudier ensemble et qui va nous permettre, avec nos traditions respectives de vivre effectivement ensemble ?

La laïcité se fonde sur l’enseignement, rappelons-nous que le Christ n’est pas venu pour éduquer, ni pour instruire, mais pour enseigner, et Il n’a pas cessé de faire de l’enseignement la base de toute sa prédication. La crise de l’enseignement vient du fait qu’il n’y a pas d’enseignement possible sans une spiritualité intense. Si nous retrouvons des lieux de savoir, de connaissance et  de vie autour de la parole, nous aurons un monde pacifié.

L’expérience spirituelle

La deuxième chose importante, c’est le sens de l’expérience spirituelle et le fait de bâtir un monde autour de cette expérience qui est celle de l’être humain qui rentre dans la Présence et qui se laisse guider par elle, jusqu’à rencontrer la divine présence dans son cheminement intérieur. La liberté profonde est indissociable de Dieu et c’est dans l’expérience spirituelle que se révèle cette relation entre la liberté et Dieu. Si nous avions le sens de l’expérience spirituelle, nous serions très attentifs les uns aux autres et nous aurions une véritable tolérances et ouverture d’esprit.

Les hommes et les femmes de Dieu

Troisièmement, dans ce monde de mondialisation, ce qui permet de pouvoir vivre sans dérapage le multiculturel, c’est cette extraordinaire expérience de la rencontre avec des hommes et des femmes de Dieu. Dieu s’exprime au cœur de l’Eglise, mais il s’exprime aussi à travers des personnes remarquables qui se trouvent partout sur la planète et qui permettent de former cette famille tout à fait étonnante qui est celle des hommes et des femmes spirituels, dans laquelle, les traditions, les horizons intellectuels, moraux et spirituels peuvent se rencontrer, et nous avons là quelque que chose de très riche.

Parce que je suis orthodoxe, je me suis intéressé au judaïsme, à l’indouisme, au soufisme, au bouddhisme, et cela ne m’a jamais empêché d’être orthodoxe, mais j’ai été extraordinairement étonné de voir la profondeur spirituelle de certains êtres d’autres traditions, et j’avais le sentiment que leur présence glorifiait le Christ d’une manière étonnante.

Conclusion

Nous sommes aujourd’hui dans l’impossibilité de bâtir une véritable laïcité, car on se donne uniquement comme point d’appui la liberté individuelle, sur un fond d’anticléricalisme plus ou moins avoué. Tant que nous continuerons à vouloir bâtir la laïcité ainsi, nous n’arriverons pas à retrouver un monde apaisé. Pour cela, il faut retrouver un véritable sens de la liberté, qui n’est pas simplement la liberté de choix, mais la liberté que donne la délivrance et il faut se donner une véritable culture spirituelle, c’est-à-dire une culture de la Présence.