6 – La Vie

retrouvez ICI un extrait de la conférence

Retour sur les cours précédents

La Beauté, l’Esprit, la Vie. Quel est le rapport entre ces concepts ?

C’est la relation entre l’existence et la transcendance. C’est l’idée que lorsqu’on fait une expérience personnelle, on comprend Dieu.

En philosophie, on peut accorder à Dieu différentes formes.

On peut le voir, comme les grecs anciens, en étant dans la nature et en ayant le sentiment que tout cela n’est pas venu par hasard, que cela vient d’un principe agissant. C’est l’idée de cause, souvent remise en question, mais toujours présente. On est dans la théologie rationnelle qui revient à dire que l’existence du monde est la plus belle preuve de l’existence de Dieu.

Il y a aussi l’expérience personnelle et subjective où je découvre que dans le fond de moi-même il y quelque chose qui me fait vivre de l’intérieur.

Avec la Beauté, nous avons vu la relation qu’il y a entre l’expérience de Dieu et l’expérience du Mal. Ce qui permet de traverser la Mal, c’est de ne pas le refermer sur une raison, c’est de ne pas le rationaliser. C’est l’expérience même de la Beauté, dans la Beauté, je regarde pour le plaisir de  regarder. Ce qui permet de traverser le Mal, c’est de vivre pour vivre, de vivre malgré tout et en dépit de tout.

Nous avons parlé de l’Esprit et de la divine présence.

Quelques pensées de Berdiaev

Dans ce cours, nous allons aborder la notion de Vie, et pour cela je vais vous citer quelques pensées de Berdiaev.

« Dans la vie de l’Esprit, dans sa connaissance, tout se passe au dedans, la vie spirituelle est la vie la plus réelle »

« La vie spirituelle est la vie symbolique qui unit deux mondes, en elles se trouvent les rencontres, les intersections »

« Maître Eckhart a décrit la relation réciproque qui s’établit entre Dieu et l’homme, Quand l’homme existe, Dieu existe. Quand l’homme disparaîtra, Dieu disparaîtra aussi. Avant que la créature existe, Dieu n’était pas Dieu, Dieu ne devient Dieu que par rapport à la création. Dans l’abîme original du monde divin, Dieu et l’homme disparaissent, leur opposition s’évanouit. La plénitude suressentielle est au delà de Dieu et au delà de la différenciation Dieu / Homme. La distinction entre le créateur et la créature ne constitue pas la profondeur dernière. Elle s’élimine dans le néant divin qui n’est pas Dieu. »

La théologie mystique apophatique pénètre au delà du créateur, le créateur se manifeste en même temps que la créature. Dieu et l’homme apparaissent simultanément. Il s’agit là du processus insondable de la profondeur théogonique (de l’origine de Dieu), qui a comme contrepartie le processus anthropogonique (de l’origine de l’homme). Angelus Silésius écrit : « Sans moi, Dieu ne peut exister, si je venais à être anéanti, il rendrait l’Esprit, je suis aussi grand que lui et il est aussi petit que moi. » C’est paroles qui ont de quoi effrayer, décrivent l’intensité de l’amour infini de Dieu pour l’homme. Sans l’être aimé, celui qui aime dépérit. »

La notion de Vie

Pour comprendre ces propos paradoxaux de Berdiaev, il convient de revenir sur la notion de Vie.

Le Christ dit « Je suis la Vérité, je suis la Vie, je suis la Voie », Berdiaev, comme tous les mystiques place la notion de Vie au cœur de sa pensée.

La Vie est fondamentale pour la vie mystique et théologique. C’est d’abord une rupture avec la Matière.

La Matière est inerte, incapable de se mouvoir par elle-même et obéit à la loi de la chute des corps. La caractéristique de la Vie est de se mouvoir de l’intérieur et ainsi donner naissance, non seulement à l’Individu en général mais à des individus en particulier. C’est la boucle (autos) qui forme l’autonomie du vivant.

Lorsqu’ils parlent de la Vie, les biologistes expliquent que celle-ci est auto conservation, auto réparation, auto régulation et auto programmation. La Vie passe par l’individu, par le temps, par le changement, par le multiple, elle s’exprime par le sensible.

C’est une mutation importante dans l’histoire de l’univers, c’est l’apparition d’un deuxième plan de réalité qui n’est pas matériel mais qui est intérieur, c’est une expérience spirituelle essentielle pour notre orientation dans la pensée.

Bergson explique que tous les problèmes de la pensée et de la culture viennent de ce qu’on ne passe pas par la Vie. Il existe depuis l’origine de la pensée une opposition radicale entre l’idéalisme et l’empirisme. L’idéalisme étant ce qui se rapporte à un idéal, à un devoir être, et l’empirisme ce qui se rapporte à l’expérience.

A propos de la Morale

Lorsqu’on parle de morale, il y a toujours une opposition entre l’idéalisme moral et l’empirisme moral.

L’idéalisme moral explique qu’il faut des règles, il faut une morale. L’empirisme moral pense que la morale n’existe pas, l’expérience montrant son échec.

On assiste à un dialogue de sourd et personne ne comprend que lorsqu’on parle de morale, il faut manier deux choses : d’une part, la conscience que la morale n’existe pas et d’autre part, la conscience qu’elle doit exister. La morale n’existe pas, raison de plus pour qu’elle existe. La morale doit exister mais ce n’est pas pour cela qu’elle existe. Lorsque nous allons en profondeur dans la pensée, nous apercevons que, pour avoir une idée juste de la morale, il faut se méfier à la fois de l’idéalisme et de l’empirisme.

Il faut des ressources intérieures de courage et d’humilité. Du courage, pour dire que la morale n’existe pas mais que ce n’est pas pour cela qu’on ne va pas la défendre. De l’humilité parce qu’il faut de la morale existe mais que ce n’est pas pour autant qu’elle existe, ne pensons pas que l’exigence de la morale suffit à la faire exister.

Nous sommes dans des faux sens à propos de la morale et cela débouche sur le drame que connaît notre société aujourd’hui et sur la violence qui en découle.

L’empiriste, qui dit que la morale n’existe pas, finit par devenir septique et désespéré. Il pense que ce n’est pas la peine d’apporter de la morale dans le monde car si la morale pouvait exister, elle existerait déjà. Donc, il renonce à l’action. A l’inverse, l’idéaliste qui pense que la morale existe parce qu’elle doit exister, tombe dans le dogmatisme et la violence. La morale doit exister, mais il faut comprendre qu’elle n’existe pas, il faut aller au delà du dogmatisme moral.

L’humilité et le courage

Si j’ai le sens de la morale, je dois avoir l’humilité de réaliser que beaucoup de personnes ne comprennent plus ce que c’est, car nous sommes dans un monde de l’exil où il y a un état de malheur de l’humanité, et je ne peux pas, de but en blanc, apporter de la morale dans le monde. Si je le fais, je deviens inévitablement violent.

Actuellement, il est beaucoup question du harcèlement sexuel. Doit-on le dénoncer ou pas ? On s’aperçoit, que si on ne le dénonce pas, c’est une catastrophe mais si on le dénonce, c’est aussi une catastrophe. Si on se tait, cela ne va pas mais si on déclenche le processus de dénonciation, on risque de générer d’autres dénonciations par des personnes qui se mettent à voir du harcèlement sexuel là où il n’y en n’a pas. On est effrayé parce que tout le monde se met à dénoncer, ors dénoncer, c’est quelque chose d’extrêmement violent.

Lorsqu’on aborde les questions de morale et qu’on décide d’apporter de la morale dans l’existence, il faut du courage, il faut oser aller contre un monde où la morale n’existe pas et dans lequel il existe un non-dit à propos de la morale. Mais attention, ce n’est pas parce que la morale doit exister que j’ai tous les droits pour la faire exister. Attention à l’idéalisme moral.

Les faux sens de la Morale et de Dieu

Nous avons tendance à osciller entre la violence et le désespoir. Il en est ainsi parce que nous ne sommes pas dans la Vie. L’empirisme relève de l’idéalisme déçu. Beaucoup de gens sont déçus de l’existence parce que, d’une manière infantile, ils croiraient dans la morale si celle-ci étaient déjà réalisée. Ils aimeraient pouvoir se lever le matin et trouver le monde idéal, là, ils croiraient à la morale. Ils croiraient à la morale si elle était réalisée et donc si on n’en n’avait plus besoin.

Cet argument est également utilisé pour Dieu. Beaucoup de gens ne croient pas en Dieu parce qu’ils sont déçus par le monde et ils décident de ne plus croire en Dieu. On a affaire là à l’exemple même de ce que l’on peut appeler un faux-sens. On attend naïvement et passivement que le monde soit idéal pour croire en Dieu et en la morale. C’est attendre que Dieu et la morale soient devenus totalement inutiles pour pouvoir y adhérer.

Ce qui est beau, c’est de ne pas attendre d’avoir des preuves de l’existence de Dieu pour y croire et de ne pas attendre que le monde soit idéal pour être moral, mais au contraire, avoir d’autant plus le sens de la morale que celle-ci n’existe pas et d’autant plus le sens de Dieu que celui ci n’est pas évident. C’est là que les choses deviennent intéressantes.

Les expériences de la Morale et de la Foi

Ce qui fait que les expériences de la foi et de la morale sont passionnantes c’est qu’elles ne sont pas évidentes. Cela demande d’y croire, de s’investir, de se donner, d’aller dans ces expériences et de les vivre. Alors c’est beau, car la morale existe parce qu’on la fait exister et Dieu existe parce qu’on le fait exister.

Dieu est vivant. Si je vis, Dieu vit. Si j’arrête de vivre, Dieu arrête de vivre.

La morale est vivante. Si je vis, elle vit, si j’arrête de la vivre, elle ne vit plus.

On aimerait que Dieu et la morale existent indépendamment de nous et qu’il n’y ai pas besoin de nous pour qu’ils existent. C’est là que l’on comprend les paroles de Berdiaev sur la subjectivité.

Dieu existe quand j’existe, cela ne veut pas dire que c’est moi qui crée Dieu, mais que du point de vue spirituel, si je veux connaître la morale vivante, je dois être vivant et si je veux connaître le Dieu vivant je dois être vivant. Il y a une synergie entre la morale et moi et entre Dieu et moi.

Le véritable idéalisme moral

L’idéalisme moral doit comprendre qu’il faut de la morale mais que ce n’est pas pour cela qu’elle existe. Il faut être humble et réaliser que si certains ont compris qu’il faut de la morale existe, les autres et le monde ne l’ont pas compris. Si certains ont compris que Dieu existe, les autres et le monde ne le comprennent plus où le comprennent mal.

Donc, il faut une humilité à l’égard du monde, une humilité à l’égard de l’Esprit et de la réalité vivante. Cette humilité consiste à dire que mon expérience du monde n’est pas tout. Ce n’est pas parce que mon expérience du monde est négative que la culture, la morale et la spiritualité ne valent rien. A l’inverse, ce n’est pas parce que j’ai le sens de la culture, de la morale et de l’Esprit que ces valeurs existent.

Il faut tenir compte à la fois de l’existence du Monde et de l’existence de l’Esprit, avoir conscience de l’existence du monde malgré l’existence de l’esprit et de l’existence de l’esprit malgré l’existence du monde. Il faut avoir le sens de l’existence de Dieu même si le monde n’y croit pas, et le sens du monde qui ne croit pas, même si Dieu existe.

Le sens de la Vie.

Avoir le sens de la Vie, c’est avoir, ensemble, les deux choses que l’on appelle le Bien et le Mal, c’est à dire l’accompli et l’inaccompli.

L’accompli, c’est le sens de l’Esprit, des choses spirituelles et divines, l’inaccompli, c’est l’état du monde dans lequel on est.

Nous devons avoir le sens des deux, parce que nous devons vivre, et vivre, c’est commencer à vivre. Ce qui permet de relier l’accompli et l’inaccompli c’est d’être en état de commencement. L’état de commencement c’est le sens de l’extraordinaire et de l’infini, mais c’est aussi le sens des choses finies.

Le commencement, c’est ce qui se passe à chaque fois que je vois quelque chose d’heureux, de beau, de noble, de magnifique dans l’humanité et dans le monde. Je me dis que c’est formidable, le monde peut commencer, je suis joyeux, j’ai envie de vivre, d’être moral et spirituel. Mais le sens du commencement, c’est aussi de dire, attention, ce n’est pas fini, ce n’est pas parce que, à un moment, j’ai le sens de l’infini et de la beauté que pour autant, cela est réalisé. Les choses ne font que commencer et il ne faut pas dire qu’elles sont accomplies.

Être en état de commencement, c’est aussi bien le fait de s’émerveiller que le fait d’être lucide. C’est avoir une vision créative du monde et des hommes. Cette vision, c’est ce qui se passe quand j’ai à la fois le sens de l’infini et le sens du monde tel qu’il est. En ayant le sens de l’infini, je vois ce qui manque au monde et, d’une manière créatrice, je peux introduire ce qui peut être utile et bénéfique pour le monde.

Le fond du problème, ce n’est pas de savoir si la morale existe ou n’existe pas, le fond du problème c’est de savoir où j’en suis, moi, par rapport à la Vie divine.

La Vie intérieure

On se pose toujours des questions d’existence parce que nous sommes des enfants. La caractéristique des enfants, c’est qu’ils sont à la fois dans une attente du merveilleux et dans la déception et la colère lorsqu’il n’existe pas. On le voit autour de nous, les gens sont à la fois dans l’attente et dans la colère et la tristesse.

Si nous sommes lucides, nous apercevons qu’il y a autant de raisons de penser que le monde va bien que de penser qu’il va mal, parce que les deux choses existent en même temps. Si d’un côté, il semble qu’il y ait un frémissement spirituel avec le développement de la méditation et la recherche du sens de la vie, d’un autre côté, il n’y a jamais eu autant de forces pour réduire l’homme à l’état de robot et annihiler totalement sa conscience.

Le discourt qui consiste à savoir si le monde va bien ou mal est complètement inutile, stérile et n’a aucun intérêt, ce qui est intéressant, c’est l’homme vivant.

Nous débouchons alors sur l’expérience de l’intériorité. Tous les problèmes du monde viennent de l’absence de vie intérieure.

Vivre, c’est la même chose qu’aimer et aimer, c’est la même chose que brûler, c’est vivre les choses des pieds à la tête. Je suis frappé de constater que lorsqu’on parle du christianisme, on fait une erreur à propos de l’amour. On pense toujours que le christianisme, c’est l’amour des autres. Ors ce n’est pas cela, le christianisme c’est l’Amour, et parce que c’est l’Amour, c’est l’amour des autres.

Aimer, c’est une expérience ontologique qui nous emmène dans la profondeur de nous-mêmes et qui est l’état de la Vie divine par excellence. Aimer, c’est vivre totalement ce que je vis, et forcément, quand je fais l’expérience de l’Amour total et de la vie totale, le monde est là et les autres sont là.

Beaucoup de personnes se croient obligées d’aimer, elles aiment parce qu’on leur a dit qu’il fallait aimer. Elles montrent des signes d’amour mais n’y a pas d’Amour. Elles n’ont pas fait l’expérience de l’Amour. Ors, pour aimer vraiment, il faut rentrer en soi, faire une expérience de Vie, de feu intérieur, et là, on débouche sur l’Amour authentique. C’est une expérience essentielle pour notre vie spirituelle

Nous sommes coupés en deux

L’opposition entre idéalisme et empirisme existe en morale, mais elle existe aussi dans la vie de la pensée et de l’esprit. Nous sommes coupés en deux parce qu’il y a un divorce entre l’idéal et la réalité, entre la pensée et l’expérience. Ou bien nous sommes trop intellectuels, trop abstraits ou bien nous sommes trop concrets.

Lorsque nous sommes abstraits, nous voulons imposer un modèle à la réalité, un sens à la vie parce que cela nous rassure. Lorsque nous sommes trop concrets, nous sommes incapables d’organiser les choses, de les penser parce que nous ne sommes que dans la dernière expérience vécue.

Lorsqu’on regarde la vie de l’esprit, on est frappé par le désordre dans lequel on est. Ou bien on a un schéma dans la tête et on veut l’imposer, ou bien on ramène l’existence à sa petite expérience personnelle. Résultat, il n’y a pas de pensée, il n’y a pas d’esprit et la vie spirituelle est anéantie.

Ce qui nous manque, c’est de faire une véritable expérience de pensée. C’est d’avoir une pensée de l’expérience et une expérience de la pensée. Là la Vie commence et la vie intérieure a du sens.

L’expérience de la pensée

C’est ce qui se passe lorsque je prends le temps de m’arrêter sur des mots, sur une parole. Je découvre un monde à l’intérieur de ces mots, parce que tout mot renvoie à un symbole qui peut être humain mais aussi transcendant et divin.

On parle souvent de la Liberté, mais avons-nous médité la Liberté, avons-nous écouté le mot Liberté ? C’est magnifique ce que l’on trouve dans la liberté !

La Liberté nous parle de l’indépendance, de l’autonomie, de la délivrance, du « sans limite ». Dans le mot Liberté il y a toute l’histoire de l’humanité, l’indépendance sociale et politique, l’autonomie psychologique, la délivrance.

Le sens de la Liberté, c’est l’état divin, c’est la notion créatrice. Nous nous apercevons qu’il y a un monde à l’intérieur du mot Liberté, et lorsque nous faisons l’expérience des mots et des pensées, ils deviennent de la réalité.

Je m’excuse, mais je suis sidéré de la pauvreté avec laquelle on lit l’évangile. Chaque parole du Christ est une bibliothèque et ce que l’on peut recevoir de ses paroles est infini. Ors, bien souvent, on ne fait pas sentir cette profondeur et, du coup, on ne comprend plus rien au christianisme.

La pensée de l’expérience

Il y a l’expérience de la pensée mais il y a aussi la pensée de l’expérience sensible.

Voir un arbre, c’est une expérience métaphysique. Avons-nous déjà vraiment vu un arbre ? Sommes-nous capables de nous émerveiller devant la mutation de ses couleurs et de son feuillage et d’avoir une expérience mystique en allant au bout de cet émerveillement ? On ne voit pas que Dieu vient nous visiter à travers les extraordinaires beautés de la nature.

Même chose lorsqu’on regarde les êtres humains, leurs visages, leurs parcours personnels. Tout d’un coup, on est touché et on s’aperçoit que tout cela a une extraordinaire humanité. Lorsqu’on fait l’expérience de la vie quotidienne et sensible, on s’aperçoit que la réalité est extraordinairement pensante et que les pensées sont extraordinairement vivantes.

L’expérience de la Vie

L’expérience de la Vie, c’est ce qui se passe quand, vivant l’existence, je me rends compte que derrière quelque chose qui semble biologique, il y a quelque chose de symbolique et de transcendant. Derrière l’individu vivant qui s’auto programme, s’auto conserve, s’auto régule et s’auto répare, il y a une immense expérience intérieure.

Il y a une idée totalement géniale de la part de Bergson, que les pères de l’Église avaient déjà exprimée. Il dit : «Pour comprendre la nature, il n’y a pas d’autre moyen que la vie intérieure parce que la nature est une immense vie intérieure ». C’est extraordinaire de dire cela parce que, en général, nous pensons dans notre monde marqué par le rationalisme, que pour connaître la nature, il faut la science et l’objectivité. Ors Bergson nous dit que pour connaître la nature, il faut la subjectivité.

Si je fais une expérience intérieure de sensation profonde, je vois un monde en expansion. Lorsque Proust parle de la mémoire, il la compare à une feuille de papier que l’on met dans un verre d’eau et qui, au contact de l’eau, se dilate et laisse apparaître un dessin avec milles couleurs. Bergson reprend cette idée pour décrire l’expérience intérieure. Lorsque je vis quelque chose de tout mon être, des pieds à la tête, en étant du feu, le monde se dilate autour de moi et n’arrête pas de se dilater.

Le mot « nature » vient du latin « nascor » qui veut dire « la naissance », le commencement. Nous retrouvons là l’idée du commencement, la relation entre le fini et l’infini, la Vie qui commence et qui est en expansion.

On ne vit pas dans un univers statique, mais dans un univers qui voyage, qui est en expansion. La nature est une éclosion, c’est une ouverture, c’est quelque chose d’extraordinaire qui est en train d’éclore autour de nous et à l’intérieur de nous. Toute expérience vivante est une expérience d’ouverture.

La communion

Lorsque Bergson parle de l’expérience intérieure, il dit que la caractéristique de la Vie, c’est l’interpénétration. Dans la Vie, rien n’est extérieur à rien. Tout est sensible à tout, tout réagit à tout, tout est dans une sensibilité extrême, comme un caillou que l’on jette dans un lac et qui produit des ondes.

Tout est intérieur à tout et cela fait penser aux couples qui s’aiment et à l’interpénétration qui existe dans ces couples. Cela fait penser à la communion.

C’est cela l’expérience de la Vie, c’est une communion dans laquelle la Vie est en moi et je suis dans la Vie. Berdiaev nous explique que la spiritualité c’est la synergie qu’il peut y avoir entre Dieu et l’homme. Il pense que Dieu est au delà de Dieu et que Dieu est infiniment plus que le Dieu créateur qui n’est qu’un de ses aspects. Dieu est ineffable, insondable et au delà même de la notion de création qui est magnifique, mais qui situe encore l’homme dans un rapport de dualité avec Dieu.

Lorsqu’on est dans ineffable, on est dans autre chose, le créateur et la créature apparaissent ensembles, c’est l’expérience même de la communion. Quand il y a de la Vie, Dieu et moi, nous vivons et ensembles, nous faisons apparaître la Vie.

La morale Chrétienne

Cette année, nous allons découvrir une morale chrétienne créatrice. La morale chrétienne c’est l’expérience même de la Vie. La vie en Christ c’est l’expérience de la Vie pleinement vécue. Nous allons découvrir que tout ce que nous vivons est quelque chose de biologique, mais derrière le biologique, il y a du transcendant et du symbolique qui nous emmènent au delà de nous-mêmes.

Le problème de la morale, c’est que les hommes veulent une morale sans la vivre. Ils regardent le monde et ils sont dans leur exigence morale, mais ils ne sont pas dans l’expérience morale.

Il y a une expérience morale créatrice. Lorsque je vis la morale, lorsque je rentre dans le monde avec le sens de l’infini et de l’émerveillement, je vois des choses qui sont bonnes pour moi, pour les autres et pour le monde autour de moi.

Berdiaev a raison de parler de la Vie et de la mettre au centre de sa pensée et de sa théologie. Il n’y a pas d’autre méthode pour aborder le monde et être vivant. D’où cette parole de Dieu « Je suis le Dieu des vivants » et cette parole du Christ « Je suis la Vie », il est la Vie vivante. Nous sommes dans la vie vivante lorsque nous rentrons en Dieu qui est la Vie vivante par excellence.

Les penseurs médiévaux avaient une magnifique expression pour définir Dieu, il de définissaient comme un « Océan de Vie ».