34 – Le Bien et le Mal

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Pour parler du bien et du mal, nous allons prendre le contre-pied de notre époque. Aujourd’hui, la plupart des gens évitent d’évoquer ces notions car elles emblent dépassées, aliénantes voir stupides.

On peut critiquer le bien et le mal, mais avant de le faire, il faut savoir ce que c’est. Nous allons réhabiliter les notions de bien et de mal avant de les dépasser dans le cours suivant.

Le mouvement de ces deux cours qui sont liés vise à atteindre quelque chose qui a été très bien exprimé par Hegel lorsqu’il dit que la caractéristique du sage c’est de ne plus avoir besoin du bonheur pour être heureux, ceci est vrai car si l’on a besoin du bonheur pour être heureux, c’est qu’on est malheureux. Le vrai bonheur dépasse le bonheur, il est au-delà du bonheur lui-même et c’est ce qu’on appelle la béatitude qui est la liberté infinie du sage.

Il en va de même pour le bien et le mal, on a un sens profond de la morale quand on est au-delà de la morale, mais avant d’en arriver là, on ne peut pas faire l’économie de la notion de bien et de mal.

Le bien et le mal renvoient à trois éléments qui sont le principe de conformité, la notion de modèle et l’exigence intérieure.

Le principe de conformité

Fondamentalement, le bien et le mal renvoient à un principe de conformité qui tire ses racines de la conformité de l’être avec lui-même et au mystère de son unité. Ce qui fait que quelque chose est bien, c’est qu’elle est fondamentalement ce qu’elle est, cette chose est conforme à elle-même, elle est en rapport avec son être, elle est harmonieuse.

Si nous plongeons dans le mystère divin, la conformité de l’être avec lui-même, c’est la caractéristique de Dieu, par définition Dieu est Dieu, il est infiniment et éternellement Dieu. Dieu ne se lasse pas d’être Dieu et il y a conformité parce qu’il  y a ressemblance avec le noyau d’être fondamental. Par opposition, nous n’avons pas cette puissance divine, il nous arrive d’être fugitivement en conformité avec notre être, mais nous ne pouvons pas l’être constamment.

L’expérience de la sainteté à travers la prière et la vie liturgique nous amène dans cette conformité de l’être avec nous-mêmes, le saint c’est celui qui, vivant de tout son être la source divine qui est en lui, rentre dans cet état de conformité profonde et cela donne une dimension idéale à la notion de bien. Lorsqu’il nous est donné de voir un être qui est en accord avec lui-même, cela provoque un rayonnement extraordinaire et nous avons le sentiment d’avoir trouvé un Homme véritable.

Les Grecs anciens pensaient que ce qu’il y avait de plus remarquable dans le monde c’était un homme bel été bon, une personne de bien, c’est-à-dire une réalité vivant consciente qui s’est trouvée elle-même et qui est dans un état de rayonnement car elle connait la béatitude intérieure. Elle est tellement nourrie de l’intérieur par la conformité de l’être avec lui-même, qu’elle n’a pas besoin d’autre chose et qu’elle illumine tous ceux qui sont autour d’elle.

Le principe du bien renvoie à l’expérience fondamentale de la conformité de la chose avec elle-même, par différence, nous pouvons comprendre le mal.  Le mal, c’est ce qui est mal fait, c’est ce qui possède en soi un vice de fabrication, la chose devrait être en accord avec elle-même, or elle ne l’est pas, il manque quelque chose, elle est inaccomplie, elle n’est pas arrivée à son terme. Lorsqu’Annick de Souzenelle parle du bien et du mal, elle se réfère aux termes hébraïques du bien et du mal qui définissent l’accomplis et l’inaccompli. Nous avons là véritablement, le sens du bien et du mal, le bien c’est ce qui est conforme à son être, c’est ce qui est bien fait, ce qui achevé, par opposition à ce qui n’est pas conforme et qui est inachevé.

La notion de modèle

Notre monde ne veut pas entendre parler du bien et du mal parce qu’il dit que le bien et le mal supposent un modèle donné au départ, or l’homme moderne aspire à être libre et ne veut pas être conforme à un modèle qui serait imposé. Il veut pouvoir être conforme à lui-même en inventant son propre modèle et en s’y conformant si cela lui chante, car être libre c’est, premièrement façonner le modèle auquel on veut ressembler et deuxièmement, pouvoir le trahir. Il y a là quelque chose de superficiel et contradictoire.

Le modèle n’est absolument pas quelque chose d’aliénant, au contraire, notre vie passe par des modèles et elle se façonne grâce à eux et celui qui refuse les modèles pour bâtir son propre modèle en est le vivant exemple. Quand quelqu’un dit qu’il veut façonner son propre modèle, il ne refuse pas le modèle mais il veut l’inventer lui-même, c’est donc que le modèle est important.

La notion de modèle permet le passage de l’extérieur vers l’intérieur et de l’intérieur vers le supérieur, c’est la seule façon que nous avons de pouvoir nous transformer et de devenir des êtres intérieurs et, mieux encore, des êtres supérieurs. L’art classique a très bien compris la notion de modèle, il est une imitation de la nature. On pense que l’imitation est un acte peu original, servile et contraire à l’art qui devrait être invention. C’est une erreur profonde car il n’y a pas plus imaginatif, plus personnel et plus libre que la notion de modèle et d’imitation de la nature, lorsque l’artiste imite la nature, il y a un passage de l’extérieur vers l’intérieur, il y avait la chose, il y a désormais l’image de la chose façonnée par l’homme, la chose extérieure est devenue une réalité intérieure. C’est par l’imitation que se fait cette opération intérieure, ne pensons pas que l’imitation supprime la subjectivité, au contraire, elle permet la prise de possession de la chose par la subjectivité, et surtout, à travers l’imitation qui fait passer de l’extérieur à l’intérieur, il y a l’apparition de la grâce et du souffle créateur.

Lorsqu’un peintre peint un coucher de soleil, un arbre ou un animal, ces éléments n’existent pas, ils sont une fiction, car le coucher de soleil sur la toile ne représente pas le coucher de soleil réel. Pour qu’il le représente, il aurait  fallu que le coucher de soleil s’immobilise et ne change pas, or il change sans cesse. Le peintre prend un moment qu’il éternise et qui apparaît sur la toile sous la forme d’un coucher de soleil, il fait apparaître l’unique du coucher de soleil qui existe dans la tête du peintre mais pas dans la réalité. Dans la réalité le coucher de soleil change tout le temps, et on ne voit jamais le même, pour représenter un coucher de soleil, il faut nécessairement imaginer un coucher de soleil absolu qui n’existe pas dans la réalité.

Ce qui est vrai pour le coucher de soleil, l’est pour  l’arbre, l’animal et pour toutes les choses car tout change à chaque instant et c’est par une opération tout à fait prodigieuse que le peintre fait apparaitre la réalité comme ressemblante.

En apparence, il y a imitation et obéissance servile de l’artiste à l’objet, mais en réalité c’est l’objet qui obéit à l’artiste en rentrant à l’intérieur de celui-ci pour devenir une image. De plus, l’artiste ne se contente pas de vivre l’objet sur le mode de l’intériorité, il le vit sur le mode de la transcendance, il introduit l’idée de la perfection et de l’absolu, ce qui fait que cet objet n’est plus simplement intérieur, il devient un objet supérieur et là, on comprend ce que veut dire l’imitation. C’est la transfiguration du monde grâce à l’opération personnelle d’un artiste qui intériorise la réalité avant de l’élever, l’imitation ne vient pas de l’objet, elle vient à travers l’objet, elle vient du ciel qui se souvient de la réalité pour la transformer en réalité intérieure puis en réalité supérieure.

L’imitation est le masque le plus intelligent que prend la transcendance pour rentrer dans la réalité et l’illuminer. En apparence, ceux qui pratiquent l’imitation dans l’art sont dépourvus d’originalité, ils sont esclaves, ils ne font que reproduire bêtement la réalité, mais en fait, ce n’est absolument pas cela car l’unique et le transcendant s’expriment à travers l’artiste et l’objet.

En art, ceux qui décident de se passer de l’imitation se fracassent, ils pensent que décréter ce que l’on veut comme étant de l’art c’est la liberté, mais ce n’est ni l’art, ni la liberté parce qu’il n’y a pas plus banal, plus vulgaire et plus brutal que cette opération. Si on décide que n’importe quel objet est un objet d’art sans qu’il y ait eu le travail d’intériorisation et le travail de l’unique qui vient parler à travers cet objet, il n’y arien que la prétention d’un individu s’imaginant pouvoir inventer l’art comme il veut. Des personnes qui ne travaillent pas, qui ne transforment pas la réalité et qui décrètent celle-ci, c’est le lot commun de notre humanité, à l’inverse, des personnes qui rentrent dans l’initiation de l’œuvre d’art avec des maitres qui enseignent à imiter donc à intérioriser et à faire surgir l’unique à l’intérieur de l’objet, sont une minorité.

L’expérience de la conformité donne l’impression d’être à l’opposé de la liberté, mais elle est la plus grande liberté qui puisse exister dans le monde et dans la réalité humaine. Ce qui est vrai pour l’art l’est pour la morale, on dit souvent que la morale passe par l’exemplarité et par le modèle, encore convient-il de comprendre de quoi il s’agit. On s’est beaucoup moqué de l’exemplarité et du modèle de la morale, on a vu là une image bien gentille, bien fade et bien stupide de la morale. Nos moralistes modernes expliquent que l’homme ne doit pas répéter les valeurs morales de l’ordre établi mais qu’il doit les inventer et les créer. Il doit s’affranchir de tout modèle et de toute imitation du modèle. En général, cela débouche sur le délire, les gens explosent dans l’incapacité de rassembler leur être et de lui donner une consistance, et proposer aux êtres humains de se libérer des modèles pour s’affranchir, ce n’est pas leur rendre service, c’est les plonger dans le chaos.

Le modèle terrestre

L’imitation est fondamentale dans la vie morale et elle est au chœur de la vie chrétienne à travers l’imitation du Christ et à travers la relation à un père spirituel ou une mère spirituelle et il en va de l’imitation en morale comme l’imitation en art. L’imitation en morale est le résultat d’une rencontre, et derrière elle, il y a un processus tout à fait extraordinaire reposant sur l’appel et la vocation. Il arrive que dans la vie on rencontre des personnes absolument remarquables et lorsque cela arrive, on a envie de leur ressembler, de vivre comme elles et de penser comme elles. A la base de la rencontre avec une image et un modèle, il n’y a pas de soumission servile, il y a plutôt une rencontre extraordinaire qui nous extrait du quotidien et de la banalité.

Il est rare de vouloir imiter quelqu’un, il est rare d’avoir des gens qui nous inspirent et ce sont des choses d’une qualité particulière. Lorsque quelqu’un inspire, il n’aliène pas, il nourrit la pensé et permet d’avancer tout seul. Une rencontre spirituelle c’est quelque chose qui nous sort de la banalité en nous montrant et en nous disant des choses dont nous pouvons faire notre nourriture. Quelqu’un qui nous inspire, c’est quelqu’un à côté de qui nous nous mettons en route, nous étions paralysés, sourds et aveugles, et nous nous mettons à exister.

L’expérience de l’imitation en morale reproduit ce qui se passe dans l’art, c’est-à-dire premièrement l’intériorisation, et deuxièmement l’élévation à une dimension supérieure. La relation avec un maitre est un moment d’intériorité, lorsqu’on fait de la musique avec un maitre, celui-ci s’occupe de savoir si ce qu’il enseigne en musique va être intériorisé et joué d’une manière intérieure et donc originale par le disciple qui le suit. La relation maitre disciple est le contraire d’une obéissance au sens vulgaire du terme, mais c’est une obéissance au sens noble, obéir veut dire écouter ce qui vient d’en haut, ce qui vient du supérieur. Il y a un maitre qui est détenteur de quelque chose d’unique, on s’aperçoit qu’à son contacte on devient meilleur, écoutons-le, vivons ce qu’il vit pour faire vivre notre intériorité, il va nous faire découvrir la musique intérieure, la sculpture intérieure, la peinture intérieure, la philosophie la théologie, la morale intérieure.  C’est une expérience extraordinaire que la rencontre avec un modèle, un idéal, quelqu’un qui nous fait sortir de notre ordinaire pour rentrer dans la vraie vie, la vie extraordinaire.

 Le modèle céleste

Après la rencontre avec un modèle humain et terrestre, le deuxième temps de la vie morale est la découverte du modèle céleste. Nous avons rencontré quelqu’un qui s’intériorise, qui intériorise tout, et à son contact, d’une manière irrépressible, notre intériorité va vers l’intériorité de cet être et la fait venir en nous, parce que l’intériorité appelle l’intériorité, comme la vie appelle la vie et comme l’être appelle l’être. Nous avons intériorisé quelque chose et cela veut dire qu’à un moment il faut aller au-delà du maitre et du disciple, il faut être éduqué, non pas par l’intériorité, mais par l’Unique.

En peinture, l’Unique c’est ce qui fait que l’absolu va venir habiter le tableau du peintre, et à ce moment là, la liberté du peintre et son obéissance à l’absolu, c’est la même chose. Ce qui fait que la peintre introduit de l’unique dans sa peinture, c’est qu’il obéit absolument à l’absolu et qu’il devient absolument libre, il créé un moment de liberté totale à l’intérieur de sa peinture.

L’expérience morale n’est pas simplement le fait d’être lié à un maitre, à des images, des idéaux ou des modèles, mais c’est rencontrer ce qu’il y a derrière ces idéaux et ces modèles, c’est rencontrer l’existence de l’Unique, la quintessence de l’existence et de l’accomplissement. Il ya dans l’existence, quelque chose d’unique et si on vit cette relation à l’unique, chaque chose, chaque être et chaque moment deviennent uniques. L’espace et le temps se transfigurent et nous faisons l’expérience de la conformité totale à l’unique qui donne la liberté totale. Ce qui fait de nous des êtres libres, c’est ce qui nous fait passer d’une vie indifférente, vide et fade, à une vie profonde, dense et riche. Une vie riche, c’est le regard posé en permanence sur chaque chose et chaque être qui d’un coup libèrent une richesse foisonnante, nous sommes dans l’expérience miraculeuse de la vie, nous sommes sauvés, nous passons de la mort à la vie en faisant l’expérience du regard unique sur l’existence.

 Ce qui permet cette expérience, c’est l’imitation et la conformité à des modèles et à des idéaux fondamentaux qui d’abord nous font vivre une intériorité avant de permettre, grâce à elle, à l’absolu, au transcendant, à l’unique et au céleste de venir habiter en nous. Là nous trouvons un sens du bien souverain, du bien fondamental, et à travers lui, un sens du bien et du mal. Le sens du bien est du mal, c’est une expérience spirituelle extraordinairement riche et fine qui est de tenter de vivre avec l’Etre, avec l’absolu, avec l’Unique. Ceci se fait dans l’intimité du cœur et quand nous vivons cela, nous sentons l’appel de Dieu à travers la vie. Cet appel passe à travers l’exigence intérieure qui s’exprime par le désir de faires des choses bien et d’être en conformité avec notre être.

Cet appel de l’intérieur vers la conformité de l’être et de l’Unique, c’est ce qui se passe tous les jours, de ce point de vue là, le meilleur maître, c’est la relation à la réalité, c’est la relation aux autres, Dieu s’exprime à travers la vie quotidienne, les autres et la réalité. La réalité nous apprend que si nous ne sommes pas justes, en conformité avec notre être et avec l’Etre, les choses ne marchent pas, nous sommes dans l‘échec et nous rentrons dans la souffrance.  Les autres attendent de nous que nous ne négligions pas les choses car lorsque les choses sont mal faites, mal dites ou mal présentées, il y a de la souffrance, du mal-être et une révolte devant les êtres qui souffrent de ce que la vie n’est pas en conformité avec elle-même. Dans l’existence, nous sommes rappelés à l’ordre par les autres, par le réel, par nous-mêmes, il y a des moments où, en apparence, les choses vont bien à l’extérieur, nous ne sommes pas en échec par rapport à la réalité, à la société et aux autres, mais par rapport à nous-mêmes, nous savons que nous sommes en échec, nous savons si nous trichons ou pas. A partir de la question fondamentale qui nous demande si nous avons donné tout ce que nous avions à donner, ou bien si nous avons triché, donné le change, rusé avec le réel et avec les autres. Il y a des moments où nous ne sommes pas satisfaits de nous-mêmes, les autres le sont, mais nous ne le sommes pas et nous  ne pouvons pas l’être.

L’exigence intérieure

L’exigence intérieure  va être au cœur de l’expérience positive du bien et du mal. L’exigence intérieure, c’est le sérieux de l’existence, c’est la règle de toutes les règles, la loi de toutes les lois. Le sérieux, c’est l’intégrité, l’unité et l’harmonie de l’être. La caractéristique de l’être qui est Un, c’est qu’il est absolument et totalement Un, quand on est dans le sérieux de quelque chose, on est devant la totalité de la chose, cela renvoie à quelque chose de magnifique qui est le principe de l’indivisibilité. Les grandes choses sont indivisibles, l’Amour est indivisible, l’être est indivisible, Dieu est indivisible, tout ce qui est essentiel dans la vie est indivisible. On n’aime pas « un peu », quand on aime « un peu » c’est qu’on n’aime pas, le véritable amour est total, il est don, il est feu, ou alors, il n’y a pas d’amour. C’est la même chose avec Dieu, il n’y a pas « un peu » de Dieu, s’il y a « un peu » de Dieu, c’est qu’il n’y a pas Dieu. C’est la même chose pour la pensée, la foi, l’espérance et la charité.

On est devant l’expérience de l’intégrité et nous touchons aux racines du mal et du péché, le péché c’est ce qui se passe lorsqu’on remplace l’Amour par « un peu » d’amour et la Pensée par « un peu » de pensée, on pèche par défaut, et quelque part, par excès. On n’est pas dans l’Amour, on est dans un demi-amour qui n’est pas l’Amour et en ce sens, il y a péché à l’intérieur de l’Amour. Le péché, c’est le manque de rigueur, le manque de sérieux, le fait de tout faire à moitié et finalement de tout détruire à partir de cela.

La malignité qu’il peut y avoir dans le péché, c’est que cela parait humain, cela ne parait pas méchant, on pense qu’un peu d’amour c’est mieux que pas d’amour du tout, un peu de pensée c’est mieux que pas de pensée du tout, un peu de Dieu c’est mieux que pas de Dieu du tout, on ne voit pas que « un peu » d’amour, de pensée ou de Dieu, c’est la même chose que pas du tout. C’est cela qu’on appelle le péché, et lorsqu’on dit que tout est pollué par le péché, c’est vrai, parce qu’on est dans une demi-vie et un demi-monde, rien ne marche et la planète entière fini par être polluée parce que tout est bâclé

Le péché et la faute

Dans le christianisme on n’a pas assez enseigné le péché ainsi, on a confondu le péché et la faute et on a culpabilisé les êtres en disant que le péché c’est le mal et c’est la volonté de faire le mal. Le péché n’est pas le mal, c’est ce qui précède le mal, c’est un défaut de vie, d’amour et d’intégrité.

Le mal c’est ce que saint Paul décrit très bien lorsqu’il dit qu’il voit le bien et qu’il fait le mal, c’est-à-dire qu’on voit le bien qui est l’intégrité et on fait le minimum parce qu’aller dans l’intégrité c’est quelque chose qui coûte, qui dérange et qui gêne notre conformisme intérieur, là on est dans le mal parce qu’on sait que les choses sont mal faites mais on fait cela parce que l’exigence nous fait peur et nous ne voulons pas nous confronter au sérieux et à l’exigence intérieure.  Ceci est la véritable expérience du bien et du mal qui n’est pas du tout quelque chose de naïf, et cela n’a rien à voir avec les normes sociales, c’est uniquement une expérience intérieure. Je sens qu’il y a des choses qui sont justes et bien faites, et je sens qu’il y a des choses mal faites et injustes, et surtout, je sens en moi-même quand il y a le bien et quand il y a le mal, je n’ai pas besoin que les autres me le disent.

Je sais qu’il y a de l’exigence, c’est difficile, c’est rigoureux mais c’est nourrissant et c’est une vraie boisson, on retrouve ici le pain et le vin de la communion, on les retrouve au cœur de l’exigence. Lorsqu’on est exigeants, on a une vraie pensée, un vrai amour de Dieu, un vrai engagement dans l’existence, et il y a une fermeté qui rentre en nous sous la forme d’une colonne vertébrale, une verticalité qui nous habite et quelque chose de juste qui nous rend heureux car nous sommes nourris de l’intérieur par ce que nous vivons.

L’éducation du bien et du mal

Lorsque nous ne sommes pas exigeants et sérieux avec nous-mêmes, il y a de la souffrance, cela se passe au fond de la gorge, c’est une espèce de mal-être à l’intérieur de nous-mêmes qui pourrait donner ce que Sartre appelle « La nausée », on se sent écœuré parce qu’on n’est pas en accord avec soi-même.

Il est très important d’enseigner le bien et le mal dans l’éducation et dans la société, aujourd’hui, on dit que ce sont des notions réactionnaires et bourgeoises qui vont contre la liberté, et on se félicite de fracasser le bien et le mal en devenant brutal comme tout le monde. L’éducation du bien et du mal c’est l’éducation du discernement et c’est la même chose que l’intériorité. Apprendre à des enfants le bien et le mal, on peut le faire sur un mode ridicule en disant ce qu’il faut faire et ne pas faire sans explication, avec la récompense et la punition, mais il manque l’intériorité. Il ne faut pas rester dans l’extérieur avec des modèles terrifiants, il faut apprendre à un enfant qu’il a un cœur et qu’il doit apprendre à juger les choses à partir de son cœur et de son être.

Si on dit à un enfant qu’il y a en lui quelque chose de magnifique, qu’il doit apprendre à être en conformité avec cela pour avoir beaucoup de bonheur et que s’il ne l’est pas, il va souffrir. Il faut très vite proposer à l’enfant d’aller dans son intériorité, avoir des dialogues spirituels avec lui et lui expliquer qu’il a une vie et qu’il doit en prendre soin. Il y a mille façons de montrer à un enfant qu’il y a des choses qui sont bien faites et d’autres qui sont mal faites et de lui expliquer que pour le bien de son être, il faut qu’il apprenne à vivre en conformité avec lui-même.

C’est ce qu’il faut dire dans la société, la société a besoin qu’on lui parle du bien et du mal, pas simplement sous la forme du permis et du défendu, du légal et de l’illégal, mais au sens de la responsabilité et de la conscience fondamentales. Nous avons reçu un trésor qui est celui de la vie et de notre vie, de la vie de l’homme et du monde et nous sommes fondamentalement responsables de ce trésor.

L’expérience du bien et du mal

Nous nous rendons compte de cette responsabilité fondamentale lorsqu’il y a des catastrophes, à travers les massacres, les génocides et les horreurs où tout d’un coup, ayant massacré, on regarde ce qu’on a fait, on est saisi par cette horreur et on se demande comment on a pu tomber ci bas, ceci exprime très bien l’expérience du bien et du mal. On se souvient de ce pourquoi nous sommes fait fondamentalement et de ce que nous n’avons pas eu la force et le courage de vivre et de faire vivre.

Le bien et le mal peuvent être quelque chose de naïf et de bête lorsque ce n’est pas la conscience profonde de l’être qui s’exprime à partir de son cœur mais lorsque c’est guidé par la peur et les modèles conformistes extérieurs. Très souvent on parle du bien et du mal pour protéger ses avoirs, sa sécurité et on appelle « bien »ce qui nous arrange et « mal » ce qui nous déplait, on est dans le conformiste individuel et collectif et cela disqualifie totalement les notions de bien et de mal. A l’inverse, il y a du sens à parler du bien et du mal lorsqu’on vit les choses de l’intérieur à partir de l’Unique, du transcendent et du céleste, qu’on parle de ce qui est juste et de ce qui est fondamentalement injuste, c’est le cœur, c’est la vie et c’est l’être qui parlent. Il y a un sérieux fondamental de la vie et en dehors de cela, il y a un scandale qui dénature et défigure les choses les plus profondes.

Platon a fait l’expérience du bien et du mal à travers celle de l’esclave et du tyran, il y a en l’homme un être de sagesse, juste et superbe, mais il y a aussi sa contrefaçon terrifiante sous la forme de l’individu sans foi ni loi, qui ne pense qu’à ses passions et à sa fureur. On retrouve cette idée chez Kant, avec l’expérience du sérieux fondamental, du sens du devoir et de l’exigence intérieure, mais ces notions qui expriment quelque chose de l’ordre de la raison, doivent aller dans les sources les plus profondes de notre être, et nous revenons à la relation qu’il y a entre la morale et la vie spirituelle. La véritable morale doit s’enraciner à l’intérieur de l’expérience spirituelle qui relie l’homme non pas simplement à lui-même ou aux autres, mais qui relie l’existence aux plus hautes destinées.

L’homme ne se rend pas compte d’où il vient, qui il est et où il va, il est relié à une dimension céleste, à l’amour de Dieu, et être moral, ce n’est pas simplement être moral par rapport à soi et aux autres, même si c’est le minimum exigible, mais c’est être en conformité profonde avec la vocation de l’homme dans l’ouverture infinie d’une existence infinie, c’est être dans l’existence juste, c’est respecter le trésor qui est en nous, c’est notre responsabilité fondamentale. On nous a confié un royaume, nous en sommes responsables, et avoir le sens du bien comme du mal se situe dans cette question : avons-nous apporté le royaume dans ce monde ou avons-nous apporté la désolation d’un monde sans couronne et sans trône ?