Jésus Christ, Fils de Dieu

« Qui dites-vous que je suis ? »

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Nous avons essayé de comprendre comment Dieu vit en nous à partir de l’expérience profonde d’une sensibilité de plus en plus sensible qui passe insensiblement du visible à l’invisible. Je me rends compte que Dieu existe lorsque je fais une expérience profonde de ce que je suis et que je découvre que pour être ce que je suis, je dois être relié à l’invisible car il n’y a pas de sensibilité en moi sans quelque chose qui fait être la sensibilité et ce quelque chose ne peut pas être sans ce qu’on pourrait appeler une sensibilité et une vie infinie.

La rencontre avec le Christ

Aujourd’hui nous allons essayer de comprendre ce qu’est la rencontre avec le Christ. Celle-ci s’inscrit dans la logique mise en place dans le cours précédent, mais nous allons l’approfondir. La rencontre avec le Christ est une rencontre personnelle, c’est le moment où l’invisible devient visible et il s’adresse à moi personnellement, dans l’intime de moi-même en se présentant comme visage et comme amour.

On a beaucoup humanisé le Christ et on a beaucoup fait de Lui la figure de la compassion et de l’amour, bien évidemment, il n’est pas faux de l’envisager ainsi, mais dans cette humanisation, on risque de perdre quelque chose d’inouï dans la personne même du Christ. Je pense qu’on n’a pas assez vu que, derrière l’humanisation du Christ, nous avons affaire à quelque chose de plus extraordinaire encore. Il ne faudrait pas que l’humanisation de Dieu devienne sa banalisation et derrière elle, sa réduction. C’est malheureusement, ce qui arrive souvent, on voit d’abord la transcendance, puis la transcendance devient immanence avec le Dieu fait homme, puis le Dieu fait homme annonce l’humanisme et l’humanisme fini par se débarrasser de Dieu.

Ce qui fait que, finalement, le Christ préfigure l’humanisme qui va se débarrasser de Dieu.Nous sommes dans un monde, où pour beaucoup de personnes, le véritable Christ se réalise dans les droits de l’homme. Si on voit le Christ comme étant l’Humain de l’humain, on passe totalement à coté de l’évènement Christ proprement extraordinaire.

Je voudrais revenir sur les quatre éléments qui permettent de comprendre la relation avec le Christ, ce sont l’intime, la personne, le visage et l’amour.

Dieu comme expérience

Lorsque j’ai parlé de Dieu, je suis parti de ma propre sensibilité et en l’approfondissant, j’ai tenté de montrer que, insensiblement, elle nous fait passer du visible à l’invisible. Elle nous révèle de l’intérieur de nous-mêmes l’existence de Dieu. L’erreur c’est de vouloir comprendre Dieu logiquement et non pas expérimentalement, nous discutons d’une manière logique pour essayer de comprendre si Dieu est la raison explicative de tout ce qui se passe et nous tournons en rond. Impossible de dire que tout vient du hasard, mais lorsqu’on essaye de penser Dieu comme cause explicative, il y a tellement de choses « dures à avaler », qu’un Dieu qui serait la cause de toutes choses devient totalement rebutant. Ce qui fait qu’après y avoir cru, on n’y croit plus pour les mêmes raisons que Camus qui disait : « Si Dieu existe et qu’il est la cause de toutes choses, il est la cause de la souffrance et il la justifie, je ne peux pas croire en un tel Dieu ». Nous aboutissons ainsi au paradoxe que, pour de bonnes raisons, des êtres perdent totalement la foi en ne se rendant pas compte qu’en refusant un Dieu qui justifie tout, ils sont davantage proche de Dieu.

A l’inverse, lorsque nous partons de l’expérience sensible et que, de l’intérieur de notre sensibilité, nous découvrons quelque chose d’autre qui la déploie à l’infini et qui nous fait infiniment exister, nous ne sommes plus dans la justification rationnelle, nous sommes dans le principe extraordinaire de la vie qui va nous amener à voir extraordinairement les choses. A ce moment là, nous sommes projetés dans une autre dimension. A partir de là, nous ne pouvons plus voir les choses banalement et lorsque nous nous penchons sur des questions aussi graves que la souffrance ou le mal, parce que nous avons eu l’expérience de l’extraordinaire, nous évitons de dire des banalités et nous découvrons, à l’intérieur du mal et de la souffrance, des choses que nous n’avions pas vues.

Si on me demande une explication du mal et de la souffrance à chaud, forcément, les raisons que je vais donner seront mauvaises et inacceptables. Mais si au contraire, je reviens dans l’expérience et dans la condition humaine, que j’aborde la question du mal d’une manière vécue, il en va tout autrement, car je vais toujours découvrir, dans l’expérience à laquelle j’ai affaire, quelque chose à quoi je n’avais pas pensé et qui va m’obliger à changer totalement ma vision des choses.

L’expérience de Dieu bouleverse totalement ma vie et elle permet de comprendre ce que Berdiaev explique quand il met en relation Dieu et la liberté. Pour notre monde, l’existence de Dieu est incompatible avec la liberté parce que croire en Dieu, c’est faire intervenir un principe extérieur créateur qui ne nous laisse aucune autonomie en tant que créature. Ce que dit Berdiaev, correspond exactement à cette expérience de la sensibilité, lorsque je découvre Dieu, je découvre la vie infinie et ineffable qui développe à l’infini tout ce que j’ai en moi. Je crois en Dieu, parce qu’avec Dieu, je suis infiniment plus moi-même que tout seul.

Lorsque je crois en Dieu, je ne suis pas dans une excroissance de ma sensibilité, mais je suis dans l’au-delà de celle-ci, je suis confronté à quelque chose sur quoi ma sensibilité banale n’a pas prise. Je comprends Dieu de l’intérieur de ma chair, quand je découvre ce qui me fait vivre en profondeur, et qui m’appelle à la vie.

Le paradoxe du visible et de l’invisible

Le Christ obéit à la même expérience, en introduisant un élément supérieur. Quand nous nous situons sur un plan logique, nous avons tendance à opposer le visible et l’invisible, pour nous l’invisible ne peut pas être visible, ni le visible invisible. Ce qui apparaît avec le Christ est un bouleversement et une subversion totale de cette opposition. Le Christ fait du visible le comble de l’invisible, c’est ce qui est dit dans les tropaires qui sont chantés à Pâques : « L’invisible est devenu visible » et nous sommes dans l’extraordinaire de l’extraordinaire.

Si l’invisible est vraiment l’invisible vivant, il va au-delà de l’invisible, et cet au-delà de l’invisible, c’est le visible lui-même. Nous comprenons cela, si nous comprenons la notion d’apparition et derrière elle, la notion de fulguration. Lorsque nous réfléchissons logiquement, nous opposons l’être et le paraître. Le paraître c’est la surface et l’écume des choses, l’être c’est la profondeur et leur substance. La réalité se trouve dans l’être, et moralement parlant, cela se traduit par une quête sérieuse. Être moral, c’est dépasser la superficie des choses pour aller dans la profondeur et s’attacher à ce qui est permanent et substantiel.

Pendant longtemps, on a pensé Dieu sous cette forme, la forme de la réalité substantielle qui demeure à travers tout, au-delà de tout et en dépit de tout. On a raison car c’est un de ses aspects, mais en disant les choses ainsi, on risque de déboucher sur le contraire de ce que l’on veut montrer, à savoir, l’existence d’une réalité substantielle passant à travers tout.

Si l’être ne paraît pas, il n’est pas. Si l’être est vraiment l’être, il ne se contente pas d’être l’être, mais il va dans le paraître. Une profondeur qui ne va jamais à la surface, est tellement profonde qu’elle en est obscure et à la longue, elle fini par être totalement inexistante. Si Dieu était l’être qui n’apparaît jamais et qui se tient dans l’invisible d’une manière permanent, Il serait la dureté et la violence même et on aurait des raisons de ne pas croire en Lui.

L’intime

Dieu est Dieu, non pas parce qu’il est imperturbablement, mais parce qu’il est au-delà de l’être. Dieu  arrête d’opposer l’être et le paraître mais il les relie en étant un Dieu qui apparaît. Dieu peut apparaître sous une forme unique qui n’est pas l’apparence mais qui est l’apparition. L’apparition c’est ce qu’on peut appeler la trouée du paraître, c’est ce qui se passe, lorsqu’à l’intérieur du monde des apparences qui est le nôtre, nous découvrons une profondeur vivante et non pas simplement cachée.

Les apparitions, c’est ce qui se passe lorsque le fond des choses remonte à la surface et que la surface devient la capacité de révéler le fond des choses et la capacité de dire quelque chose qui dépasse la surface. Il y a des moments dans l’existence où, confronté à la surface des choses, nous avons le sentiment que ce qui se passe n’est pas du tout superficiel et que c’est mystérieusement profond. Ça peut être des éléments très simples de l’existence, il y a des moments où les rencontres avec les choses sont une lumière qui passe à travers les choses.

Les Haïkus japonais qui sont des petits poèmes décrivant les instant lumineux de la vie quotidienne, décrivent extrêmement bien ce moment où de l’intérieur du sensible et du paraître, il se passe quelque chose qui n’est pas de l’ordre de l’apparence mais qui est la profondeur même. C’est même plus profond que la profondeur. La profondeur peut être ce qui se tient dans le retrait et qui échappe à toute prise, mais ce peut aussi être ce qui, tout d’un coup, devient extraordinairement disponible dans l’existence. Il y a des moments dans la vie, où les choses sont extraordinairement des choses et où nous voyons apparaître leur apothéose, leur transfiguration. A ce moment là, je ne fait pas l’expérience de l’infini, mais de quelque chose qui est extrêmement proche.

Je peux faire l’expérience de Dieu sous la forme de l’immense, qui m’emmène au-delà de moi-même, et je ressens un certain « plaisir » à être subjuguer par l’immense. Mais il y a des moments où je vis exactement l’inverse, à savoir, quelque chose qui n’est pas loin mais qui est extraordinairement près de moi et intime, là, je commence à faire l’expérience du Dieu vivant, plus profond que la profondeur, plus grand que la grandeur, et ce Dieu vivant permet de commencer à comprendre ce que peut vouloir dire le Christ, Fils de Dieu, Verbe fait chair, Dieu fait Homme.

Ce qui est vrai pour les choses, l’est encore plus pour les êtres, il y a des moments, où dans la rencontre humaine, je me sens extraordinairement proche des hommes et quelque chose d’infini se dit de cette proximité. Il est extrêmement rare de se sentir étrangement proche des choses et des êtres, étrangement proche de l’existence, et d’avoir se rapport à l’existence qu’évoque Martin Baubert lorsqu’il parle de « Je » et de « tu », cette impression de tutoyer le monde et que le monde me tutoie, ressentir dans ce tutoiement, une extraordinaire liberté et un grand élan d’amour pour tout ce qui est.

En général, nous portons le monde avec nous et nous sommes dans le souci du monde, des choses et des êtres, nous avons du mal à ressentir cette proximité. La proximité dans laquelle nous sommes est angoissante et pas enthousiasmante. Parfois, il arrive que le voile se déchire, et qu’on rencontre une extraordinaire proximité avec les êtres et avec les choses, à ce moment là, on est dans une autre existence.

Vous avez peut-être fait la même expérience que moi. Dans la vie, j’ai eu le sentiment de faire deux types d’expérience de l’infini. Il y a l’infini de l’espace, les étoiles, les planètes ou bien la puissance de la nature à travers les montagnes immenses ou les éléments déchainés, qui m’écrasent, c’est l’expérience du sublime et ce sublime m’impressionne car je suis en face de quelque chose qui n’a pas de limite.

Mais il y a quelque chose d’encore plus infini que cet infini, ce sont les choses et les êtres que je goûte et qui résonnent comme une saveur qui n’a pas de fin à l’intérieur de moi, dans une ultra délicatesse et une ultra douceur, et là je suis subjugué par le fait, non pas d’être écrasé mais d’être accueilli et de recevoir quelque chose dans l’ordre de l’intime.

Cela veut dire que Dieu peut être celui qui nous écrase, mais Il peut être exactement l’inverse en étant celui qui fait disparaître tout écrasement en nous apparaissant comme une extraordinaire délicatesse et finesse à l’intérieur des choses. Nous comprenons alors quelque chose de l’ordre de la personne et de Dieu en tant que personne.

La personne

Pour beaucoup, aujourd’hui, la spiritualité est attrayante mais Dieu est rébarbatif, on n’y croit pas parce qu’on a le sentiment que Dieu est une projection de l’imagination. Dans la manière courante que nous avons de parler de Dieu ou de le représenter, malheureusement Il est souvent de l’ordre de l’image anthropomorphique. Et cette image fait de Lui un vieillard et un juge, un père dans ce que le père peut avoir de redoutable, c’est pour cela que la notion de Dieu père insupporte notre monde très marqué par le féminisme qui y voit une main mise de la masculinité.

Si on fait l’expérience de Dieu, il en va tout autrement, l’idée d’un Dieu personnel apparaît comme l’unique manière de pouvoir parler de Dieu. L’expérience de Dieu, c’est cette proximité qui fait qu’à un moment, je tutoie le monde et l’humanité qui me tutoient en retour, et je rencontre quelque chose d’éminemment personnel qui fait résonner l’intime à l’infini avec une ultra délicatesse.

Quand nous entendons parler de la personne, nous pensons au masque de l’acteur grec, la « personna » qui cache l’homme pour dévoiler les dieux, ou alors, nous pensons à la personne morale et juridique, à l’individu porteur d’une représentation sociale ou morale. Parfois il nous arrive de parler de la personne d’une manière personnelle, et de commencer à parler de l’intime, mais nous reculons devant cette dimension personnelle de la personne en disant que c’est quelque chose de personnel qui doit le demeurer et nous n’y entrons pas. Très rarement, nous faisons l’expérience de la personne et nous osons parler de la personne comme étant l’ultra intime. C’est dommage, car c’est ce qui nous empêche de connaître le Dieu vivant à l’intérieur de nous-mêmes et qui est infiniment personnel.

Dans la Bible Dieu apparaît comme celui qui parle à l’homme, Il tutoie l’homme, Il a un visage, des émotions, de la compassion, des larmes ou bien encore de la colère. Nous nous disons que c’est impossible, et que Dieu ne peut pas être ainsi, il ne peut pas avoir un visage, être en colère ou avoir des larmes. Détrompons-nous, cette manière de voir Dieu est la manière la plus objective, la plus rigoureuse et la plus exacte qui soit. A condition de donner à toutes ces appellations – colère, larmes, compassion, visage – la figure de l’infini.

Nous apercevons quelque chose que la phénoménologie a découvert, que Descartes a commencer à entrevoir et que les mystiques et les sages de la Grèce et du Moyen-âge connaissaient déjà. C’est que la subjectivité est ce qu’il y a de plus objectif et de plus réel. Nous avons l’habitude d’opposer le subjectif et l’objectif. Si nous vivons banalement la subjectivité, c’est vrai, car la subjectivité ne nous parle que de nous, de nos obsessions, de nos rêves et nous coupe de la réalité. Mais si nous ne sommes pas dans une subjectivité banale, il en va tout autrement.

La subjectivité vivante est la capacité infinie de tout ressentir, d’être présent à tout et on s’aperçoit qu’il n’y a que cette manière de vivre qui permet d’accéder à la réalité. Je comprends la réalité lorsque je comprends que la réalité est comme moi et que je suis la réalité, c’est-à-dire que nous sommes dans une infinie présence à toutes choses et à tout être. Nous sommes alors dans le visible comme comble de l’invisible. Le visible, c’est ce qui se passe lorsque je vois ce que je vois. C’est une chose extraordinaire et il n’y a qu’une manière possible de voir ce que l’on voit, c’est d’être présent à ce que l’on voit. Là nous faisons l’expérience de la personne.

Tous ceux qui font l’expérience de Dieu, que ce soit dans cette vie, ou dans des expériences de mort imminente suite à un accident, racontent la même chose. Tout d’un coup ils se trouvent confrontés à un autre niveau de réalité qui est un amour incroyable.

C’est exactement l’expérience de la présence infinie qui bouleverse totalement la réalité et qui, en particulier, nous enseigne que la mort n’existe pas, tant il est vrai que dans cette présence infinie, il n’y a pas l’ombre de quelque chose de mort. C’est l’expérience du Dieu vivant, du Dieu présent, qui n’est pas là-bas dans l’obscurité de la substance qui demeure imperturbable, mais qui est dans la présence irradiée et irradiante de toutes choses.

Le visage

Le visage dans notre corps est la manifestation de toute notre sensibilité et de notre capacité à l’extérioriser mais aussi à l’intérioriser. Notre visage est porteur des cinq sens qui permettent de recevoir toute l’information venue du monde extérieur, mais également de manifester toute l’information de notre monde intérieur. Si bien que le visage est par excellence le lieu de passage et de transition entre l’intérieur et l’extérieur, c’est ce qui fait du visage le lieu le plus extraordinairement sensible de l’être humain.

Ce qui est extraordinaire dans le visage, c’est que c’est la seule chose de nous-mêmes, à part notre dos, que nous ne voyons pas. Vous voyez mon visage, moi je vois le vôtre, mais je suis incapable de voir mon propre visage. J’en suis incapable parce que mon visage et vivant et il n’arrête pas de recevoir et d’exprimer des informations. Pour voir mon visage, il faudrait que je sois en dehors de mon corps, c’est-à-dire que je sois mort. Tant que je suis vivant, je ne peux pas voir mon visage. On voit ici la relation qu’il peut y avoir entre l’invisible et l’extra-ordinairement vivant.

Le visage c’est l’extra-ordinairement vivant en moi, qui n’arrête pas de vivre et donc qui ne peut pas se figer. Levinas nous dit que faire l’expérience du visage, c’est faire l’expérience de l’infini. Mais j’irai plus loin en disant que faire l’expérience du visage c’est faire l’expérience de la Pâque et du passage, c’est comprendre que le visage va bien au-delà de la figure humaine qu’on appelle la face.

Lorsque Pascal parle de l’homme, il dit que l’homme est un tout à l’égard du néant et un néant à l’égard du tout, il est un milieu entre le rien et le tout. Cela veut dire que l’homme est un lieu continuel de transformation de l’invisible en visible et du visible en invisible, de l’extérieur à l’intérieur et de l’intérieur à l’extérieur. L’homme est par définition même, un milieu, tout comme la vie est un milieu, c’est un intermédiaire entre l’intérieur et l’extérieur, le visible et l’invisible, c’est un lieu de passage, c’est un lieu de Pâque qui manifeste l’extra-ordinairement vivant.

Si je fais l’expérience de ce visage, je vais découvrir la chose la plus extraordinaire du monde, c’est ce qu’on appelle la présence au monde et à travers elle, l’identité du monde comme logos, comme langage. Dieu s’est fait homme, le Christ est le Verbe fait chair. Ce n’est pas le personnage Christ qui condense en lui Dieu, mais c’est le Christ qui révèle toute chose dans son identité véritable, c’est à dire dans sa puissance de passage et de pâque.

A ce moment là je fais l’expérience bouleversante d’un visage qui s’adresse à moi dans mon intime, qui révèle tout ce qui est autour de moi et me donne une vision inouïe de l’existence qui est non seulement l’expérience de la personne, mais aussi celle du visage. Cela permet de comprendre ce que veut dire l’amour.

L’amour

Pour les pères de l’Église, l’amour c’est l’agape, c’est ce qui se passe lorsque j’aime quelqu’un, non pas pour moi ou simplement pour lui, mais pour le plus haut point de lui-même. Je l’aime pour sa grandeur et sa royauté. Dans l’amour il y la dimension de l’éros, de la philia et celle de l’agape.

L’éros est une force qui nous attire hors de nous même et qui en même temps attire les choses à l’intérieur de nous, qui permet de rentrer dans la présence et la pâque.

La philia, c’est ce qui se passe lorsque nous faisons l’expérience du visage de toute chose qui nous parle dans l’intime et qui nourrit, comme l’amitié, cette délicieuse conversation avec l’infini.

L’agape c’est ce qui nous amène dans le couronnement, dans la royauté.

Je t’aime, cela veut dire, je veux la grandeur de toi-même, je veux ce qu’il y a de plus beau pour toi, là on est dans l’expérience de l’amour. Tous ceux qui ont fait l’expérience de Dieu nous disent que les hommes n’imaginent pas à quel point Dieu les aime, ils n’imaginent pas à quel point l’amour infini de Dieu, veut pour chacun la suprême grandeur et la suprême royauté.

Le Fils de Dieu

Le « Fils de Dieu » c’est l’appellation qui va provoquer la crucifixion du Christ.

(Mt 16, 13-16) Jésus était venu dans la région de Césarée-de-Philippe, et il demandait à ses disciples: «Le Fils de l’homme, qui est-il, d’après ce que disent les hommes?» Ils répondirent: «Pour les uns, il est Jean Baptiste; pour d’autres, Élie; pour d’autres encore, Jérémie ou l’un des prophètes.» Jésus leur dit: «Et vous, que dites-vous? Pour vous, qui suis-je?» Prenant la parole, Simon-Pierre déclara: «Tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant!»

(Jean 10, 32-36) Ils lui répondirent : « Ce n’est pas pour une œuvre bonne que nous voulons te lapider, mais c’est pour un blasphème : tu n’es qu’un homme, et tu te fais Dieu. ». Jésus leur répliqua : « N’est-il pas écrit dans votre Loi : J’ai dit : Vous êtes des dieux ? Elle les appelle donc des dieux, ceux à qui la parole de Dieu s’adressait, et l’Écriture ne peut pas être abolie. Or, celui que le Père a consacré et envoyé dans le monde, vous lui dites : “Tu blasphèmes”, parce que j’ai dit : “Je suis le Fils de Dieu”.

Le Fils de Dieu c’est le problème numéro un de l’Évangile, c’est l’appellation la plus extraordinaire qu’on puisse prononcer et en même temps la plus scandaleuse. Le Christ fait scandale aujourd’hui, aussi bien dans la religion que dans la non-religion. Pour l’athéisme, l’idée que Dieu existe est déjà scandaleuse, mais l’idée qu’un homme puisse venir dans le monde et dire « je suis le Fils de Dieu » est encore plus scandaleuse. La grande opposition entre l’Islam et le Christianisme vient précisément de la question du Christ Fils de Dieu qui est présentée comme blasphématoire.

On veut crucifier le Christ lorsqu’il dit qu’il est le Fils de Dieu. En effet, si je vois les choses avec les yeux de la banalité, je pense que le Christ est effectivement dangereux car il se prend pour Dieu et si on le laisse faire, il va former une communauté délirante qui va asservir les autres communautés. Donc il est un danger pour l’humanité, car si quelqu’un prétend détenir la vérité et être la vérité, il va se donner le droit de tuer pour la vérité parce qu’il la possède et qu’il veut l’imposer aux autres.

Dans le chapitre  10 le Christ dit : « Vous êtes des Dieux ». Vous êtes des Dieux quand vous vous nourrissez vraiment de la parole, parce que vous vous nourrissez d’une nourriture qui ne peut pas être anéantie. L’expérience de la Pensée permet de comprendre cela, c’est ce qui se passe quand on reçoit l’information céleste, lorsqu’on reçoit les paroles et les pensées qui accompagnent notre vie, et derrière elles, les intentions les plus profondes de nous-mêmes.

Ce qui nous fait vivre, ce sont des pensées qui sont dans notre cœur et qui illuminent l’existence en lui donnant du sens. Une des caractéristiques de l’être vivant que nous sommes, c’est de se programmer lui-même. C’est ce que nous mettons à l’intérieur de nous qui nous permet de vivre. Ce sont des paroles qui résonnent dans notre cœur à l’infini.

La Parole divine c’est ce qui résonne à l’intérieur de nous à l’infini et qui nous fait vivre de tout notre être. Lorsque nous sommes dans cet état, nous ne sommes pas Dieu, nous sommes des dieux, Le Christ utilise le pluriel de dieu,  ce sont des Élohim, les forces inconscientes à l’intérieur de nous et porteuses de tout le potentiel divin. Il est tout à fait juste de dire que nous sommes des dieux  lorsque nous nous nourrissons de la Parole divine et des informations célestes qu’elle contient, elle rentre dans notre inconscient et elle n’arrête pas de vivre à l’intérieur de notre inconscient.

En disant cela, nous ne sommes pas dans l’orgueil, nous sommes dans la vie, nous sommes accouchés par le Père, par la surabondance de l’information primordiale qui passe à travers nous et fait de nous des enfants de cette information primordiale. Être fils de Dieu c’est la révélation de la véritable religion vécue, toute religion vécue fait de nous des êtres accouchés par le Père pour aller dans notre information personnelle et transcendante et qui va faire de nous des fils de l’homme, c’est-à-dire ceux qui vont accomplir l’humanité. Le Christ nous dit que Dieu n’est pas simplement Père mais Il est Fils, Il n’est pas seulement invisible, mais Il est visible, Il n’est pas simplement la présence nourrissante qui permet à toute choses d’exister, mais Il est aussi celui qui se nourri de cette présence.

Cette structure primordiale est la structure de tout, la rencontre entre le Père et le Fils, c’est ce que nous faisons lorsque nous avons une véritable expérience de la Parole et du Verbe, lorsque nous entrons dans l’information divine et que nous réalisons cette information en la faisant vivre à l’intérieur de nous-mêmes. Le Christ n’est pas seulement venu annoncer Dieu, mais il est venu accomplir Dieu et permettre à tout homme d’accomplir Dieu à l’intérieur de lui-même parce que la vérité de Dieu ce n’est pas seulement sa possibilité, mais c’est cet accomplissement.

Avec le Christ nous voyons l’extraordinaire de Dieu et il est très juste de voir Dieu ainsi. Lorsque Frédérique Lenoir disait  que le Christ est philosophe et qu’il est venu annoncer les droits de l’homme, Benoit XVI avait raison de dire que le Christ n’est pas venu annoncer les droits de l’Homme, mais il est venu apporter Dieu. Pour nous dans notre voyage dans la vie morale, nous pouvons retenir l’idée que l’essence de la vie morale est une ouverture sur l’infini qui commence avec le Père, qu’elle se continue avec le Fils et qu’elle n’est pas finie puisque si le Fils vient, l’Esprit peut venir et c’est ce dont nous parlerons la prochaine fois.