30 – Le politique sans Dieu

Retrouver ICI un extrait de la conférence en vidéo

Retour sur le cours précédent

La liberté et Dieu sont indissociables et le problème de la laïcité est un faux problème, c’est un problème que l’on a créé dans la modernité en posant l’incompatibilité entre la liberté et Dieu, ce qui fait qu’on se retrouve dans une contradiction insoluble. Nous sommes dans un monde qui, au nom de la laïcité, défend la liberté de croyance, or la laïcité à laquelle nous sommes confrontés est directement opposée à la croyance.

Il faut repenser la laïcité et la relation entre la liberté et Dieu, si nous posons Dieu comme étant la source ineffable de la vie, nous apercevons que l’homme, dès lors qu’il est en relation avec Dieu et avec l’existence, est dans un espace totalement ouvert qui le libère de l’enfermement dans la banalité. Etre libre, n’est pas la liberté de choix, c’est la liberté d’exister. Nous pouvons avoir le choix, mais si nous n’avons pas la liberté d’exister, nous n’avons pas de liberté ontologique, alors que si nous avons la liberté ontologique, même si nous n’avons pas la liberté de choix, nous sommes toujours libres.

La relation entre politique et religion

Parler de la relation entre politique et religion, c’est parler de la maladie de notre monde. Nous sommes dans un monde malade où la politique est l’indice même de cette maladie et nous allons aborder quatre éléments qui sont : La confusion entre politique  et religion, la division entre politique et religion, l’abstraction dans laquelle on pense le politique et le religieux et le moyen de libérer la relation entre politique et religion.

Nous sommes frappés par l’abstraction dans laquelle on a tendance à parler de ces questions, comme si la politique était une chose et la religion autre chose, et surtout, paradoxalement, on ne parle ni de la politique qui s’occupe des hommes, ni de la religion qui s’occupe de Dieu. On parle de la politique sans parler des hommes, et on parle de la religion sans parler de Dieu, bref, nous sommes dans l’abstraction la plus totale.

Nous venons d’un monde qui a critiqué la confusion entre politique et religion et cette critique n’est pas totalement mauvaise. La confusion entre politique et religion, mène toujours à la violence et débouche sur des pratique dictatoriales, voir tyranniques.

Cela est très bien expliqué par Pascal lorsqu’il dénonce les « dévots », il a compris que le problème fondamental de la culture vient du manque d’engagement existentiel dans lequel on se trouve. Ce qui fait qu’à un moment, on a affaire à des demi-politiques et à des demi-religions, c’est ce qui se passe lorsque l’individu traite les choses à distance, d’une manière monolithique par des systèmes abstraits et on débouche sur des systèmes qui oppriment les individus.

La raison véritable

Le problème de la culture, c’est de vouloir apporter de la raison à l’intérieur du monde sans aller dans la raison véritable. La raison véritable, c’est la raison qui procède de l’engagement existentiel qui fait qu’un individu est constamment présent à ce qu’il vit. C’est quelque chose que l’on trouve en germe chez Descartes et que Pascal va développer derrière l’expérience de ce qu’il appelle « la charité ».

Pour Pascal, ce qui permet d’apporter de l’ordre dans le monde, c’est d’être présent à tout moment à l’existence en veillant à chaque détail de celle-ci. Là, nous avons affaire à la constitution d’un ordre véritable. Quand on a affaire à cet engagement existentiel profond, on s’aperçoit qu’il n’y a pas de problème entre la politique et la religion parce qu’il y a un individu existentiel, donc, animé par le sens de la charité et attentif aux choses du monde. C’est parce qu’il a un engagement existentiel profond, lié au tout vivant, qu’il est en même temps attentif à chacun.

La relation entre politique et religion, n’est ni un problème de politique, ni un  problème de religion, c’est un problème de personnes qui sont attentives à la relation qu’il peut y avoir entre le tout et la partie. L’intelligence c’est de mettre en relation la partie et le tout. Le tout, sens de la géométrie, la partie, sens de la finesse et la relation entre les deux, l’Esprit. C’est ce que notre monde n’a pas compris en pensant que le religieux et le politique étaient dissociés, avec d’un côté le politique qui est pratique et de l’autre, le religieux idéaliste qui se perd dans les nuées.

Mais lorsqu’on revient à la réalité des choses, on ne peut pas séparer le politique du religieux parce qu’on ne peut pas séparer le tout et la partie. Si nous disons que le sens du religieux, c’est le sens du tout vivant et que le sens du politique, c’est le sens de l’individualité et des particularités, parce que nous avons le sens du tout, nous avons le sens de la particularité et vice versa.

Cela donne la personne réelle, celle dont parle Saint Augustin, c’est-à-dire la figure du chrétien. Le chrétien, c’était quelqu’un qui était engagé dans la vie réelle, et parce qu’il était spirituel, il était réel et parce qu’il était à la fois réel et spirituel, il se distinguait des politiques et des religieux.

Le triomphe de la représentation

Le problème, c’est lorsqu’il y a des personnes, à l’intérieur de la cité et de la réalité politique, qui ne sont pas à la hauteur de leurs responsabilités car cela donne des demi-politiques et des demi-religions. C’est ce qui se passe lorsqu’on bâtit des systèmes et que l’on veut organiser le monde à partir de ces systèmes.

C’est quelque chose que Bergson a parfaitement compris, dans « la perversion de l’intelligence », il dit que l’individu qui veut maitriser le monde, prélève des éléments de la réalité qui lui permettent de la maitriser,  il plaque une représentation sur la réalité et entend soumettre le monde à cette représentation.

Le problème de nos sociétés occidentales, c’est le triomphe de la représentation, et la soumission du réel à la représentation. On a des représentations politiques et des représentations religieuses, des représentations politico religieuse, et on veille à ce que la société soit conforme à une représentation.

Le politique est lié à l’intelligence.

En politique, soit on a affaire à des personnes qui ont le sens du tout et de la partie, avec un véritable engagement existentiel qui les amène à être constamment présents à ce qui se fait, on a affaire à des hommes réels, parlant à des hommes réels avec des paroles réelles qui ont un véritable engagement et  nous rentrons dans la véritable cité humaine.

Ou alors, nous avons affaire à des êtres qui ne s’engagent pas de l’intérieur et qui entendent diriger le monde avec des représentations politiques, religieuses et politico religieuses et nous avons un exemple remarquable de ce phénomène avec l’islamisme radical.

A travers l’islamisme radical, nous voyons apparaître quelque chose qui a traversé la chrétienté. L’islamisme radical poursuit une représentation de l’Islam qui est une sorte de représentation idéale à laquelle on veut que le monde entier se conforme d’une façon à la fois politique et religieuse. On débouche sur ce que donne l’idéalisme de la vie réelle, c’est-à-dire la violence, qui est de vouloir que, par la force, la réalité se conforme à l’idéal. Ce qui concerne aujourd’hui l’islamisme, a autrefois, concerné le christianisme, il y a eu l’idéal d’une certaine chrétienté et on voulait que le monde se conforme à cet idéal.

Ce problème existe à chaque fois qu’il y a des religions nationales avec un idéal de la religion auquel on veut que la société et l’humanité se conforment. Autrement dit, le problème de la politique et du religieux n’est pas politique ou religieux, c’est le problème de l’intelligence du politique et du religieux, le problème de l’intelligence tout court.

La séparation entre le politique et le religieux

A la révolution française, nous assistons à un désir de séparer totalement le politique du religieux pour revenir à une intelligence véritable du politique et de l’humanité et on assiste à un des plus extraordinaires désastres que l’humanité ait pu connaître : les totalitarismes du 20ème siècle.

Comment se fait-il que la séparation entre le politique et le religieux, chargé de bonnes intentions, débouche sur un véritable désastre humain, politique, culturel et moral ?

La révolution avait très bien repéré les abus du religieux dans le politique, les abus du théologico-politique, et la confusion entre politique et religion. Là-dessus, il n’y a pas de débat, il y a bien eu des abus du religieux dans le politique et il fallait les corriger.

Mais pour remédier à ces abus, jamais il n’a été question de partir de l’homme existentiel, et à la base, on a reproduit, sur le mode politique et laïque les même erreurs que celles qui existaient dans le monde religieux. C’est-à-dire qu’on a utilisé une demi-intelligence qui était liée au formidable travail de la pensée philosophique du 18ème siècle pour essayer de bâtir un monde dans lequel on serait sûrs que le religieux ne viendrait plus jamais perturber le politique.

On n’a pas pensé des personnes, on a pensé un système, on a voulu établir un système mental, un système de pensée tel qu’il nous garantirait à jamais de l’intrusion du religieux dans le politique pour être libérés à l’égard de la tutelle du religieux.

La captation de l’origine de l’humanité

Il y a eu un fantastique travail dans la philosophie des lumières pour réécrire la genèse et fabriquer une nouvelle origine de l’homme.

La pensée du 18ème siècle est fondée sur ce qu’on peut appeler une captation de l’origine.

Dans le livre de la genèse, il est dit que l’origine de l’homme est céleste, or à partir de la révolution française, elle devient simplement humaine.

Ce qui caractérise l’origine céleste de l’homme, c’est qu’elle est sans loi parce qu’elle relève d’une loi qui dépasse toute loi et qui invite l’homme à dépasser toute loi, c’est la loi de l’absence de loi.

La pensée du 18ème siècle, c’est le passage de la loi divine à la loi humaine et le fait que l’homme va venir du droit. Tout le monde s’extasie devant les droits de l’homme et du citoyen, en ne voyant pas l’opération métaphysique qui est derrière. Derrière les droits de l’homme, il y a la volonté d’installer l’idée que c’est le droit qui créé l’homme.

Dans le Léviathan Hobbes dit qu’à l’état de nature, les hommes sont égoïstes et c’est la guerre de tous contre tous, l’homme est un loup pour l’homme jusqu’au moment où les hommes ont peur de la mort et décident de passer un contrat de sécurité entre eux afin de ne pas s’agresser. Ce qui est dit par la loi, c’est ce qui donne naissance à l’humanité, c’est le contrat social, le pacte de sécurité et dérivé de ce pacte, le droit. Nous voyons que l’homme ne vient plus du ciel, il vient de la terre, il ne vient plus de la vie, il vient de la peur de mourir et du droit.

Camus nous dit que la révolution française a été guidée par deux idées qui sont le droit et le libertinage. Chez Rousseau, l’homme n’est pas un loup pour l’homme, il vit très bien avec lui-même, c’est le « bon sauvage », mais pour vivre en société, il passe un contrat avec les autres, non pas un contrat de sécurité, mais un contrat de bonheur dans lequel les hommes ont ajouté leurs forces pour développer une force commune, et on retrouve cette même idée que l’homme vient du droit.

Le droit et la rationalisation

C’est l’idée que la société va se garantir de l’intrusion du religieux dans le politique par l’introduction du droit. Cette notion du droit et de la loi humaine, aussi paradoxal que cela puisse paraître, va donner les totalitarismes du 20ème siècle. Le totalitarisme vient du mythe de l’état, c’est le mythe du droit, d’une entité intellectuelle qui se pense par elle-même et qui va organiser et rationaliser le monde.

Cela est très bien expliqué par Edgard Morin, il montre que les sociétés humaines ont évolué grâce à la mise en place de méga-machines organisatrices, qui tel un cerveau dirigeant le corps humain, permettent de diriger la société. Cela donne, certes un formidable appareil de rationalisation, mais en même temps, un extraordinaire appareil d’asservissement. Avec la révolution française, en apparence, nous voyons apparaître le règne de la liberté, mais derrière, apparaît le règne d’un nouvel asservissement.

L’état va se développer avec sa rationalité propre et qui correspond à la mise en place d’un formidable dispositif d’asservissement que Cassirer montre très bien. Ernst Cassirer est ce grand philosophe humaniste du 20ème siècle qui a développé toute une anthropologie. Il fuit l’Allemagne parce qu’il est juif, et en 1945, lorsque ses étudiants lui demande d’expliquer le totalitarisme, il dit que l’essence du totalitarisme vient du mythe de l’état qui est le mythe de la raison, le mythe d’une raison et d’une intelligence qui se pensent toutes seules, c’est-à-dire, le mythe du système parfait.

En occident nous avons le rêve de mettre en place un système qui serait une rationalisation pure et qui ne devrait rien à la subjectivité humaine, et nous y sommes !

Ce qui va mener l’ancien régime à sa perte, c’est la mise en place d’un système religieux que plus personne ne pense, et parce que plus personne ne le pense, on croit qu’il est un système parfait et qu’il va pouvoir protéger la société.

Nous voyons, lors de la révolution française, la répétition de cette même tentation, celle de l’objectivation sans sujet, sous la forme, non pas d’une politique religieuse, mais d’une politique non religieuse qui débouche sur le culte de l’état, une nouvelle religion qui est celle du politique et dont nous ne sommes pas encore sortis, c’est ce qui créé tous les problèmes auxquels nous avons affaire.

Les totalitarismes du 20ème siècle

Il est intéressant de voir le retour à une formulation nouvelle des relations entre le politique et le religieux. Le traumatisme de la shoah est très important dans notre monde, et celui-ci oblige à penser de manière totalement nouvelle. Ce traumatisme peut être mis en relation avec celui des goulags, ce qui nous sidère aujourd’hui en politique, c’est le problème de fond qu’il y a dans les totalitarismes, qu’il soit nazi ou communiste. Tout a été fait dans la culture pour ne pas penser le mal, pour éviter la question du mal, or les totalitarismes obligent à poser la question du mal, et nécessitent qu’on change totalement la pensée politique. Ce travail n’a pas encore été fait, nous n’avons pas encore pensé la shoah et le goulag parce que pour pouvoir les penser, il va falloir qu’on repense la théologie et la relation au religieux.

Machiavel

Depuis Machiavel, il y a eu une rationalisation de la pensée politique en occident. Avant Machiavel, la politique vient du ciel, elle est établie par Dieu sur la terre et doit se conformer à  l’ordre divin, avec Machiavel, la politique passe du ciel à la terre et n’est plus dans un établissement divin du pouvoir, mais dans un établissement humain.

Pour Machiavel, la réalité de la vie politique n’est pas le ciel, c’est la terre, et sur la terre, c’est l’animalité des hommes qui sont en lutte féroce les uns contre les autres pour le pouvoir. En clair la vie politique c’est la guerre, et le Prince c’est celui qui est capable, par son énergie, sa violence et son courage, de tenir en respect la violence des autres et de bâtir une cité grâce à sa volonté.

On débouche sur une rationalisation de la violence qui aboutit au fascisme, cependant il est intéressant de voir que le mouvement démocratique se reconnait dans Machiavel parce que la politique ne vient plus du ciel, elle vient de la terre, elle a des origines naturelles humaines, et en fait, la violence est une bonne nouvelle dans la vie politique parce que cela veut dire que les hommes peuvent s’approprier le politique et bâtir eux-mêmes une cité humaine.

Le mouvement machiavélien de la pensée, c’est la banalisation de la violence et l’établissement d’une société politique à partir de cela. Notre monde politique est bâti sur la positivité du conflit, le conflit c’est bien parce que cela fait progresser les revendications sociales et c’est le moteur du progrès, les hommes peuvent donner leur avis et devenir acteurs de leur propre destin.

Nous avons cru à la rationalité de la violence et que, parfois la violence pouvait être un bien.

Hegel, dans « La violence dans l’histoire » pense que la violence est l’accoucheuse de l’histoire, avec le Goulag et la Shoah, on découvre que la violence n’est pas aussi rationnelle que cela.

Hitler

Ce qui caractérise Hitler, c’est la volonté de produire un être véritablement violent, c’est-à-dire un homme avec une hyper puissance qui serait capable de bâtir une nouvelle humanité. Hitler va dans l’impensée de Machiavel, celui-ci pensait que la vie politique s’humanisait si on avait une lucidité sur la violence, en s’appropriant celle-ci, cela donnait le Prince et permettait de civiliser les hommes. Hitler va compléter Machiavel et dire que pour que la violence civilise les hommes, il faut créer une race d’hommes supérieurs, capables d’être vraiment violents et de faire régner une réalité supérieure.

A partir de là, on a la véritable violence, pour rationaliser le monde, il faut une violence effroyable et effrayante, il faut déchainer les forces du mal. L’occident a commencé à réaliser ce que Platon avait compris 2500 ans auparavant. Les sophistes disaient qu’il fallait être pragmatique car la réalité humaine, c’est la violence et c’est une bonne chose parce que c’est cela qui permet aux cités de se déployer, et Platon leur répond qu’ils idéalisent la violence, parce que celle-ci ne donne pas des civilisateurs, mais elle donne des tyrans qui maltraitent et exploitent les autres.

Le mythe de la violence

Il y a une distinction entre le nazisme et le communisme, mais au niveau de la rationalité politique, il y le même idéalisme de la violence. Toute la rationalité politique a été enfermée dans les sophismes de la violence disant que la violence c’est regrettable, mais c’est la seule manière de faire échec à la violence.

Depuis la révolution française, on vit sur le mythe de la violence, sur le mythe de la prise de la bastille et de la guillotine qui va purifier le monde des éléments de l’ancien régime qui étaient les éléments de l’oppression.

On vit dans la fascination pour la révolte et l’insurrection, sur l’idée d’une sorte de purification de l’humanité donnée par la violence. Finalement, tout le système de la pensée occidentale débouche directement sur la mise en place du nazisme et du communisme qui nous mettent en face d’une violence incroyable.

Aujourd’hui, le nazisme est pour tout le monde, synonyme d’une violence incroyable, mais le communisme continue de fasciner, et il y a encore des intellectuels pour défendre des régimes dictatoriaux et totalitaires parce qu’ils continuent à rêver à une violence purificatrice.

Qu’est ce que le Mal ?

Le mal oblige à poser la question de la transcendance à l’intérieur du champ politique et à comprendre les mécanismes de la transcendance. Il a très bien été compris par les pères de l’Eglise et en particulier par Maxime le Confesseur lorsqu’il dit : « Le mal est l’absence de bien ».

C’est très simple, l’homme est un être transcendant, c’est-à-dire dont le potentiel est inimaginable, encore faut-il qu’il apprenne à vivre ce potentiel et à le développer. Il s’avère que lorsque ce potentiel divin qui se trouve en l’homme n’est pas rassemblé afin de pouvoir se manifester, il se déchaine sous la forme d’une force qui se retourne contre celui qui ne l’a pas maitrisé et cela débouche sur un désordre indescriptible.

Autrement dit, le Malin, le Mal, c’est le Dieu avorté, le Dieu qui n’est pas né, le Dieu qui est mort, celui qu’on étouffé et qui revient sous la forme de dispositifs de terreur. L’homme qui ne s’est pas sanctifié, purifié, transformé, qui en quelque sorte, n’est pas devenu Christ, devient un Satan, le Satan, c’est le Christ inversé.

On voit que dans les dispositifs sataniques de la violence, on assiste à une volonté de puissance démesurée, c’est quelque chose qui est apparu chez les tueurs de Charlie Hebdo qui, après avoir tué les journalistes, étaient descendus dans la rue, révolver au poing, le monde était terrorisé à leurs pieds et on voyait une espèce de jouissance vertigineuse de la toute puissance.

Le désir de toute puissance, c’est ce qui se passe lorsque le Dieu intérieur n’est pas né.

A l’occasion du nazisme et du communisme, nous sommes confrontés à nous-mêmes, le dieu que nous n’avons pas voulu vivre, nous est revenu sous la forme d’un dieu totalitaire, terrifiant, monstrueux et satanique.

La clef d’une politique libératrice

Tout ceci oblige à reposer correctement la question du politique. Pour cela, revenons à cet épisode souvent si mal compris des Evangiles où il est demandé au Christ : «  Est-il permis de payer l’impôt à César, ». En réponse à cette question, le Christ réclame une pièce de monnaie et demande qui est sur cette pièce, on lui répond que c’est César, et il répond : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. ».

Dans cet épisode, nous avons la clef de la politique libératrice et nous avons affaire à quatre éléments : l’image, Dieu, César et le Christ lui-même.

Le Christ a affaire à des pharisiens qui veulent le piéger et lui posent un problème insoluble car payer l’impôt aux Romains pour des Juifs, c’est être un collaborateur, mais ne pas le payer c’est être un rebelle et risquer sa vie. Comment trouver une attitude juste qui ne soit ni celle du rebelle, ni celle du collaborateur ?

Le Christ change complètement le problème et ne répond pas à la question, il prend la pièce de monnaie et la met en relation avec l’image qui s’y trouve. L’important est de resituer les choses dans le domaine de l’image, cela veut dire que quand il est question de politique, au lieu de parler de politique, il vaudrait mieux parler d’image du politique, et d’image tout court, car on est dans le champ de la représentation et cela permet immédiatement de dédramatiser les relations humaines et de retrouver la distance nécessaire.

Par exemple, lorsqu’on écoute les nouvelles, si on n’est pas vigilant, on se laisse happer par elles et on rentre dans des mécanismes d’angoisse, de colère et de passion, mais si on se souvient que le politique est un jeu, tout s’apaise. Il est important de comprendre que le monde dans lequel nous vivons est un jeu, et que la ruse du politique est de nous faire croire que ce n’en n’est pas un, parce qu’il veut être le maitre du jeu.

Le monde est un théâtre

Souvenons nous que le monde est un grand théâtre et que nous sommes dans un jeu avec des rôles, si nous  vivons ainsi, nous pouvons dédramatiser et purifier nos passions.

Toute la société grecque était structurée autour du théâtre, le théâtre était le lieu où on allait projeter ses passions pour pratiquer une purification de celles-ci. En se rendant compte qu’on était dans le champ de la représentation, on pouvait prendre du recul, le but étant soit de rire, soit de pleurer de ses propres passions.

La chose qui manque la plus à notre monde, c’est le recul, c’est la transcendance, la pensée divine, l’humour, le savoir, l’intelligence.

Avec leur question, on pourrait dire que les pharisiens « prennent le Christ à la gorge », car si on paie l’impôt on est un collaborateur et si on ne le paie pas on est un rebelle, et personne ne sait quoi faire.

Le Christ fait alors un geste que l’on pourrait qualifier d’aristotélicien, Il resitue les choses et les remet devant la dramaturgie cosmique et théologique. Lorsqu’Il demande qui est sur la pièce, on lui répond que c’est César, et là, il n’est plus question de politique, il n’est plus question de Rome, il est question de César. César, c’est un homme, mais quelque part, c’est aussi un dieu vivant, et ceci nous remet devant la réalité du politique qui n’est pas un système abstrait mais une personne qui a le pouvoir, et un pouvoir quasiment divin. La phrase du Christ : « Rendez à César ce qui est à César » signifie « exorcisez César ».

Une nouvelle façon de payer l’impôt

Dans le monde politique, on est happé, on est soumis, et le Christ montre une nouvelle façon de payer l’impôt. En payant l’impôt, ce n’est pas vous qui allez dépendre de César, c’est César qui va dépendre de vous, vous allez vous libérer et libérer les hommes de César, vous allez transformer un acte de collaboration extérieur en un acte de libération nationale en renvoyant César à lui-même.

Ce genre d’action fait partie des dispositifs thérapeutiques, lorsqu’on est obsédé par une image qui a une emprise sur nous, on nous dit de prendre du recul et de renvoyer la chose à elle-même.

César n’est rien et on a la possibilité de montrer que César n’est rien à partir du moment où on ne pense plus en termes de système et qu’on se libère du César qu’on a dans la tête et qui dévore notre cerveau.

Dans cette phrase, on retrouve le « Discours sur la servitude volontaire » de La Boétie, lorsqu’il dit que ce qui fait qu’il y a des tyrans, c’est qu’il y a des esclaves. Arrêtons d’être des esclaves dans notre tête, et il n’y aura plus de tyran. Il y a des tyrans parce que secrètement on les admire et, même quand on en a peur, on continue de les admirer.

Le Christ apporte un exorcisme remarquable à l’égard de la peur de César et qui fait penser à la phrase « aimez vos ennemis », c’est-à-dire qu’en rendant sa pièce à César, on retrouve sa propre dignité et on devient un véritable rebelle justement en payant l’impôt, parce que si tout le monde paie l’impôt à César, il n’y aura plus de rebelle et si il n’y a plus de rebelle, le pouvoir de César s’écroule, car il n’a de pouvoir que parce qu’on a peur de lui et que quelque part, on l’admire.

Si on arrête de l’admirer et qu’on lui paie l’impôt en lui renvoyant la monnaie de sa pièce, on se trouve dans un formidable dispositif de libération.

Mai 68 a voulu se libérer du pouvoir, mais en attaquant le pouvoir, il l’a entretenu, et a été incapable de l’exorciser. Nos chers intellectuels pensent que la seule manière de lutter contre le pouvoir, c’est d’avoir des contre-pouvoirs qui prennent le pouvoir sur le pouvoir, mais ils ne font que l’entretenir. Le pouvoir politique n’est rien, César n’est rien, parce que ce qui est important, c’est la personne,  c’est la liberté, c’est vous, c’est nous, c’est chacun de nous et c’est là que se trouve la vie.

Rendre à Dieu ce qui est à Dieu

Pour former un monde qui soit véritablement émancipé du pouvoir, il faut un acte christique, c’est l’acte humain hautement thérapeutique qui va vers un second acte qui est de « rendre à Dieu ce qui est à Dieu ». Lorsqu’on rend à Dieu ce qui est à Dieu, on n’est plus dans l’exorcisme, on est dans la sortie de l’oubli. Quand on pose la question de l’impôt, on pense le politique uniquement sur le plan humain, on oublie totalement l’existence et le rapport de l’existence à Dieu. L’existence n’est pas sociopolitique, elle est sociohistorique, mais elle est aussi métahistorique et il convient de dire à tous les hommes qu’ils ont des sources sociales et historiques mais aussi des sources divines et célestes.

Le monde est malade parce qu’on n’est pas capable d’exorciser ses peurs par des actes thérapeutiques intelligents, mais aussi parce que, comme le dit Heidegger, on ne vit pas simplement dans l’oubli de l’être, on vit dans l’oubli de Dieu, on a totalement oublié l’origine céleste de l’homme. Cette origine céleste est ce qui permet de remettre le social et le politique à leur place.

Le social et le politique deviennent destructeurs lorsqu’ils tournent en rond sur eux-mêmes et qu’ils ne sont pas mis à leur place.

Ce qui permet de penser le politique et le social, c’est de penser le métasocial et le métapolitique, c’est-à-dire de redonner à l’homme une eschatologie et un sens. En disant que l’homme a une vocation divine, on va respecter le social et le politique parce qu’on va respecter les éléments matériels politiques et sociaux de son existence pour qu’il aille le mieux possible vers son origine céleste.

C’est la juste politique de l’Eglise qui a toujours été de respecter les aspects matériels et sociopolitiques pour permettre à l’homme de mieux faire son voyage vers sa destination céleste.

L’oubli de Dieu

Lorsqu’il oublie Dieu, l’homme est simplement un être sociopolitique et rentre dans un dispositif qu’on pourrait qualifier de sadomasochiste à l’égard du politique et du social, c’est-à-dire qu’il est dépendant du politique et du social, dont il attend tout, et en même temps il est furieux contre eux, précisément parce qu’il en attend tout.

Cela fait penser à la relation entre les Français et l’état, ils attendent tout de l’état et du politique, et en même temps, ils n’arrêtent pas de dire du mal de l’état et du politique parce que notre monde est dans l’oubli de Dieu et de son eschatologie.

Le geste extraordinaire du Christ permet d’exorciser la dimension du politique et surtout de restituer la relation à l’eschatologie humaine qui amène vers la clef de toutes choses. Le Christ est capable de penser, premièrement la médecine de l’homme, et deuxièmement, la libération de l’homme. C’est-à-dire qu’il est le verbe fait chair, capable d’embrasser toutes les dimensions de l’existence et de reconstruire la politique véritable.

La dimension royale de l’homme

Spinoza, quand il critique la confusion entre le théologique et le politique, explique que pour lui cette confusion est liée à la monarchie, c’est parce que les hommes fantasment sur le roi qu’ils prennent pour un dieu, qu’il y a une confusion entre le politique et le religieux, et il conclue qu’en se débarrassant du roi, on se débarrasse de Dieu et de la confusion entre le politique et le religieux.

Mais il faut revenir à une dimension royale de la vie politique, et faire la distinction entre la monarchie et la royauté qui elle, est le rayonnement et la puissance. Dans l’arbre de Sephirot, le but est d’aller vers le couronnement, il faut rendre à l’homme sa couronne et sa royauté. Cela veut dire qu’il faut créer une cité dans laquelle les hommes rayonnent. En respectant les aspects matériels de la vie, nous permettons au rayonnement de l’existence de se manifester.

Aujourd’hui, nous souffrons d’être dans un monde du bien être mais qui n’est pas le monde de l’être et de ce fait, les êtres ne peuvent pas rayonner. Les grands politiques ne sont pas des hommes de pouvoir, ce sont des hommes et des femmes de lumière et de rayonnement, ce sont des êtres extraordinaires qui sont capables de se servir des éléments matériels de l’existence pour redonner à l’homme sans grandeur, sa noblesse et sa dignité.

La dignité hante notre monde moderne qui sent bien que sa royauté intérieure a été volée, cela veut dire une chose rassurante et inquiétante à la fois, c’est que le politique n’existe pas encore. Pour le moment, nous n’avons pas affaire au vrai politique, et il faut que le politique tel que nous le connaissons, cesse d’exister, il faut arrêter la fantasmagorie dans laquelle nous nous trouvons, qui n’aboutit qu’à notre autodestruction, pour revenir vers quelque chose de royal, autrement dit le politique est à inventer.