L’émerveillement

Cette année nous parlerons de la morale uniquement à partir de l’évangile.

On comprend quelque chose à la tradition chrétienne si on voit qu’avec le Christ nous rentrons dans une haute connaissance. Cela nous ramène au Christ Pantocrator, le Christ tout puissant où la toute-puissance est liée à la Parole et à l’enseignement. C’est quelque chose que l’on a tendance à oublier, en occident on voit souvent le Christ sur la croix, on voit la souffrance et l’abaissement du Christ qui va porter la vie jusque dans les enfers. On représente rarement le Christ comme médiateur de la Parole, en Orient c’est l’inverse et le christ est toujours représenté comme médiateur de la Parole.

Il y a là un levier qui va permettre de découvrir une richesse à laquelle nous ne sommes pas toujours attentifs. Cela me fait dire que parfois, il y a un enseignement caché dans l’Evangile dès lors qu’on entreprend de le lire avec soin.

La vraie connaissance

Aujourd’hui je parlerai de l’émerveillement car je crois essentiel de partir de l’émerveillement. Les Grecs anciens vivaient continuellement avec le divin et ils ne cherchaient pas à le comprendre. Epicure disait que vouloir prouver l’existence de Dieu est le faux problème par excellence, car Dieu est une évidence. Et si on veut comprendre quelque chose au religieux il faut arrêter de vouloir comprendre, non pas pour arrêter toute connaissance mais pour aller dans la vraie connaissance.

La connaissance ordinaire est celle d’un individu en face du monde qui dresse une représentation de la réalité à laquelle il veut plier celle-ci. De ce point de vue, une explication et une compréhension, sont le fait de vouloir ramener un phénomène quel qu’il soit, à une grille d’analyse fixée au départ. Nous appelons explication et compréhension ce que nous pouvons contrôler par notre intellect en fonction d’un système de représentation purement humain qui nous arrange. En agissant ainsi, nous n’expliquons pas les choses, mais nous les ramenons à, nos propres catégories

Pour certains, l’explication « Dieu » est quelque chose de trop facile et beaucoup de nos contemporains ne comprennent pas le religieux. Ils croient que le religieux est un système d’explication, mais le religieux n’a jamais prétendu expliquer quoi que ce soit. Le religieux n’explique rien mais il illumine tout, et c’est de cette illumination dont je voudrais parler à propos de l’émerveillement.

L’émerveillement est la meilleure manière d’aborder la réalité dans laquelle nous vivons, le domaine religieux en général et la dimension Christique en particulier.

Comprendre l’émerveillement

Pour comprendre l’émerveillement il faut sortir de l’image courante que nous en avons, cette admiration absolue et son ivresse pour laquelle nous avons des sentiments contradictoires. D’un côté, nous trouvons qu’il est bon de s’émerveiller car c’est le signe d’une certaine fraicheur. Mais d’un autre côté, nous ne trouvons pas très sérieux de trop s’émerveiller car nous pensons que l’essentiel réside dans la vie pratique, dans le travail et dans la lutte.

Mais l’émerveillement n’est pas l’admiration béate et quelque peu stupide devant la réalité. L’émerveillement vient du terme miroir que l’on retrouve dans le mot mirabilia qui veut dire se faire miroir et réfléchir les choses, et de ce fait, les recevoir et les penser. L’émerveillement c’est la même chose que la vie intérieure et cela consiste à recevoir le monde qui nous entoure et le faire passer de l’extérieur à l’intérieur.

Réfléchir et se faire miroir, c’est transposer une image réelle extérieure en une image intérieure et lorsque celle-ci devient intérieure, elle nourrit mon imaginaire et révèle la capacité de pouvoir bâtir un univers intérieur. L’émerveillement commence avec la capacité que nous avons d’ouvrir un univers intime par le fait de réfléchir et de se faire miroir. D’où l’apparente passivité de l’émerveillement qui semble être le simple fait de recevoir, or, recevoir n’est pas être passif mais c’est transformer quelque chose d’extérieur en quelque chose d’intérieur.

Si nous approfondissons l’expérience intérieure et l’univers intérieur, nous allons découvrir qu’il y a quelque chose de plus profond en nous que la vie intérieure et imaginaire. Avoir un univers intérieur, c’est, à travers les images que l’on a, découvrir qu’il y a des images essentielles qui nous font vivre et qui vont au-delà de nous-mêmes. Ces images ont alors une résonnance à la fois inconsciente et sur-consciente. Lorsque nous mettons à vivre dans un univers intérieur, celui-ci se relie à toutes sortes d’univers donnés par l’imagination et par la mémoire. Ainsi, nous nous relions à une vie et à une mémoire intérieure qui va au-delà de notre propre mémoire, nous entrons dans l’évolution du monde, dans son histoire et dans ses origines.

Lorsque je regarde un arbre au printemps, celui-ci rentre en moi et devient une féerie intérieure, il me parle du miracle de la vie qui remonte aux origines et à la création de toutes choses. Je m’aperçois que je ne peux pas parler et vivre un univers intérieur sans être en relation avec la création. Celle-ci étant reliée à l’inouï de l’existence, à la merveille et au miracle, ce que je regarde est infiniment digne d’être regardé, savouré et médité. C’est l’extraordinaire découverte de « l’en soi » dans la civilisation qui est la nôtre.

Le miracle grec est fondé sur la vie intérieure, sur « l’ensoi », c’est ce qui se passe lorsque je vais en moi-même, que je transpose l’extérieur dans l’intérieur, l’intérieur dans l’inconscient et l’inconscient dans le sur-conscient. A l’occasion d’un évènement extérieur, je débouche alors sur ineffable et sur l’inouï de l’existence. A ce moment-là, je vois le monde !

Une vision du monde

C’est la grande découverte des anciens, difficilement compréhensible aujourd’hui par nos contemporains. La vision du monde n’est pas possible sans l’émerveillement et la vision ineffable. Ce qui fait que je vois le monde, c’est que je suis vraiment éveillé parce que je suis capable de voir les choses avec les yeux du miracle et de l’émerveillement. C’est là que nous faisons l’expérience de Dieu. On ne voit pas Dieu parce qu’on voit grâce à Lui, Dieu n’est pas ce que nous voyons, mais celui grâce à qui nous voyons. Je vois grâce à la merveille qui est au fond de l’existence et la merveille c’est l’infini de l’existence dont je ne me lasse pas.

Certains artistes approchent cette vision dans leurs créations, et je pense que c’est ce qui les guide, c’est le secret absolu de la vie. Là, nous faisons une expérience de connaissance. Dans le dialogue de Socrate avec le Théétète, celui-ci s’étonne face à l’univers et à l’ordre qui se trouve dans les étoiles, et Socrate lui dit que l’étonnement est un bon commencement pour la philosophie. Dans La métaphysique, Aristote dit la même chose, les premiers philosophes ont commencé à philosopher en regardant les étoiles.

L’ordre, c’est l’harmonie et l’harmonie c’est la beauté. La beauté est la deuxième source de la réalité, lorsque je regarde le ciel et les étoiles, je vois la beauté. L’univers n’est pas simplement matériel, il est beau, il y a là un mystère métaphysique et la beauté est aussi réelle que l’univers lui-même.

Il y a des objections à cette idée qui sont assez banales, voir grossières. Que de fois j’ai entendu : « Tu dis que l’univers est beau, mais tout n’est pas beau dans l’univers ». Le problème n’est pas là, dans la nature, il y a effectivement des catastrophes, mais cela n’empêche pas l’existence de la beauté. Il y a cohabitation de catastrophes naturelles pour nous, mais aussi de la beauté, et ce qui est étonnant, c’est que malgré le chao de l’univers, il y ait de la beauté dans le monde. On peut dire que l’univers est deux fois beau, il est beau parce qu’il y a de la beauté en lui mais en plus il est beau de ne pas perdre sa beauté malgré les catastrophes.

Cela s’appelle de la métaphysique, de la philosophie, de la théologie et c’est la pensée fondamentale. Je comprends quelque chose au religieux et à Dieu lorsque je n’ai pas honte de trouver l’existence belle et que je me sers de cette information qui est aussi une expérience. Je regarde la beauté de l’univers et j’ai une expérience théologique. Je découvre que dans l’organisation du monde, il y a une organisation matérielle et puis il y a autre chose. Il y a ce que les choses font et il y a ce quelles sont, la beauté vient de l’être et c’est ainsi. C’est donné comme un cadeau.

Une deuxième source de réalité

En vivant cela, je bouscule mes connaissances pour faire apparaître autre chose qui bouleverse tout. Etty Hillesum disait dans son livre Une vie bouleversée, alors qu’elle était dans un camp de concentration : « La vie est belle, je dirai qu’elle est belle, il y a quelque chose qui nous accompagne sans arrêt. Je pense qu’après la guerre les hommes seront peut-être capables de comprendre qu’il existe un ordre supérieur du monde », nous sommes là dans l’expérience métaphysique et théologique fondamentale. En voyant la beauté du monde, on découvre qu’il y a une deuxième source de la réalité.

Dans l’Ethique, Spinoza a une critique décevante de ce que je viens de dire. Il dit que les théologiens sont niais car ils s’émerveillent devant la réalité et ils y voient une preuve de l’existence de Dieu. Spinoza a raison si on prend les choses en disant simplement que la beauté du monde est la preuve de l’existence de Dieu. La beauté n’est pas une preuve, mais elle a quelque chose à nous dire sur les sources de la réalité. Le fait que le monde soit beau est le signe qu’il n’y a pas simplement des actions entre atomes, mais qu’il y a autre chose qui est de l’ordre de la beauté. Je rentre alors dans la haute connaissance, dans la connaissance spirituelle, il y a une organisation du monde qui n’est pas simplement rationnelle, mais aussi divine, ineffable, d’une beauté et d’une intelligence dépassant toute imagination. C’est se mettre en quête de cette connaissance, que de commencer à vivre et à voir le monde à partir d’elle.

On dit qu’il est facile de croire en Dieu et que cela donne une explication commode des phénomènes, mais il n’y a aucune explication des phénomènes, c’est exactement l’inverse. Voir les choses avec les yeux de la beauté et du divin, c’est commencer à se mettre en quête d’une autre manière de voir, de penser et de connaître. Nous n’avons pas l’habitude de voir les choses avec les yeux de l’émerveillement et plus nous allons les voir ainsi et mieux nous les verrons.

Il y a quelque chose qui se rapproche de cette vision dans les médecines orientales, c’est le fait de partir des structures harmonieuses de la réalité et d’essayer de voir les choses à partir de ces structures, et de voir en particulier le rayonnement et l’énergie qui s’en dégage. En occident, nous n’arrivons pas à comprendre cela parce que notre vision du monde est gouvernée par la guerre et non pas par l’harmonie, et nous partons toujours de situations de crise et de catastrophe. Nous mettons des gens en situation de catastrophe pour voir comment ils réagissent et on pense avoir compris le fonctionnement des choses parce qu’on a vu leur fonctionnement en situation de catastrophe. Nous n’avons absolument pas l’habitude de voir les choses avec les yeux de l’harmonie et du rayonnement.

Imaginons que nous ayons une science capable de voir le monde avec les yeux du rayonnement, ce serait le début d’une science inouïe telle que nous ne la connaissons pas encore. Peut-être changerons nous un jour de paradigme et arrêterons-nous de nous structurer par rapport au mal et à la mort. Toute notre morale est obsédée par le mal et lorsqu’il s’agit de définir la vie, Bichat dit que c’est l’ensemble des phénomènes qui résistent à la mort. C’est l’exemple type de l’intelligence occidentale qui ne comprendra jamais rien à la chose religieuse en fonctionnant ainsi.

Maxime le confesseur nous dit que pour comprendre, il faut partir de l’émerveillement. C’est la continuation du Théétète de Platon qui se rend compte qu’il y a une autre source de réalité et commence à soupçonner qu’il y a peut-être une source de réalité extraordinairement harmonieuse et rayonnante qui explique ce qui est. C’est un bouleversement total.

La relation entre le Christ et l’émerveillement

Nous devons aller dans l’émerveillement parce qu’il y a cette expérience extraordinaire du miroir qui permet de comprendre ce qu’est la vraie connaissance. Mais plus concrètement, je voudrais préciser trois choses qui nous permettrons de comprendre la relation qu’il y a entre le Christ et l’émerveillement.

L’émerveillement est la bonne méthode pour aborder la tradition chrétienne parce qu’il est une subversion radicale de notre mode de pensée qui est marqué d’une part par l’existentialisme et d’autre part par l’idéalisme. Dans notre mode de pensée, métaphysiquement, il n’y a rien, et comme il n’y a rien, c’est à l’homme de bâtir quelque chose pour exister par rapport à ce rien. En regardant autour de nous, nous voyons que nous sommes dans un mode d’être existentialiste et idéaliste. Métaphysiquement rien, et humainement tout, grâce à l’intelligence de l’homme. Nous sommes à la fois dans une absence totale d’idéal et dans une hyper idéalisation de l’intelligence humaine. Cela se voit très bien dans les projets mis en place pour l’homme futur, l’idée est que Dieu n’existe pas, l’homme est seul au monde, mais grâce à son intelligence et à la science il va pouvoir fabriquer un dieu qui sera un homme immortel et qui va transformer l’existence.

L’émerveillement est une subversion totale de cette vision des choses. C’est le contraire de l’attitude qui consiste à dire qu’il n’y a rien. C’est l’attitude qui consiste à dire qu’il y a quelque chose, c’est-à-dire une source spirituelle inouïe de la réalité et cette source, ce sont mes sensations, mon incarnation, ma chair vibrante qui la vivent. Il n’y a ni désespoir, ni idéalisation, mais au départ, quelque chose qui est à la fois l’absolu, le transcendant, et le charnel, le présent ici et maintenant.

A quelqu’un qui dit qu’il n’y a rien et que grâce à l’intelligence humaine il y aura quelque chose et que l’homme va créer Dieu, l’émerveillement répond qu’il y a quelque chose, et que ce quelque chose nous le vivons dans notre chair et dans notre corps, dès lors que nous sommes vivants. Je pense que nous avons là le Christ traduit en nous-même.

Il y a une obsession d’un certain nombre de prêtres aujourd’hui qui disent qu’il faut mettre la foi et le Christ dans la vie quotidienne. Beaucoup de gens pensent que mettre le Christ dans la vie quotidienne c’est faire du bien aux autres. C’est certainement cela, mais avant tout, c’est vivre le Christ pour soi. Il est dit :  « tu aimeras ton prochain comme toi-même », tout le monde comprend qu’il faut se faire du bien avant d’en faire aux autres, cette interprétation est d’une banalité affligeante. Le « comme toi-même », c’est ce que nous vivons lorsque nous sommes à la fois dans la transcendance et dans l’incarnation. Le Christ se trouve au fond de mes sensations et de mon corps, il se trouve en moi-même, lorsque ayant une expérience totalement charnelle et incarnée, j’ai une expérience transcendante. Je suis alors devant le Dieu vivant et la transcendance. C’est la subversion du mélange de désespoir et d’intellectualisme tout puissant dans lesquels nous évoluons et c’est la libération de notre être qui nous redonne un corps, des sensations et de la joie.

C’est là qu’interviennent les trois points que j’aimerais développer.

Les pères du désert disent que vivre la vie spirituelle c’est pratiquer une métanoïa, c’est-à-dire un repentir. On pense souvent que se repentir c’est s’accuser. On arrive alors à quelque chose d’absurde qui nous amène à nous accuser de péchés que l’on n’a pas commis.  Le repentir, s’est changer sa vie, si on se culpabilise sans changer sa vie, cela ne sert à rien. Changer sa vie, s’est changer d’intelligence et cela demande une grande vigilance car nous sommes constamment tentés de revenir vers l’intelligence de mort dans laquelle nous vivons, c’est-à-dire le désespoir mêlé d’intellectualisme. L’intelligence de la vie est subversive, elle nous fait découvrir les trois aspects de l’émerveillement.

1)Combattre les forces de tristesse

Le premier aspect, c’est la subversion de la tristesse du vide et de la prétention. S’émerveiller est souvent un commandement dans les psaumes pour combattre les forces de tristesse qui ont tendance à s’emparer de nous. S’émerveiller s’est arrêter d’être dans la posture du désabusement comme on est dans la posture de l’incrédulité. Le Christ dit : « Arrêtez d’être incrédules » parce que tout le monde est dans la posture de l’individu blasé qui sait tout et qui joue à ne pas être naïf. On remarquera que c’est une posture qui donne beaucoup de pouvoir au niveau social, car il semble toujours être plus intelligent de ne pas croire que de croire.

Je pense que s’émerveiller c’est arrêter d’admirer la posture du désabusé pour oser vivre et arrêter de s’interdire de vivre. C’est probablement cela que veut dire « Laissez venir à moi les petits enfants », le Christ dit cela aux pharisiens qui ont la posture de ceux qui savent mieux que tout le monde et cette posture est celle de quelqu’un qui a totalement renoncé à vivre.

Nous vivons dans formidable tristesse qui est liée aux raisonnements terriblement tristes qui se tiennent autour de nous parce que nous vivons dans un monde dominé par la posture du désabusé. Cette posture est liée à la posture du vide métaphysique qui considère comme puéril et naïf le fait de penser qu’il existe une source métaphysique transcendante de l’existence.

Pour pouvoir s’émerveiller il ne faut pas chercher à s’émerveiller. Maitre Eckart recommandait à ses religieuses d’arrêter de désirer Dieu. A force de désirer quelque chose on passe totalement à côté de ce qu’on désire. Il n’y a qu’une manière de vivre dans l’émerveillement et elle ne relève pas de l’émerveillement mais du vide et de l’ignorance qui consiste à dire que par rapport à la réalité, nous ne savons rien. Vivez avec l’idée que vous ne savez que très peu de choses par rapport à ce qui existe, et vous serez passionnés par ce que vous allez voir et vous allez vivre dans l’émerveillement.

On comprend alors ce qu’est la pauvreté évangélique qui n’est pas simplement le fait de se dépouiller matériellement. Celui qui ne fait que se dépouiller de ses bien matériels risque de rentrer dans l’orgueil spirituel. Être dépouillé est un état intérieur extraordinaire qui consiste vraiment à se sentir petit devant l’immense et à avoir le sentiment qu’on ne vit pas encore. Le Christianisme n’existe pas encore, le Christ nous ne savons pas encore qui c’est, l’Evangile nous ne l’avons pas encore lu, la morale chrétienne on ne sait pas encore ce que c’est.

Le monde est saturé de gens qui savent dans une prétention inouïe et il y a un blocage tout aussi stupéfiant. On ne vit pas, parce que tout le monde est riche, personne n’est devenu spirituellement pauvre et cela se voit à l’absence totale d’émerveillement. On vit dans la tristesse, dans la prétention, dans le vide métaphysique et non pas dans la pauvreté créatrice qui nous met dans l’émerveillement parce que par rapport à ce qu’il y a à savoir, nous ne savons pratiquement rien. Et là nous devons nous repentir, et vraiment demander pardon d’avoir cru savoir.

L’émerveillement n’est pas simplement une admiration béate, mais c’est une révolution intérieure totale qui nous emmène dans le vide intérieur, avec le paradoxe suivant : plus je me vide de tout ce que je crois avoir su, plus je suis émerveillé, moins il y a de tristesse et moins il y a de vide.

2)La profondeur métaphysique liée à l’émerveillement

Je la vois dans la confiance que l’on a dans la beauté de l’existence. Nous assistons à une crise des religions, de la foi et de la philosophie parce que l’on n’a aucune confiance dans les expériences charnelles que l’on peut faire et dans la beauté de l’existence comme source d’enseignement métaphysique, théologique et spirituel.

On n’arrête pas de parler des valeurs et du retour du religieux, mais cela ne sert à rien car il nous manque des êtres qui vivent la beauté du monde, qui se laissent guider par cette expérience de la beauté qui vient directement de l’Esprit Saint, et qui nous ouvrent les portes de la connaissance, et par là même, qui nous dévoilent les sources de notre existence ainsi que notre destination.

Ce qui est extraordinaire dans l’expérience de la connaissance c’est ce qu’on peut appeler la découverte de vérités éternelles. Lorsque je suis dans la beauté, je m’ouvre à la vie spirituelle et je découvre des paroles qui font vivre mon cœur et la caractéristique de ces paroles c’est qu’elles sont toujours bonnes, toujours belles et toujours vraies. Là, on est hors temps, on comprend notre origine et notre destination. Nous venons de la beauté et la vérité éternelle, et c’est vers quoi nous allons, c’est notre origine, notre destination et notre paternité.

3)L’absence de sacrifice

Cela nous amène à découvrir le dernier aspect de l’émerveillement. Dans le Psaume 39, nous pouvons lire : « Nombreuses sont tes merveilles que tu as faites Seigneur mon Dieu et tes desseins, nul n’est semblable à toi. Je les ai annoncées et je les redit, il est trop peu pour les dénombrer », et en poursuivant son analyse, le psalmiste met en relation les merveilles avec l’absence de sacrifice. Cela revient sans arrêt dans les psaumes et c’est en même temps le sens du magnificat.

Ce qui fait que Dieu est une merveille, ce n’est pas simplement parce qu’Il est la source spirituelle, mais c’est aussi la miséricorde divine et l’idée de l’absence de sacrifice. Dans le psaume 50 il est dit : « Car si tu voulais des sacrifices, je te les aurais donnés, mais tu ne veux pas des sacrifices de sang, tu veux des sacrifices de louange », la merveille c’est ce qui se passe lorsqu’un être humain est capable de passer d’un langage de mort à un langage de vie, c’est-à-dire de passer du sacrifice à la louange.

Le sacrifice, c’est lorsque le monde, pour fonctionner, a besoin de passer par le sang qui coule et par la violence. La merveille c’est de découvrir un espace de vie, de pensée et de cœur qui ne passe plus par le sang qui coule. Il existe une morale qui ne se défini que par rapport au mal, une science qui ne se défini que par rapport à la mort et une humanité qui ne se conçoit qu’en faisant du mal au mal et en tuant la mort, c’est-à-dire en étant dans le mal et dans le meurtre. Cette humanité est incapable d’imaginer une autre vie, une vie qui vient d’ailleurs.

Nous retrouvons ici la parole d’Etty Hillesum « Peut-être qu’après la guerre les hommes seront capables de comprendre qu’il existe un ordre supérieur du monde ». Dans les camps de concentration, elle dit que la vie est belle, elle vit en permanence une autre source de la réalité qui n’est pas la source matérielle. Le monde autour d’elle ne se situe que par rapport au mal et au meurtre et elle se dit que lorsque les nazis seront vaincus, l’idée que le monde ne peut fonctionner que dans la violence va être terrassée et les hommes vont reconnaitre l’ordre supérieur du monde qui est celui de l’émerveillement et de la sagesse transcendante, l’ordre de la vie christique, de la transcendance et de la divino-humanité.

Et c’est cela la Bonne nouvelle de l’Evangile ! C’est qu’il existe un autre ordre de réalité et une autre connaissance. En faisant confiance à la beauté que nous voyons dans le monde, malgré les catastrophes, nous faisons confiance à nos propres sensations et nous nous laissons guider par elles. Nous avons alors affaire à un mode de vie qui donne sens à ce que nous allons essayer d’explorer cette année, c’est-à-dire la théologie morale.