Humanisme, antihumanisme, transhumanisme.

« Voici l’Homme »

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Introduction.

Nous avons vu le paradoxe de l’athéisme avec la volonté de se délivrer de Dieu et finalement l’impossibilité de le faire.

Aujourd’hui nous allons aborder la question de l’humanisme. Pour comprendre cette question, je crois qu’il faut apercevoir la façon dont elle se pose aujourd’hui dans notre monde, les contradictions qu’elle rencontre et la manière dont on peut dépasser ces contradictions. Il ne faut pas partir de l’histoire et de l’extériorité, de ce qui s’est passé à la renaissance et aux siècles suivants, parce qu’on va rester extérieur au problème alors qu’il convient de voir les choses de l’intérieur. C’est une question qui met aux prises deux positions fondamentales et antagonistes. La première est celle qui se fonde sur la conscience et sur le moi, la deuxième est celle qui se fonde  sur la nature et sur la raison.

L’humanisme fondé sur la conscience

C’est la position qui consiste à dire que le monde commence avec moi, cela parait un peu outrecuidant mais il y a là quelque chose de juste. Pour comprendre l’homme, le premier réflexe de l’homme cultivé et occidentalisé, c’est de partir de la réalité autour de lui et de se penser dans ce cadre. A la question « qui suis-je ? », il répond : « Je suis l’être déterminé par la nature, par la société, et je dépends fondamentalement de la nature et de la société car je n’imagine pas pouvoir vivre sans elles. » Or l’humanisme dit : « pourquoi éprouves-tu le besoin de passer par la nature et la société quand tu parle de toi ? Pourquoi ne parles-tu pas de toi ? Ce qui m’intéresse, ce n’est pas les données objectives de ton existence, c’est ce que tu dis toi. Pourquoi éprouves-tu le besoin de te cacher derrière la nature et la société pour exprimer ce que tu es ? »

Il y a là quelque chose de juste exprimé par l’humanisme, celui de Descartes, de Kant ou de Sartre. L’humanisme de Descartes dit : « J’ai fait des études toute ma jeunesses, j’ai parcouru une quantité de savoir, mais je me rends compte qu’on ne m’a pas appris à penser, je sais des tas de choses, et en même temps, je ne sais rien. J’éprouve le besoin de revenir à la vérité et de voir ce qui est vrai. Ce qui est vrai, c’est que, moi Descartes, j’existe, et que lorsque je suis attentif à mes propres pensées, je crée de l’ordre dans mes pensées et j’ai le sentiment d’être dans la réalité. Je suis dans la réalité lorsque je fais une expérience personnelle, subjective de la réalité et que je parle en mon nom propre. L’humanisme, c’est ce que je découvre lorsque je pense par moi-même, je découvre quelque chose de juste qui me parle, et je deviens un homme réel, j’ai le sentiment qu’autour de moi, les hommes ne sont pas réels parce qu’ils ne parlent pas d’eux. »

Même chose dans l’humanisme de Kant, il part non pas de l’expérience de la pensée, mais de celle de la volonté. Il dit qu’être homme, c’est découvrir la volonté et la liberté. Souvent, le drame de l’humanité c’est de ne pas avoir de volonté, non seulement elle ne pense pas par elle-même, mais elle est incapable d’agir par elle-même. Ceci pour deux raisons, premièrement à cause de la faiblesse qui fait que les individus sont dépassés par leurs propres besoins et deuxièmement à cause de la pression sociale extérieure qui veut que l’individu soit soumis aux déterminations de son milieu. L’être humain devient vraiment homme lorsqu’il se libère à l’égard des autres par la capacité qu’il a d’avoir de la volonté : « J’existe et je vis parce que je le veux ! ». Ce qui fait qu’on est homme, ce n’est pas simplement parce qu’on pense, mais c’est également parce qu’on est capable de volonté.

Sartre s’inscrit dans ce qui a déjà été dit par Descartes et par Kant en disant qu’être homme, s’est être responsable de ses actions et de sa vie, c’est décider d’être, de penser et d’agir par soi-même au lieu de démissionner et de déléguer aux autre ce que l’on est. Le grand problème de l’humanité est sa démission à l’égard d’elle-même et la justification de cette démission. Nous sommes dans un monde qui se veut humaniste, mais l’humanisme de notre monde est fort peu marqué par la pensée et la volonté propres.

Paradoxalement, l’humanisme dans lequel nous vivons, n’est pas un humanisme de la pensé, de la volonté ou de la responsabilité, c’est un humanisme de l’humain qui excuse l’homme de démissionner par rapport à lui-même.

L’humanisme n’est pas tant l’humanité envers l’homme que la fermeté de la pensée, de la volonté et de la responsabilité. Cela veut dire que l’homme est une liberté et une décision radicale qui fait que le monde commence vraiment.

L’humanisme fondé sur la nature

Il est frappant de constater qu’il existe une pensée radicalement opposée, c’est celle qui conteste l’idée que le monde commence avec moi et qu’il est faux de penser que tu commences avec toi, avec ta propre pensée, volonté et responsabilité. Là on a affaire à un discours qui est celui de la nature. Par nature, il faut entendre la réalité, mais la réalité qui est capable de faire communiquer les deux aspects de la réalité, c’est à dire l’aspect invisible et l’aspect visible. L’aspect invisible, c’est l’essence, le visible, c’est l’existence. La relation qu’il y a entre le visible et l’invisible dans la nature renvoie à un essentiel qui existe, cet essentiel c’est le noyau du réel  qui existe d’une manière sensible.

Le discours tenu par les partisans de la nature, repose sur le constat que ce qui est réel n’est pas le moi, mais ce sont les données qui permettent à la vie d’exister sous les trois formes, matérielles, sociales, et morales. La sagesse orientale a un beau discours à propos de la nature, elle pense qu’il y a des équilibres à respecter à tous les niveaux des expériences de la vie, il y a des équilibres matériels, des équilibres humains et des équilibres culturels. Être homme c’est renoncer à dire moi et je, en n’en faisant qu’à sa tête, pour apprendre à respecter ces équilibres et faire ce que la vie exige, autrement dit, c’est accepter les déterminismes naturels, sociaux et culturels. C’est dire que je ne suis pas vivant parce que je suis homme, mais je suis homme parce que je suis vivant.

C’est le discours de la science à travers la médecine et la science, à travers la sociologie et la politique. Le discours de la biologie et de la médecine est un discours objectif qui ne tient pas compte du moi humain, mais des équilibres dans lesquels s’inscrit l’être humain. C’est en voyant si l’individu respecte ces équilibres que le discours s’établit, à aucun moment, il n’est question du moi ou du je, en revanche il est constamment question de la détermination objective qui permet à l’individu d’exister et du fait de savoir si l’individu respecte ou pas ces règles déterminantes. Dans le cadre médical, on dira à quelqu’un que s’il veut rester en bonne santé il lui faut respecter certaines règles et que s’il est malade c’est qu’il n’a pas respecté ces règles. C’est également le cas dans le domaine politique et dans le domaine social. La vie de la cité repose sur des équilibres qu’il convient de respecter et si on ne le fait pas, il y a des crises et il en est de même au niveau de la culture.

Une contradiction majeure

Cette confrontation entre le discours du moi et celui de la nature produit une contradiction majeure et l’impossibilité de réconcilier ces deux éléments, c’est d’autant plus problématique qu’ils sont au fond de la culture humaniste moderne. Nous somme dans un monde qui a un double discours, d’un côté il y a un discours moral et juridique, et de l’autre un discours scientifique. Et il s’avère que ces discours sont totalement incompatibles l’un avec l’autre. Le discours moral et juridique repose sur la liberté du moi et ne tient absolument pas compte des déterminations objectives de l’existence. Il ne peut pas en tenir compte parce que s’il en tenait compte, il n’y aurait plus de moi possible. Le discours scientifique dit qu’il y a des déterminations et des régulations objectives à respecter, et pour ce faire, il faut mettre entre parenthèses son moi, sa volonté et sa responsabilité, faire non pas ce qu’on veut mais ce qui est.

Il y a une opposition entre deux visions du monde, la première disant que c’est parce que je suis homme que je suis vivant et la deuxième disant c’est parce que je suis vivant que je suis homme. Cela entraine l’incapacité de fonder un véritable humanisme. En théorie, on essaie de rendre compatibles l’humanisme juridique et moral et l’humanisme scientifique et rationaliste. On pense qu’on peut les réconcilier simplement par le discours et la bonne volonté. Cela entraine les difficultés dans lesquelles nous sommes.

Une crise culturelle

Ce que nous vivons aujourd’hui, cette fameuse crise des gilets jaunes et de l’écologie, renvoie à une crise culturelle majeure dont personne n’ose parler. Derrière ce qui se passe il y a des problèmes extrêmement profonds. La nature se rappelle à nous, elle nous dit : « Attention, si vous ne respectez pas un certain nombre de règles concernant les équilibres de la nature, la vie sur la planète ne sera plus possible » donc, comment peut-on respecter la nature et ses équilibres alors que toute une partie de notre culture ne veut pas entendre parler de nature, elle ne veut entendre parler que de « moi », que de l’homme et elle a totalement exclu l’idée de nature.

Si on parle de nature dans des milieux qui se veulent progressistes, on vous tire dessus à boulet rouges car le terme nature est synonyme de conservatisme et d’attitude réactionnaire.  On veut la liberté totale de l’homme qui décide ce qui est bon pour lui. On le voit aujourd’hui dans les discussions à propos du genre où il est dit que chacun doit déterminer non seulement ce qu’est sa sexualité mais également son sexe lui-même. On réclame un monde où on va pouvoir totalement choisir ce qu’on est.

Pas question de parler de la nature pour l’humanisme juridique et moral mais il n’est pas question d’entendre parler du moi pour l’humanisme scientifique et rationaliste. La rationalité et la science écologique dit qu’il faut oublier l’homme, à chaque fois que l’homme intervient avec son moi, il sème le désordre et le chaos. Au 17ème siècle, Spinoza écrit dans « l’éthique », que les deux choses qui perturbent totalement la culture humaine, c’est l’idée d’un Dieu créateur et l’idée d’un homme libre et par conséquent, la communication entre un Dieu créateur et un homme libre. C’est-à-dire un Dieu qui ferait ce qu’Il veut parce qu’Il le veut et un homme qui ferait ce qu’il veut parce qu’il le veut.

Aujourd’hui il y a un humanisme scientifique qui pense que si on veut sauver la planète, il faudra un jour penser à faire disparaitre l’homme car il est nuisible à la vie. Je citerai l’article d’un sociologue renommé qui n’hésite pas à dire que si on veut progresser, il faut en finir avec le sacré de la personne humaine, la science a progressé le jour où elle s’est débarrassée de la religion, et aujourd’hui, il convient de se débarrasser de l’humanisme qui met des contraintes dans la vie humaine. A propos du clonage, ce sociologue disait que pour émanciper l’humanité, il faut libérer l’homme de l’homme et ne pas avoir peur des avancées scientifiques qui dépersonnaliseront l’être humain, si demain, grâce à la science nous avons la possibilité d’avoir un super corps et un super cerveau dans une super vie, seul les fous, les âmes religieuses et les irresponsables, refuseront.

Déjà ce discours antihumaniste était tenu par Louis Althusser qui disait que le stalinisme était devenu un totalitarisme non pas par manque d’humanisme et d’humanité mais, au contraire par un excès d’humanisme et d’humanité. Louis Althusser souhaitait une objectivité sans sujet, une disparition du sujet pour arriver au socialisme scientifique qui respecterait les lois et les équilibres de la nature de la vie et de la société, c’est ainsi qu’on arriverait à se libérer de l’exploitation et de la domination. Pour lui, l’homme n’est pas fait pour exploiter l’homme, le capitalisme est contraire à l’équilibre de l’homme, ce qui permet de libérer les hommes, c’est une loi scientifique et rationnelle fondée sur l’identité de l’homme avec lui-même et de ce fait l’exclusion de l’exploitation de l’homme par l’homme.

Il faut prendre très au sérieux ces oppositions parce qu’elles sont au cœur de ce que nous vivons. La question qui se pose à nous, c’est de savoir dans quel monde nous allons vivre demain. Quel humanisme doit-on faire triompher ? Est-ce l’humanisme du droit ou celui de la science ? Est-ce un humanisme antiscientifique, anti déterminisme et antinature ou bien un humanisme anti-liberté et anti-individualisme. Ceci est le problème entre l’homme et la nature et c’est là que la théologie peut nous aider en recadrant la question.

Recadrer la question

Il faut arrêter de parler de l’homme  et de la nature d’une manière totalement extérieure. En fait nous ne cessons pas de vivre dans l’espace politique de l’autorité et du pouvoir, de la morale, du bien et du mal. Nous pensons que l’homme c’est bien et que le déterminisme scientifique c’est mal  ou que la subjectivité c’est mal et que la rationalité scientifique, c’est bien. Quand nous pensons cela, nous sommes pensés par le discours moralisateur du bien et du mal parce que quand nous pensons nous ne cessons pas d’avoir peur et nous voulons nous garantir. On ne pense pas l’homme, on pense le danger de la science, du déterminisme et de la nature. Descartes pense contre l’éducation, Kant pense contre l’autorité politique traditionnelle, Sartre pense contre la nature. A chaque fois, on pense contre un ennemi et du coup, même quand on pense l’homme, on ne le pense pas vraiment. On dit qu’il faut penser par soi, parce que penser à partir d’une éducation qui vous a donné quelque chose ou bien à partir d’une autorité, ce n’est pas penser par soi, de même penser par rapport à la nature ce n’est pas penser par soi. On a envie de dire : «  Pourquoi as-tu peur de l’éducation, de l’autorité politique ou de la nature ?» L’humanisme scientifique, lui, a peur de la subjectivité, de la liberté et de la création, pour lui c’est n’importe quoi, il lui faut du rigoureux, du sérieux et du rationnel.

Nous vivons dans un monde qui a peur, et nous sommes dans l’incapacité d’accorder ensembles la nature et les hommes parce qu’on veut tout faire en même temps et on le fait mal. Je n’ai pas les solutions par rapport à ce qui se passe aujourd’hui, mais je suis sûr qu’on va en trouver et je ne suis pas trop inquiet. Je ne suis pas inquiet parce que je pense qu’il faut revenir à des sources qui nous nourrissent. Il faut arrêter de penser dans la peur et revenir à des choses substantielles et nourrissantes. Il faut arrêter d’opposer l’homme et la vie et revenir à la relation profonde qu’il y a entre les deux. Arrêtons de penser que l’homme commence avec le moi parce qu’il commence bien avant, il est tellement important qu’il est là depuis longtemps, notre moi ne provient pas uniquement de ce que nous connaissons, il provient de bien plus loin. Nous gagnerions beaucoup à articuler le moi et la vie.

L’apport de la théologie

Si nous lisons la genèse, il est dit que l’homme apparaît d’une manière royale, Dieu crée l’homme comme un roi pour régner sur le monde et le faire resplendir, le roi n’est pas quelqu’un qui domine mais qui sert son royaume pour aller vers sa manifestation. Les forces de la création sont des potentiels créateurs dans tout ce qui se passe autour de nous et en nous, régner c’est faire resplendir les potentiels. Pour qu’il y ait l’homme il faut qu’il y ait la royauté de l’homme. L’exil de l’humanité c’est ce qui se passe lorsque l’homme se pense sans la royauté. Il voit la nature, les autres hommes, la vie et Dieu comme des ennemis parce qu’il est condamné à cela. Lorsqu’on est pauvre, on se sent malheureux et abandonné et on en veut à l’existence qui nous a appauvri et abandonné. Tous les schémas de vie donnés par des hommes sans Dieu sont des schémas terribles. Par exemple Hobbes au 17ème siècle nous dit que l’homme est un loup pour l’homme. Dans nos visions sociologiques on voit que l’homme est aliéné par la société et la culture qui se sont emparées de lui. A propos du religieux, on dit que la religion c’est le mal, le pouvoir, le fanatisme. Lorsque l’homme est pensé sans Dieu, le monde autour de lui devient un ennemi et il ne pense qu’à mater cet ennemi qui lui fait peur et qui le domine.

Lorsqu’on est un roi, on n’a pas besoin de se battre, quand on a tout on peut profiter de tout et on peut être généreux. La royauté de l’homme protège la nature, la société et l’homme lui-même, lorsque l’homme est vu comme un être royal, il est apaisé, il ne se sent plus abandonné et en état de manque. II y a là une vision totalement nouvelle et on a fait beaucoup de mal à notre culture en disant que le christianisme est la culture de la culpabilité. Le christianisme, c’est la culture de la royauté, dans la liturgie catholique, il est dit que l’homme est né prêtre, prophète et roi, il a tout ce qu’il faut pour pouvoir faire rayonner la nature et la société alors qu’il pense qu’il n’a rien.

Pour faire face à la crise

Aujourd’hui nous entendons des discours de catastrophe et d’apocalypse, les eaux vont monter à cause du dérèglement climatique, nous allons tous mourir noyés et le tout dans une guerre civile totale. C’est exactement ce type de discours qui crée un véritable problème social, politique et écologique, et qui ne peut que générer des attitudes contre-productives. Nous avons tous les éléments pour pouvoir faire face à la crise dans laquelle nous sommes, à partir du moment où nous reprenons le chemin de la connaissance, c’est-à-dire de la foi et de la situation profonde de l’homme. L’homme n’a pas commencé avec l’homme, il a commencé avec la royauté de l’homme, et c’est le sens profond de la découverte de l’inconscient qui est lié au fait de dire que l’homme appartient à la vie qui, elle, a commencé il y a longtemps. L’homme possède cette vie à l’intérieur de lui, il possède l’univers car il récapitule toute l’évolution, il possède une immense mémoire à l’intérieur de son corps et cette mémoire n’est pas  simplement biologique, elle est aussi symbolique. L’homme possède un trésor dans son inconscient avec les archétypes de l’humanité qui l’inspirent et le nourrissent. Cela veut dire que l’homme est riche d’un patrimoine intérieur prodigieux, et lorsqu’il vient sur terre, il possède un moi, une pensée, une volonté et une responsabilité vivantes et royales.

Je pense que dans le projet de nos parents nous existions déjà, et je trouve très belle cette phrase : « Lorsque nous n’étions qu’une lueur dans les yeux de nos parents », on n’imagine pas la profondeur du sentiment amoureux, lorsque deux êtres se rencontrent et que cette rencontre va déboucher sur un enfant, il faut apercevoir que cet enfant ne commence pas avec la rencontre physique mais dans la rencontre psychique entre ses parents. Un jour une amie m’a dit que lorsqu’elle a rencontré son mari, elle savait que ce serait le père de ses enfants. Ceci est une expérience ontologique, rien ne s’est passé entre eux, mais une intuition profonde a pris possession d’elle et cela a abouti à sa réalisation. Lorsque je dis qu’il faut penser l’homme d’une manière royale, il faut tout penser ainsi et réaliser que les choses commencent depuis très longtemps, un enfant est là bien avant d’y être physiquement, c’est quelque chose de vertigineux parce que cela veut dire que nous étions dans ce monde bien avant qu’il n’existe. Si nous vivions avec cette conscience, nous aurions une véritable conscience humaine et écologique.

L’humanisme que l’on nous propose est totalement rétréci, c’est un humanisme de la solitude, de la pauvreté et de la misère, l’homme est un être blessé, et toutes les théories, la politique, la sociologie, la médecine qu’il développe se passent dans la misère alors que tout est un trésor royal. Il ne faut jamais oublier que lorsque l’homme a perdu son lien avec le jardin d’Éden, qui est le jardin du sens, le paradis entier s’est mis à pleurer devant la condition humaine. Cela ne s’est pas passé il y a des milliers d’années, cela se passe tous les jours. Tous les jours, le paradis et les anges pleurent devant la condition humaine qui fait que l’homme se croit misérable alors que c’est un roi et il fait penser à quelqu’un qui meurt de faim devant des tables chargées de mets fastueux.

Ce qui est vrai pour le moi, l’est également pour la science, si l’homme commence bien avant l’homme, la science va bien au-delà de la science. Lorsque la science découvre des équilibres objectifs qu’il faut respecter, il ne faut pas en rester là. Toutes les connaissances objectives de la science sont des connaissances royales données sur la nature, la biologie, la médecine, mais également sur la sociologie et sur la culture. Sommes-nous capables de donner une dimension poétique et mystique à tous les énoncés auxquels nous avons affaire ? Nous nous servons de trésors uniquement comme d’armes. Cela me fait penser à la bombe atomique, on découvre quelque chose d’inouï qui est l’énergie atomique et la première chose à laquelle on pense c’est d’en faire une bombe pour détruire un maximum d’êtres humains. Nous ne comprenons pas que l’énergie atomique est une extraordinaire découverte métaphysique et mystique à l’intérieur de la nature qui nous dit : « Attention, dans la nature et dans la matière, il y a des forces prodigieuses et ces forces sont également à l’intérieur de la flore, des animaux et des hommes que vous êtes. Si vous avez été capables de découvrir l’énergie atomique à l’intérieur de la matière, c’est que vous êtes capable d’avoir la même énergie en vous ».

Est-ce que vous vous rendez compte de la richesse invraisemblable dans laquelle nous sommes ? La science a tort de ne se limiter qu’à la science, c’est-à-dire à une méthodologie qui permet d’avoir un savoir contrôlé. Le savoir contrôlé est une bonne chose si on le fait vivre, c’est alors un savoir poétique et mystique, autrement-dit, la science n’est pas encore née parce qu’on n’imagine pas les possibilités qui sont données à la connaissance.

Nous avons besoin d’une noce entre l’homme et la nature, entre l’humanisme scientifique et l’humanisme juridique. C’est le défi de notre temps car nous n’allons pas pouvoir continuer encore longtemps à vivre dans la misère spirituelle qui est la nôtre, sans la royauté humaine. Le problème du monde n’est pas le problème de la science ou du droit, c’est celui de la vocation profonde et du sens profond de l’humanité. Il faut apprendre à le vivre avec une extrême liberté, avec une extrême royauté.