Isaac le syrien, « priez sans cesse »

Nous allons maintenant parler de l’actualisation de la liberté. Pour cela nous parlerons de la prière et de la relation qu’il peut y avoir entre la prière et la liberté.

Pour comprendre la question de la prière, il faut bien apercevoir que celle-ci ne va pas de soi et c’est ce que je montrerai dans un premier temps, avant de faire apercevoir les autres aspects de la prière qui sont anthropologiques, religieux et méta-religieux.

La prière ne va pas de soi

Le travail, opposé de la prière

Aujourd’hui, nous sommes dans un monde qui ne sait plus prier. La prière a disparu de ce monde parce qu’il peut y avoir des aspects critiquables de la prière, c’est ce que souligne Epicure. A son époque (4ème siècle avant JC), ce qui scandalise Epicure, c’est l’attitude religieuse en général et son paradoxe. Les hommes vont dans les temples, font des sacrifices aux Dieux pour obtenir des miracles, et comme ils prient pour obtenir des miracles, ils sont dans un cercle vicieux. Comme ils attendent un miracle, ils ne travaillent pas et comme ils ne travaillent pas, ils attendent un miracle, et on voit apparaitre le travail à l’opposé de la prière. Le travail, c’est la grande catégorie du 19ème et du 20ème siècle, synonyme d’une humanité qui devient responsable d’elle-même.

La question du travail par rapport à la prière, c’est quelque chose que l’on retrouve chez Luther à qui l’on doit cette expression qui a été terrible au cours de l’histoire : « Arbeit macht frei », le travail rend libre, elle était inscrite en lettres de fer sur le haut du portail d’entrée du camp d’Auschwitz.

La question de la prière pose la question anthropologique de la responsabilité et du travail. N’est-il pas trop facile de demander et de prier et n’est-il pas plus responsable de ne pas prier ? Il arrive qu’on demande par la prière ce qu’on n’obtient pas par le travail et la responsabilité. C’est une critique du matérialisme qui pense que l’humanité prie trop. Cela me fait penser à ces mères de familles, fatiguées par les demandes de leurs enfants et qui disent : arrête de « demander ». Il est plus reposant d’avoir une humanité qui n’est pas tout le temps dans l’inquiétude et dans la demande. C’est une critique que l’on peut trouver dans les Evangiles, lorsque le Christ dit « Ce n’est pas celui qui crie « Seigneur ! Seigneur ! » qui sera exaucé, mais celui qui fera la volonté du Père ».

La prière en « spectacle »

Il y a une deuxième critique de la prière de la part du Christ qui ne se laisse pas forcément émouvoir par elle, lorsqu’il dit aux pharisiens « Ne priez pas sur les places, priez dans le secret ». Attention à la religiosité et à la prière qui se donne en spectacle ! Attention de ne pas vouloir se faire admirer pour sa piété.

Prier c’est refuser la réalité

La troisième critique à l’égard de la prière, c’est cette phrase de Nietzche citée par Albert Camus dans l’Homme révolté : « Ne plus prier, bénir ». Pour Nietzche, prier c’est demander, c’est ne pas accepter le monde tel qu’il est, c’est vouloir quelque chose d’autre. L’homme tragique de Nietzche ne demande pas que la réalité soit autre, il l’accepte telle qu’elle est, mieux encore, s’il fait preuve de grandeur d’âme, il bénit la réalité, surtout si celle-ci est tragique et qu’elle le confronte à l’adversité.

En résumé, tout donne à penser que la prière est une faiblesse de l’esprit. On prie parce qu’on n’est pas vraiment responsable, on se donne un rôle à travers la prière ou bien on n’accepte pas la réalité. Il est vrai que, lorsqu’on prend les aspects extérieurs de la prière, comme pour beaucoup de choses, celle-ci est critiquable.

La prière ne se limite pas à ses aspects extérieurs

Les aspects sociaux de la prière

On s’aperçoit que la prière joue un rôle de médiation sociale et anthropologique essentiel. C’est une des activités les plus importantes de l’humanité. Une activité à laquelle ont été consacrée des territoires immenses. En Inde, il existe un lieu sacré, nommé Hampi, qui fait près de 20 kilomètres carrés et où sont construits des temples les uns à côté des autres. En Birmanie, Il y a un endroit magnifique qui s’appelle Pagan où il y a près de 3500 temples qui ressemblent un peu à des vaisseaux spatiaux pointés vers le ciel, c’est toute une région consacrée à la prière. Au Cambodge, le territoire d’Angkor est couvert de temples.

On peut faire une critique politique en expliquant que les temples ont été mis en place pour organiser et soumettre les populations au pouvoirs politico religieux de types royaux. Mais il est tout de même très étonnant que des territoires immenses soient consacrés à la prière.

Le temps consacré à la prière est également très important. Les musulmans prient trois fois par jour et Il y a des populations qui vivent encore totalement centrées autour de la prière. En Russie, dans le monde orthodoxe, la prière est centrale dans la vie de dizaines de millions de croyants.

Une demande et une invitation

Il faut bien comprendre qu’il y a les aspects spirituels de la prière sur lesquels nous allons revenir, mais il y a d’abord les aspects sociaux. La prière est la médiation sociale et anthropologique qui permet d’éviter la violence. Nous avons tous été éduqués avec cette petite phrase : « Est-ce que cela ne te dérangerait pas de demander avant de prendre ? », c’est-à-dire interposer entre soi et son désir, la demande adressée à l’autre.  René Girard pense que les sociétés se structurent autour de la violence et du mécanisme du bouc émissaire, et que c’est en étant « contre » que l’on se structure. Malheureusement, cela est vrai pour certaines formes de socialité, mais on oublie totalement que les sociétés humaines se structurent aussi par la médiation de la demande. Apprendre à demander avant de prendre et maitriser la violence à partir de là.

La prière n’est pas simplement la demande, c’est aussi l’invitation, et c’est aussi une manière de surmonter la violence. L’invitation crée des rituels d’échanges sociaux qui formalisent les rites du don et du contre don. Dans les sociétés dites primitives, on invite le village pour venir festoyer avec les richesses qui ont été accumulées et en retour on acquiert le droit d’être invité. Tout le monde s’invite réciproquement et le lien social se structure autour de cette invitation généralisée qui à la fois contraint et donne des droits. Dans notre vie sociale l’invitation joue également un rôle essentiel, et elle passe par la prière avec la formule « je vous prie de … ».

Il y a donc une forme de prière anthropologique et sociale avec la demande et l’invitation mais il y a une autre dimension de la prière qui est l’insistance. Prier, ce n’est pas simplement demander, c’est vraiment demander. Evidemment, il y a une insistance qui est pénible et on a raison de rejeter ce genre de prière insistante, mais la prière, c’est aussi une confirmation que l’on désire vraiment quelque chose, et il faut insister un peu pour le montrer.

Nos relations sociales passent par la prière qui apparait comme un moyen de pacification essentiel de nos relations humaines.

Prier, c’est rentrer en soi

La prière joue également un rôle essentiel dans la structuration de nos forces et de notre désir. Prier, c’est la manière d’aller chercher à l’intérieur de notre être, las forces les plus profondes. Lorsque nous avons quelque chose de difficile à faire, on prie presque par reflexe, on rentre en soi-même pour aller y chercher les forces dont on a besoin, et c’est parce qu’on prie en allant chercher ces forces à l’intérieur de soi-même qu’on trouve ces forces.

Il est toujours admirable de regarder la concentration des athlètes sur les stades. Ils ne pourraient pas accomplir des exploits s’ils ne se mettaient pas en état de concentration absolue pour faire venir des forces. Dans l’existence, il nous arrive d’être confronté à des épreuves, à des demandes de la Vie qui nous dit « est-ce que tu veux vraiment réussir ce que tu entreprends ? » et là, il faut aller au fond de soi-même, chercher les forces nécessaires et prier pour qu’elles viennent.

Parfois, lorsque nous échouons, n’est-ce pas parce que nous avons oublié de prier et d’aller chercher ces forces qui sont en nous mais qui ne viennent que si nous allons les chercher ?

La prière nous met en relation avec les forces les plus importantes de nous-mêmes et ceci va de pair avec la question du désir qui est l’élan le plus profond de nous-même. Auguste Comte dans Le catéchisme positiviste ne conçoit pas la société humaine sans religion et ne conçoit pas la religion positiviste sans la prière qui exprime le désir. S’il n’y a plus de prière, il n’y a plus de désir. Pour Auguste Comte, l’humanité est possible parce qu’elle désire être l’humanité et qu’elle est capable d’exprimer ce désir par la prière.

La prière dans le monde laïque

La prière n’est pas quelque chose de religieux au sens antique ou chrétien du terme, c’est aussi quelque chose qui apparait dans un monde laïque, voir athée , comme la religion sociale d’Auguste Comte. Elle nous amène à une relation avec la profondeur de nous-même, et prier est essentiel dans les relations humaines. Une femme disait de son mari : « Il ne me demande jamais rien » et il lui semblait qu’elle n’existait pas pour lui. Dans les relations que nous pouvons avoir, demander n’est pas forcément vu comme une contrainte mais cela apparait comme une marque de considération et d’amour.  Demander, c’est désirer, le mariage se fait sur fond d’une demande à laquelle on donne une réponse. Il y a là une relation chargée d’amour qui est très puissante.

Ceci est valable pour soi-même, prier c’est aussi se demander quelque que chose. C’est se fixer un objectif et s’obliger à donner le meilleur de soi-même. On affaire au mystère de la demande et cela va très loin car toute l’organisation humaine est faite autour de la demande. En économie, on étudie l’offre et la demande qui stimule l’offre, il y a de l’offre parce qu’il y a demande. Ce qui est vrai en économie, est vrai en toute chose, vivre c’est oser demander et se demander. Des êtres obtiennent des choses parce qu’ils les ont demandées.

Les anges disent que les hommes ne leur demandent rien, ils voudraient les aider mais sans demandes, ils ne peuvent rien faire. Il y a une forme d’humilité dans le fait de demander.

La prière et la philosophie

J’ai été frappé d’apercevoir que les philosophes priaient, pourtant la prière n’a rien à voir avec la philosophie. En intitulant mon livre sur la prière Prier est une philosophie, j’ai probablement gêné ou même scandalisé certaines âmes croyantes qui pensent que la prière n’est pas une réflexion intellectuelle et philosophique. De même que certains philosophes pourront dire que la prière n’a rien à voir avec la pensée philosophique.

Ce n’est pourtant pas si simple que cela. Dans la préface du Traité du vide, Pascal montre qu’il n’y a pas de pensée sans désir. Dans les Méditations métaphysiques, Descartes rappelle que la vérité est une affaire d’une part, d’une logique de l’entendement et d’autre part, d’une volonté d’adhérer à cette logique. Je pense parce que je suis logique mais également parce que je veux penser ce que je pense et qu’il y a une personne derrière pour le penser.

En rentrant dans l’espace de la pensée, nous entrons dans un espace dynamique dans lequel la volonté est importante. Concrètement, cela se traduit par la profondeur philosophique de la prière. J’ai repéré trois moments de la pensée où les penseurs prient, deux dans l’antiquité et un dans la modernité.

A la fin du Banquet Socrate s’adresse au dieu Pan et dit en substance cette prière : « Dieu Pan, divinité de ces lieux, faites qu’en tant que philosophe je me contente toujours de ce que j’ai et que l’extérieur soit toujours en relation avec l’intérieur. » Socrate prie pour le contentement de soi et pour l’intériorité et il a raison, car se contenter de ce que l’on a est difficile, il n’est pas évident d’être frugal. Maitriser ses désirs est une chose très difficile pour les hommes et on s’en rend compte dans nos sociétés où il est si difficile d’arrêter de fumer ou de boire par exemple. Pour y arriver, il faut quelque chose de plus et lorsqu’on désire être frugal, si on se dit : « C’est difficile, mais j’espère pouvoir y arriver », rien qu’en pensant cela, on calme ses désirs. A l’inverse si on est trop sûr de soi, on surexcite ses désirs, l’homme a tout intérêt à se sentir humble, en cela, il calme son orgueil, sa violence et l’illusion d’être dans le pouvoir total.

Par ailleurs on n’est pas toujours en relation intérieurement avec le monde extérieur, on est souvent « scotché » au monde extérieur sans apercevoir le monde intérieur et là encore, il convient d’être humble. En se disant que c’est très difficile d’être en relation avec le monde intérieur, on est déjà dans ce monde.

La prière se Socrate est très fine car elle est en relation directe avec sa philosophie, c’est lui qui aurait dit : « La seule chose que je sais, c’est que je ne sais rien » ce qui, en d’autres termes signifie que la sagesse des hommes n’est rien par rapport à la sagesse des Dieux. Ce sont les Dieux qui ont la sagesse et on est vraiment philosophe si on dit qu’il est très difficile de l’être et qu’on va faire le maximum pour le devenir.

On prie pour être philosophe, pour avoir de l’intériorité, pour être frugal, il y a là une attitude extrêmement profonde qui est celle de la prière. La prière et l’humilité, c’est la même chose, et cela nous met dans un dialogue avec la philosophie. On invite l’esprit à venir, on souhaite que la philosophie nous écoute. Cela veut dire qu’il y a deux personnages en nous, d’une part le personnage réel, humain, avec sa fragilité, d’autre part le personnage idéal, le sage, et le personnage réel, limité invite le personnage idéal à venir l’inspirer.

Cette manière de faire de la philosophie est extrêmement protectrice. J’ai appris à mes élèves à toujours prendre cinq profondes respirations avant de rentrer dans l’espace de la pensée. En respirant, les tensions du monde extérieur s’estompent et la pensée peut venir. Ce respect du philosophe pour la pensée, renvoie à un respect très concret dans l’existence. Par exemple, les alpinistes respectent l’esprit de la montagne, les marins respectent l’esprit de la mer et les aviateurs l’esprit du ciel. Pour aller dans la montagne, la mer ou le ciel il faut inviter leur esprit.

Ce qui est dramatique dans notre monde, c’est que l’on ne prie pas, on n’invite pas la montagne, la mer, la terre, le ciel et on y pénètre avec une brutalité inouïe comme si tous nous était dû et que nous ne devions rien. Lors d’accidents, on dit parfois que la montagne ou la mer se vengent. Mais c’est souvent parce qu’on n’a pas fait attention, on n’a pas prié et il a des choses que l’on n’a pas vues.

Aujourd’hui, il y a toute une culture écologique à faire parce qu’on ne prie plus les forces de la nature, on est dans une attitude de prédateur et de pilleur et on ne se rend pas compte des dégâts que l’on fait. Certains peuples ont encore du respect pour la nature, ils l’honorent, et l’atmosphère spirituelle n’est pas la même lorsqu’il y a du respect et de la considération pour ces formes naturelles. Ce n’est pas du panthéisme ou de la religiosité, mais c’est une attitude hautement morale et je suis très étonné que rien ne soit fait dans le domaine écologique pour qu’il y ait cette atmosphère de prière.

On retrouve cette prière à la fin du Manuel d’Epictète qui se termine comme le Banquet de Platon par une prière adressée à Zeus pour pouvoir toujours « obéir à la nécessité et ne pas se comporter comme l’homme méchant qui n’obéit pas à la nécessité ». Il y a là encore une grande sagesse de la part d’Epictète qui, après une grande analyse logique et morale de l’obéissance à la nécessité, termine par une prière aux Dieux qui lui permet d’être dans l’axe de l’obéissance. Il est également très difficile d’être obéissant, et d’être un sage stoïcien, je dois donc demander aux dieux de me donner la sagesse afin que celle-ci puisse, peut-être, parler à travers moi.

En commençant à rentrer dans la prière, nous apercevons que pour la pratique des choses humaines, il faut quelque chose de plus qu’humain. Pascal disait : « la vraie philosophie se moque de la philosophie », Nietzsche a recherché le surhomme, il y a là une intuition commune. La philosophie vient de quelque chose de bien plus qu’elle-même et qui est véritablement une grâce. Faire de la philosophie, c’est avoir conscience de la réalité de la pensée qui est une pensée infinie capable de tout embrasser, par rapport à notre pensée qui n’est pas grand-chose. Le vrai philosophe c’est celui qui se rend compte qu’il ne pense pas et qu’il y a une distance infinie entre sa pensée et la véritable Pensée.

En disant « il faut arrêter de penser », on pense encore et on est dans l’orgueil de croire qu’on peut éliminer la pensée. Pascal à raison de dire qu’on est loin de la véritable pensée et Nietzche de dire qu’i faut quelque chose de plus qu’humain pour penser. De même, Rimbaud dit : « nous ne sommes pas au monde », Heidegger : « La seule chose qui nous fait penser, c’est que nous ne pensons pas encore ». Nous ne sommes pas encore dans la pensée, dans la sagesse et dans la philosophie, nous devons espérer y être et je ne suis pas d’accord avec Comte Sponville qui dit : « Il ne faut pas espérer, il faut connaître », je pense qu’il faut espérer pour connaître.

Nous sommes là dans une véritable relation à la pensée qui est une relation de prière et de demande : je demande à la philosophie de pouvoir faire de moi un philosophe, à la sagesse de pouvoir faire de moi un sage et à la vie de pouvoir faire de moi un vivant. Lorsque quelqu’un commence à penser ainsi on peut dire qu’il commence à avoir de la sagesse

Il en est de même dans tous les domaines, par exemple dans celui de l’entreprise et du management, on ne sait pas encore ce qu’est une entreprise, un patron et le management. Si on aborde l’entreprise comme cela, il y a des chances de ne pas dire trop de bêtises. Malheureusement, pratiquement personne ne pense ainsi, on croit tout savoir et on passe à côté de tout.

La prière va au-delà de la demande

L’expérience de la prière nous remet dans l’axe et nous fait comprendre que la prière va bien au-delà de la demande. Certes, il y a une demande qui est positive, mais la véritable prière commence lorsqu’on est dans une attitude d’humilité profonde à l’égard de l’existence, et que dans cet état, nous commençons à entendre quelque chose de l’ordre de la vraie pensée et de la vraie vie.

Cela donne du sens à l’ouverture de la prière à Dieu. Si j’entends par « Dieu » la source ineffable de toute réalité et si je suis humble par rapport à l’existence, je rentre dans une relation avec cette source ineffable et je me mets en relation avec une autre dimension.

La prière est une des activités les plus importante de l’humanité parce que quand on prie, on rentre dans la réalité, dans le réel réellement réel. On comprend les moines qui disent que la prière va au-delà du langage, qu’elle consiste en la tenue de soi à l’intérieur du mystère et à être dans l’attention absolue. Prier, c’est exister totalement. L’expérience de la prière est celle « d’être au monde » que recherche Rimbaud. Michel Henry dit : « la racine du vécu humain, c’est de se sentir vivre », c’est ce qui se passe lorsque la vie passe à travers moi et que je suis totalement pris par le totalement vivant.

Les temples sont des lieux de rassemblement où nous faisons cette expérience du totalement vivant et dans la sagesse profonde de ceux qui les ont construits, les temples sont nécessaires parce que c’est là que les êtres humains deviennent des êtres réels car ils sont totalement attentifs.

Dans la littérature, l’expression « être tourné vers » revient souvent, l’homme qui prie a l’esprit tourné vers Dieu, on pourrait dire que l’homme qui ne prie pas a l’esprit mal tourné. On est là dans la disposition la plus profonde, on est bien tourné, bien disposé, on est dans son axe et dans ses fondements. Les personnes qui sont mal disposées, avec un esprit mal tourné, sont dans le chao et dans la souffrance.

L’expérience religieuse, c’est l’expérience de la relation à la source ineffable qui fait que nous rentrons dans la réalité véritable. Il n’y a pas plus réel que l’expérience religieuse et la prière mais notre monde, ne le conçoit pas. Dans son dernier livre, André Comte Sponville défini la prière comme le fait de vivre dans une attention totale et il reprend les paroles d’un sage indien qui dit que la prière est la seule manière de vivre.

Isaac le Syrien et la prière pure.

Isaac le syrien écrit : « De même que toute la puissance des lois et des commandements que Dieu a donné aux hommes s’accompli dans la pureté du cœur comme l’ont dit les pères. De même, tous les modes et toutes les formes par lesquels les hommes prient Dieu, s’accomplissent dans la prière pure. Les gémissements, les prosternations, les supplications, les lamentations, toutes les formes que peut prendre la prière, comme je l’ai dit, ont en effet leur fin dans la prière pure, c’est elle qui les suscite. Au-delà de la prière pure, quand elle va plus profondément dans les cœurs, la réflexion n’a plus rien qui la tienne, ni prière, ni mouvement, ni lamentation, ni pouvoir, ni liberté, ni supplication, ni désir, ni plaisir de ce qu’elle espère en cette vie ou dans les siecles à venir. Après la prière, il n’est pas d’autre prière. Tout le mouvement et toutes les formes de la prière jusqu’ici, menaient à l’intelligence par le pouvoir de la liberté, l’intelligence s’accomplie dans la prière pure, mais au-delà de cette limite, c’est l’émerveillement, ce n’est plus la prière. La prière cesse et commence la contemplation. L’intelligence ne prie plus, la prière sous toutes ses formes est liée au mouvement, quand l’intelligence pénètre les mouvements spirituels, il n’y a plus de prière. Autre chose est la prière et autre chose la contemplation qui est en elle-même. Si l’une a sa source dans l’autre, la prière est la semence et la contemplation la récolte des germes. Le moissonneur s’émerveille de voir ici l’ineffable. Comment, à partir des plus petits grains nus qu’il a semé, ont pu soudain pousser devant lui, les épis florissants. La vue de sa récolte lui enlève tout mouvement. La prière est application, demande, action de grâce, louange, elle examine quand l’intelligence a franchi la limite, si l’une de ses formes est entrée dans le pays de la contemplation. J’interroge celui qui sait la vérité, car tous n’ont pas ce discernement. Celui-ci n’est donné qu’à ceux qui ont vu et ont suivi la chose ou bien ont été instruits par les contemplatifs eux-mêmes, ont appris la vérité de leur bouche et ont passé leur vie dans cette recherche »

Ici, la prière apparait comme la connaissance pure qui passe par trois éléments : la réflexion, l’intelligence et la contemplation qui est l’émerveillement. L’expérience de la prière est celle de quelqu’un qui va rentrer dans la réalité en prenant conscience de l’immensité de la réalité par rapport à sa propre petitesse. D’où cette demande : « qu’il me soit donné de devenir un être réel et un être vivant ! ». Lorsqu’on approfondi cette expérience de la demande on commence à sortir de la réflexion pour rentrer dans l’intelligence. Dans la réflexion, je ressens l’immensité et je me sens petit par rapport à celle-ci, l’intelligence c’est lorsque je vis la petitesse, vivant cette petitesse, je vois l’immensité et je me rends compte que derrière toute chose il y a une immensité. Il fallait que je me sente petit pour déboucher sur cette immensité et avoir l’intelligence. Je vois l’immensité derrière la réalité et je ne suis plus dans la simple intelligence, je suis dans l’émerveillement, je deviens miroir de la lumière divine qui passe à travers moi, je trouve l’expérience de la contemplation pure.

La prière nous montre une philosophie qui n’existe pas encore, c’est une philosophie au-delà de la philosophie. L’expérience de la prière, c’est celle de ceux qui ont commencé à comprendre que nous ne vivons pas encore, nous ne sommes pas encore dans la réalité et dans la connaissance.

Les causes du Burn out aujourd’hui viennent de la pression sociale qui entraine une absence totale de temps, une impatience généralisée et qui débouche sur des relations tyranniques d’agression. Je suis sidéré par la violence présente dans notre société qui provient des désirs insatiables. Cela se traduit par une atmosphère de guerre que l’on retrouve dans toutes les informations que l’on reçoit. Nous retrouvons des conflits partout parce que nous sommes dans un monde où la réalité passe par la guerre. C’est un monde qui ne prie pas, qui veut avoir tout, tout de suite et pour toujours.

Pour sortir de ce monde, il faut arrêter de penser dans la catastrophe, et de vivre avec une morale « d’abandonné », il faut penser que nous avons tous les moyens de faire face à la réalité et qu’il n’y a pas besoin d’être en guerre pour être dans la réalité. Je propose également d’apprendre à respirer et d’introduire un minimum de temps de silence dans notre vie. Enfin il y a deux choses qui font infiniment de bien, ce sont le jeûne et la prière.

Le jeûne et la prière sont encore quelque peu pratiqués, ce sont des moments de vide où l’on se rend compte qu’il y a tout ce qu’il faut en nous pour vivre et rentrer dans la réalité.

La prière est le moyen extraordinaire de rentrer dans la réalité et, ainsi, d’être libre.