« L’insensé a dit dans son cœur : il n’y a point de Dieu »
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Introduction
L’athéisme et l’humanise, c’est l’horizon biologique dans lequel nous vivons. Depuis le 16ème siècle, on assiste à une montée de l’incroyance en occident. Il fut un temps où l’occident était chrétien et avait la foi, aujourd’hui ce n’est plus le cas et la religion est totalement marginale.
Pour comprendre ce phénomène et nous situer par rapport à lui, je voudrais analyser quatre choses. D’abord les raisons de l’athéisme, ensuite ses ambigüités, puis le problème de fond qui est derrière et enfin la situation actuelle de la culture et de notre monde par rapport à l’athéisme.
Les raisons de l’athéisme
L’athéisme c’est ce qu’on peut appeler le fait d’être sans Dieu. A la base de l’athéisme on retrouve des constantes liées à des refus, refus de la crédulité, de la superstition, de l’irrationnel, du fanatisme et du pouvoir politique religieux. Derrière ces refus, il y a la volonté de s’appuyer sur soi. Sartre dit : « Quand dieu n’existe pas, l’homme est enfin responsable », pour lui, c’est lorsque l’homme est métaphysiquement seul et abandonné à lui-même qu’il est enfin responsable et rationnel. Il y a dans l’athéisme la volonté de responsabilité, la volonté d’assumer seul la tâche de la raison autant scientifique que morale.
Jacques Monot dans « Le hasard et la nécessité » résume bien un deuxième trait de l’athéisme, lorsque les hommes croient en Dieu et s’appuient sur lui ils se retrouvent dans la posture magique de l’animisme qui croit en une présence derrière la nature, résultat, la science ne progresse pas, la politique, la société et l’émancipation de l’homme ne progressent pas. Les hommes sont dépendants de leur croyance dans une divinité derrière les phénomènes et attendent un miracle de la part de celle-ci.
Qu’y a-t-il à opposer au refus de la crédulité, de la superstition, de l’irrationnel, du fanatisme et de la dictature religieuse? Lorsqu’on a un esprit bien fait, on n’adhère pas à ces concepts sans pour autant être athée. C’est la raison pour laquelle il y a quelque chose au-delà de ce refus. Paradoxalement, derrière l’athéisme, il y a une croyance, il y a un Dieu et une mystique, et c’est ce qui fait son ambigüité. Nous pensons que l’athéisme est dépourvu de Dieu, de mystique et de croyance, mais en fait, c’est beaucoup plus compliqué que cela. Il y a derrière l’athéisme un Dieu qui n‘ose pas dire son nom, une croyance qui n’ose pas dire son nom, une religion et une mystique qui n’osent pas dire leur nom. Fondamentalement l’athéisme repose tout entier dans la croyance que l’athéisme va libérer l’humanité et sauver les hommes. L’athéisme repose sur un « salut », c’est ce qui fait son ambiguïté et sa force.
Aujourd’hui beaucoup de personnes sont athées parce que l’athéisme repose sur une espérance. Pour le comprendre, il est nécessaire de retraverser le quatre grandes figures de l’athéisme. Tout d’abord l’athéisme de l’antiquité avec Épicure, deuxièmement, l’athéisme moderne avec le rationalisme et la science, troisièmement l’athéisme radical du Marquis de Sade et troisièmement le post-athéisme inauguré par Nietzsche avec la mort de Dieu.
L’athéisme d’Épicure.
L’athéisme commence avec Épicure et avec la relation que celui-ci entretient aux Dieux. A la base de l’épicurisme se trouve une double expérience, premièrement une expérience d’effroi devant un scandale qui a secoué l’antiquité, à savoir, le sacrifice d‘Iphigénie par Agamemnon. Ses navires étant empêchés d’aller vers Troie car il n’y avait plus de vent, Agamemnon a sacrifié sa fille, en vérité, le sacrifice d’Iphigénie ressemble beaucoup au bouc émissaire décrit par René Girard, les troupes d’Agamemnon étant au bord de la révolte, pour les calmer, celui-ci a utilisé le sacrifice, comme dit René Girard : « Ce qui calme les foules c’est le sacrifice d’une victime sur lequel on déverse toute la violence et la haine de la cité ».
Deuxième point, il y a une déception d’Épicure par rapport à la religion, lorsque les hommes sont religieux, ils prient les Dieux pour un miracle, pendant ce temps, ils ne travaillent pas et ils ne font pas usage de leur raison. La prière entraine l’inaction qui entraine la prière, comme les hommes ne travaillent pas, ils sont obligés de prier les Dieux pour un miracle. La signification du travail est essentiellement spirituelle et mystique, le but du travail étant d’émanciper l’homme.
Il y a chez Épicure une réaction contre la passivité religieuse qui va expliquer la physique et l’éthique d’Épicure. Pour purifier les hommes de la religion, il faut éliminer Dieu de la vie naturelle et de la vie pratique. Éliminer Dieu de la vie naturelle, c‘est embrasser l’idée que la nature a pu se faire toute seule à partir d’un mécanisme reliant les atomes entre eux. Épicure est un théoricien de l’évolution avant la lettre, il pense que la nature par auto-création peut donner naissance à toute l’évolution. Il met en place un principe d’explication qui se veut parfaitement autonome et mécanique. Sur le plan de la morale, l’élimination de Dieu passe par l’élimination de la question de la mort et la vie au présent. Nous avons tous entendu dire qu’il faut lâcher prise et vivre dans l’instant, derrière cette théorie c’est fondamentalement un athéisme qui est en jeu, cela veut dire que nous n’avons pas besoin de nous préoccuper de la mort. Épicure éprouve le besoin d’éliminer la mort parce qu’éliminer la mort et éliminer Dieu ou la transcendance c’est la même chose. Si l’homme est mortel cela veut dire qu’il y a de l’irréversible dans l’existence, et s’il y a de l’irréversible, c’est qu’il y a un avant est un après, cela veut dire qu’il y a une autre vie que la vie matérielle, l’irréversible est lié à l’existence d’une vie autre. La mort existe parce que la vie dans laquelle nous sommes est limitée par une autre vie, il y a une autre vie d’où nous venons et une autre vie vers laquelle nous allons. D’où l’existence du temps, de la naissance et de la mort.
Si j’élimine la mort, j’élimine Dieu. Il est possible d’éliminer la mort en expliquant que l’homme n’est que de la matière éternelle, dans ce cas, il n’y pas d’autre vie avant la naissance ni après la mort, il n’y a que cette vie. Derrière l’éthique d’Épicure il y a une éthique totalement matérialiste pour purifier l’esprit des hommes de toute projection concernant les Dieux et le divin. La nature et les hommes ne sont que de la matière qui est apparue dans le monde à la suite d’une transformation et qui se transforme à l’infini. L’éthique matérialiste athée est fondamentalement construite sur l’éternelle transformation des choses.
Une vision incohérente
La vision d’Épicure parait cohérente, mais elle ne l’est pas car si la nature est un éternel processus de transformation, cela veut dire que la nature n’a jamais commencé et n’a jamais fini, or ce qui n’a jamais commencé et ne fini jamais, est inexistant. Lorsque quelque chose existe, ça commence et ça fini, il y a un avant et un après.
Lorsqu’ Épicure décrit les atomes qui tombent, pour qu’il y ait formation de l’univers, il faut qu’il y ait un atome qui dévie sur lequel viennent buter tous les autres. Cela veut dire qu’il y a une force qui se saisie de la matière pour faire dévier les atomes, sinon, rien n’existe. Ce qui explique la formation de l’univers c’est d’une part de la matière et d’autre part de l’antimatière. C’est quelque chose que Bergson explique très bien lorsqu’il dit qu’à la base de toute la création, il y a matière et opposition à la matière par une force qui se saisit de la matière pour en faire autre chose.
D’autre part si nous suivons Épicure dans sa morale, il devint incompréhensible dans la mesure où il n’existe pas. Ce n’est pas lui qui pense, ce n’est pas lui qui a écrit la lettre à Ménessé, c’est la matière qui a écrit à travers lui et qui s’écrit toute seule, ce qui est irrationnel. Autrement dit si nous essayons de lire Épicure, à première vue c’est rationnel, scientifique et rigoureux, on explique la nature et l’homme par la matière, on est rationnel, on n’invente pas. Eh bien, c’est faux ! On est en pleine invention, en plein mythe, cette vision totalement mécanique repose sur l’inexistence de la matière, de l’homme et de tout.
Ce qui fait que la vie et que les hommes ont une réalité, c’est un double mystère, c’est premièrement le mystère de la nature et de son existence, car la nature est bien réelle, ce n’est pas une ombre à la surface d’un éternel processus de transformation. D’autre part nous existons et nous ne sommes pas des ombres. En ce sens, la notion de mystère de l’existence est infiniment plus rationnelle et plus scientifique que le mécanisme prétendument scientifique. A partir de la reconnaissance que la nature existe et que nous existons en vertu d’un mystère fondamental et d’un don qui nous a été fait, je peux rentrer dans la réalité et commencer à vivre. C’est la raison pour laquelle le matérialisme moderne a contesté le matérialisme antique et ne s’est pas reconnu dedans.
Le matérialisme moderne.
Marx est un critique avisé du matérialisme, il explique que la vision antique du matérialisme relève davantage du mythe que de la rationalité, il dit qu’il faut remercier les anciens d’avoir bousculé la vision religieuse du monde, mais ils ne sont pas allé assez loin dans la mesure où ils ont figé le matérialisme dans un mythe et une religion, en effet, lorsque j’explique tout par la matière, que ce soit la nature ou le comportement, je ne suis plus dans la pensée, je suis dans l’adoration d’un principe qui explique tout. Marx découvre que le véritable matérialisme n’est pas le matérialisme qui ramène tout à la matière, mais celui qui se pose des questions, et en particulier qui interroge l’homme et la manière d’interroger l’homme. Ce qui est matérialiste, c’est d’interroger la religion qui prétend expliquer l’homme, mais c’est aussi interroger le matérialisme qui critique la religion. Ce n’est pas s’arrêter simplement au matérialisme qui critique la religion, car dans ce cas nous ne somme plus dans une position matérialiste mais dans une position d’adoration et d’idolâtrie. Bachelard dira que la vision de l’antiquité n’est pas du matérialisme, mais du chosisme, c’est la réduction de la réalité à des choses.
La grande découverte du matérialisme contemporain, c’est qu’il relève de l’histoire et de la rationalité mais nullement de la matière. Ce qui est matérialiste, c’est une exigence de la pensée et de la rationalité par rapport à la religion et par rapport au matérialisme lui-même, ce qui fait que le véritable matérialisme va au-delà du matérialisme. Notre monde se croit rationnel lorsqu’il ramène tout à la nature et aux atomes et qu’il explique tout d’une manière matérielle, en fait, il n’est pas rationnel car il évolue en plein mythe. D’autant plus que ça n’a pas de sens de ramener la réalité aux atomes. Certes, vous est moi, nous sommes un composé de cellules et derrières ces cellules, d’atomes, mais ce n’est pas parce que nous sommes fait avec des atomes que nous ne sommes fait que d’atomes. Ce qui nous fait, c’est des atomes, avant les atomes, c’est un champ infra atomique, c’est l’organisation des cellules pour donner le corps, c’est la dynamique du corps avec un esprit, c’est la personne, c’est la vie de la personne et ses relations, sa psychologie, son histoire et son mystère. L’être humain n’est pas simplement un ensemble d’atomes, c’est un flux de réalités de plus en plus profondes et de plus en plus élevées, notre réalité s’enfonce dans les profondeurs de l’évolution et va dans les hauteurs de l’histoire, autrement-dit, ce que nous sommes, c’est un temps, une vie, et non pas un paquet d’atomes.
Les atomes pris tels quels, n’ont pas de sens, mais les atomes ne sont jamais tous seuls, ils s’inscrivent dans un tout atomique, chimique, cellulaire, humain, corporel, psychologique et sociologique. C’est cette inscription dans un tout qui donne sa spécificité à la vie humaine. Il est passionnant de visiter l’athéisme contemporain parce qu’il est toujours libérateur de se rendre compte que l’on est, quelque part trompé par les mythes et les représentations de notre époque, ce que l’on nous décrit comme étant scientifique est pure invention.
L’athéisme moderne.
Le deuxième athéisme c’est l’athéisme moderne qui est lié à la science et à la politique. Il apparait avec la révolution française et il repose sur la volonté d’émanciper l’homme à partir de la science et de la politique, le but étant de remplacer la théologie par la science et la religion par la politique. Cela a débouché, non pas sur la fin de la théologie et de la religion, mais sur une nouvelle religion qui est une religion scientifique que l’on appelle le scientisme et une religion sociale que l’on appelle la politique. D’où l’ambiguïté de notre monde, car celui-ci déclare s’affranchir de la religion. Il s’est certes affranchi de la religion religieuse mais il ne s’est pas affranchi pour autant de la religion scientifique ou sociale. L’ambiguïté dans laquelle nous sommes conduit l’athéisme moderne dans les mêmes impasses que le religieux du passé. Lorsque la religion s’est comportée de façon politique comme un pouvoir qui voulait organiser la société humaine, celle-ci c’est transformée en un pouvoir autoritaire, voir inquisitorial. Lorsque l’absence de religion, la science et la politique se sont comportées comme des pouvoirs absolus, elles sont devenues des « religions ». Nous vivons un étrange échange entre le politique et le religieux qui fait que le politico-religieux ne cesse de dominer la civilisation, et paralyse totalement la science ainsi que la politique sous la forme d’une idéologie totalitaire qui embrasse la société et opprime les esprits.
Il est frappant de constater que tous les régimes communistes, pour pouvoir durer, se sont transformés en religion politique, avec à la base, un culte de la personnalité du leader politique qui devenait un véritable Dieu dans la réalité mondaine et politique.
L’athéisme du marquis de Sade.
Ce qui caractérise le marquis de Sade, c’est la haine de Dieu et la volonté de le tuer, il ne s’agit pas d’émanciper l’homme par la matière ou par la science et la politique, il s’agit d’émanciper l’homme par la violence. Le Marquis de Sade met la violence au cœur de son système parce que la violence est le seul moyen de se débarrasser de Dieu. Le sens de Dieu est lié à l’idée qu’on ne peut pas tout se permettre, qu’il y a du sacré et de l’inviolable. Il y a une relation directe entre l’interdit de la violence et l’existence de Dieu, je m’interdis la violence parce que j’ai le respect du sacré de la vie.
Pour les héros de Dostoïevski, tant que l’homme ne pourra pas totalement s’émanciper, il ne sera pas libre, et totalement s’émanciper c’est banaliser le meurtre et le suicide. « Crime et châtiment » c’est la volonté de libérer l’humanité par le meurtre et le suicide, « les possédés » de Dostoïevski sont ceux qui vivent pour le meurtre ou pour le suicide pour faire de l’homme une réalité supérieure à Dieu. C’est le marquis de Sade qui met en place ce système, notamment dans l’ouvrage « la philosophie dans le boudoir » où il abolit toute loi afin de mettre en place celui qu’il appelle « l’homme souverain », l’homme qui se permet tout. La caractéristique du marquis de Sade a été bien comprise par les pères du désert et les starets de Dostoïevski. Le héros Sadien est l’homme le plus pitoyable qui soit, le plus misérable, le plus à plaindre. Faut-il qu’on ait peu confiance en soi pour désirer une émancipation absolue ? Lorsqu’on est libre, on est libre à l’égard de la liberté, on n’est pas enchaîné à la toute puissance de la liberté. Les Héros de Sade et de Dostoïevski ont peur de la liberté, tous parlent de la liberté et tous en ont peur parce qu’ils désirent la toute puissance, or celui qui désire la toute puissance, c’est celui qui se sent impuissant.
Le héros de Dostoïevski se sent impuissant car il n’ose pas aborder l’existence désarmé. Aborder l’existence désarmé c’est accepter que l’existence me soit donnée et que je ne la contrôle pas, c’est accepter mes limites et quelque chose qui vient d’ailleurs et d’un autre, c’est reconnaître ma petitesse devant l’immense de l’existence. Pour aborder l’existence il faut accepter notre vulnérabilité, c’est-à-dire notre nudité, et pour cela, il faut une très grande liberté et une très grande force. Le héros du marquis de Sade a besoin de la violence du suicide et du pouvoir parce qu’il a peur de la liberté et de la vie. Il pense que s’il ne maitrise pas la vie, il ne sera jamais vivant.
Nous avons affaire à l’épreuve fondamentale de l’homme antique, de l’homme qui traverse l’histoire et de l’homme moderne. Fondamentalement, les hommes ont peur de la vie, ils ont peur qu’on leur vole la liberté, le bonheur et la puissance. C’est la raison pour laquelle ils s’accrochent à la violence au meurtre et au suicide. Le marquis de Sade est l’expression d’une humanité perdue, incapable de s’aimer elle-même, vivant dans une culpabilité profonde. D’où la parole du starets Zosime à l’égard de Stavroguine le nihiliste en lui disant : « si seulement vous pouviez vous pardonné à vous-même ». Stavroguine le nihiliste est quelqu’un qui rêve d’une émancipation totale et qui en a honte parce que, derrière cela, fondamentalement, il a peur de l’existence.
Le Christ vient dans le monde totalement désarmé, c’est-à-dire avec la plus grande force qui soit parce que fondamentalement, Il n’a pas peur que la vie lui soit donnée par le Père, au contraire, Il s’en remet totalement au Père. Tout notre monde est enfermé dans la logique du marquis de Sade, dans cette logique de pouvoir, de reconnaissance et de droit. On nous a expliqué que la république c’était le bien sur la terre et le respect de l’homme, or la vérité c’est que l’essence de la révolution Française est liée à la vision libertine, qui s’exprime très bien dans les mots Liberté, Égalité, Fraternité. L’égalité et la fraternité sont au service de la liberté et le but fondamental c’est de fonder un individu tout puissant grâce à un certain nombre de droits dans lesquels il pourra affirmer sa puissance.
Aujourd’hui nous avons le sentiment, et c’est tragique, que pour émanciper l’homme, il faut un pouvoir politique avec des droits, et ce qui est encore plus tragique, c’est que le féminisme se pense exactement sur ce modèle qui est, en fait, totalement antiféministe. Sade déteste les femmes et l’idéologie qu’il veut donner du pouvoir aux êtres humains déteste la vie, les hommes et les femmes. Là, nous avons affaire à la misère humaine.
Le post-athéisme
Il y a un athéisme du mythe et il y a un athéisme de la misère qui conduit à la fin de l’athéisme. Lorsque Michel Onfray analyse l’athéisme, il lance cette idée que je trouve juste : « Nous ne sommes plus dans l’athéisme, nous sommes dans le post athéisme, et c’est ce qu’on appelle la mort de Dieu », c’est à la foi le pire de athéismes et en même temps la fin de l’athéisme. Nietzsche disait : « Quand l’athéisme est apparu c’était une aventure extraordinaire » et il ajoute : « Nous venons trop tard ! ».
Cela veut dire que l’athéisme est un échec et Nietzsche s’en rend compte, la mort de Dieu signifie l’échec de l’athéisme. Il y a échec parce que l’athéisme, c’est penser en termes de preuves de l’inexistence de Dieu et pas de mort de Dieu. Pour Nietzsche, le véritable athéisme était l’affirmation fondamentale de la vie en dehors de toute idole métaphysique. Au départ, la volonté de l’athéisme c’était une verticalité solaire, une liberté existentielle radicale, l’athée devrait être un personnage splendide, fascinant, or l’athéisme s’est embourgeoisé et il est devenu un plat rationalisme et un plat sociologisme, il n’a pas compris la situation fondamentale. Nietzsche a toujours pensé que la question fondamentale de la philosophie était celle de l’homme divin, le philosophe devrait être un homme divin, or nous avons tué le divin dans l’homme et nous l’avons tué de deux manières. Premièrement par une religion qui est devenue morale et deuxièmement par un athéisme qui est devenu positivisme. Religion morale et athéisme positiviste, il n’y a plus aucune expérience spirituelle intérieure flamboyante, et là, arrive le tragique de l’humanité. Dans la situation où Nietzsche s’exprime, ni la religion, ni l’athéisme ne peuvent libérer l’homme. Il y a beaucoup de lucidité de la part de Nietzsche mais, est-il vrai que nous sommes dans une situation tragique et dans une impasse ? Je ne le crois pas et c’est le dernier point que je voudrais aborder.
La théologie apophatique
Fondamentalement, le problème de la culture occidentale, c’est de ne pas avoir compris ce qu’est Dieu et de s’être enfermée dans une impasse à son sujet. Il y a trois manières d’aborder Dieu, la première c’est de dire qu’Il existe, la deuxième c’est de dire qu’il n’existe pas et la troisième c’est de dire que Dieu est aussi existant qu’inexistant. Dans notre monde nous connaissons les deux premières expressions mais nous ne sommes pas encore arrivés à pouvoir dire que Dieu est celui qui existe et qui n’existe pas.
C’est la théologie apophatique qui dit que Dieu existe et n’existe pas, c’est la théologie négative, mystique qui vise à réveiller l’homme mystique à l’intérieur de nous. Lorsque je prononce la phrase « Dieu existe et Dieu n’existe pas », dans un premier temps, je suis face à un paradoxe qui me perd totalement, mais dans un deuxième temps je me mets à vivre quelque chose de grandiose, de glorieux, de royal. Derrière une apparente incohérence, la théologie apophatique parle de la gloire et de la beauté de Dieu, de la gloire de la vie. La vie est tellement extraordinaire que quoiqu’on dise d’elle, on se trompe. Si je suis capable de voir la vie avec les yeux de l’extraordinaire, je la vois, et je fais l’expérience du Dieu vivant, je rencontre Dieu, je rencontre un principe de vie surpuissant qui me fait vivre et qui m’ouvre les yeux. Je sors des idoles où Dieu est un principe mort qui ne fait rien vivre, lorsqu’on prouve l’existence ou l’inexistence de Dieu, cela ne fait rien vivre parce qu’on est dans la preuve, dans le pouvoir et derrière le pouvoir, on est dans la peur et dans la violence. On a peur que la réalité nous échappe alors on veut absolument prouver que Dieu existe ou que Dieu n’existe pas, et on ne retire rien de ces principes à part, éventuellement, le fait de prendre momentanément le pouvoir sur le discours.
Le drame c’est que notre culture est enfermée dans le doublet du théisme et de l’athéisme, Le théisme est la position voltairienne à l’égard de Dieu qui consiste à dire qu’il faut bien un horloger, c’est une position que l’on peut qualifier de bourgeoise qui va mettre Dieu au service d’une vision purement scientifique et politique du monde. Voltaire veut transformer la religion pour qu’elle ne soit plus fondée sur la foi mais simplement sur une éthique du bien-être. Pour lui, la bonne religion doit être capable de respecter et de faire respecter une éthique du bien-être, le Dieu grand architecte de l’univers est très pratique. Lorsqu’on veut avoir la science et la politique, on pose fondamentalement que la réalité est une machine et on fait confiance à ceux qui font tourner la machine. Le théisme est une expression de la mort de l’esprit et l’athéisme qui critique le théisme a approfondi celle-ci, lorsque l’athéisme explique que ce n’est pas un horloger qui permet de faire tourner la nature mais que la nature est elle-même capable d’être son propre horloger, on n’est pas sortis de la vision scientifique et rationnelle de la réalité.
Autrement dit, l’expérience de l’athéisme de notre monde traduit l’incohérence dans laquelle nous sommes et le drame de cette incohérence. En apparence, l’athéisme est une aspiration à la raison, en réalité cette aspiration débouche sur le mythe de la matérialité, de la science, de la politique, de l’émancipation de l‘homme et finalement sur l’échec total de l’athéisme qui se voulait liberté. Lorsqu’on réalise cela, on retourne vers la théologie apophatique et en particulier vers la réponse des pères de l’Église à la crise de l’athéisme. Les pères de l’Église n’ont jamais opposé les preuves de l’existence de Dieu à l’athéisme, ils ont opposé autre chose, ils ont opposé la louange et la gloire de Dieu aux raisonnements qui voulait démontrer son inexistence. Ils nous ont montré que pour aborder les choses divines, il faut être un vivant, c’est pour cela que le Christ dit « Laissez les mort enterrer les morts.. » Dieu n’est accessible qu’aux vivants, il est le Dieu des vivants et non pas des morts.