Le Verbe – la chair

« Le verbe fait chair »

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La dernière fois nous avons parlé du mystère de Marie. Celui-ci est double parce qu’il concerne la femme et aussi l’humanité. Jamais on n’a vu un homme naître comme le Christ, jamais on n’a vu Dieu apparaître comme cela. Marie est une totale nouveauté de Dieu dans la relation à l’humanité et c’est une totale nouveauté de l’homme. C’est aussi une totale nouveauté de la femme et c’est ce qui fait l’extraordinaire de la naissance du Christ, cela bouleverse totalement les rapports à Dieu, à l’homme et à la femme. Jamais on n’aurait pensé que la femme ainsi que l’homme puissent avoir une telle importance dans l’humanité, et jamais on aurait pu penser que Dieu aurait pu avoir une telle importance dans l’histoire de l’humanité.

Si Dieu naît de l’intérieur de l’humanité, tout est extraordinairement  important et tout est extraordinairement nouveau, tout change radicalement, et là nous avons une authentique éthique chrétienne. Souvent lorsqu’on parle du Christ, de l’Eglise et du christianisme en général, on ne parle pas vraiment du Christ ou de religion, on ne parle que de politique, de règles, de morale sociale et on ne parle jamais du fond des choses. Il y a forcément un malentendu sur la question de la morale et de la religion. Je pense que nous n’allons pas au fond des choses parce que nous vivons dans la peur, et nous cherchons des sécurités à travers des pouvoirs qui vont édicter des règles et obliger à y obéir. Or, c’est le fond des choses qu’il faut transformer.

L’humanité a peur parce qu’elle ne va pas bien et que le fond des choses, en elle, n’a pas été structuré, organisé et renforcé. Je crois que quand l’être humain n’est pas « dans son assiette », il s’en veut à lui-même, il en veut aux autres et il nourrit des pensées qui sont à la fois meurtrières et suicidaires, il devient imprévisible, à l’image de ces fous furieux qui débarquent dans un bar et tirent sur tout le monde. Ceux qui font cela sont dans un malaise terrible au sein de la civilisation la plus puissante que l’humanité n’ai jamais connue, la plus riche, et sensée être la plus heureuse. Seulement le fond des choses n’a pas été transformé.

A travers la naissance de Marie, nous voyons le fond des choses totalement transformé. Le fond des choses c’est que Dieu est vivant, et quand Dieu est  vivant, c’est l’homme qui devient vivant et c’est la femme qui devient vivante. Tout se restructure à partir de là. Le malaise dans notre monde correspond à la manière dont on traite les femmes avec une violence meurtrière et suicidaire. Le malheur dans cela, c’est que les femmes se mettent de la partie, elles finissent par être contaminées et on arrive à une tragédie.

La notion de raison

Dans ce cours, nous allons poursuivre dans cette veine et approfondir la notion de Salut. Une vraie morale est une morale vivante, elle est ce qui va dans le fond des choses pour le traiter. Traiter le fond des choses, c’est que l’homme s’accomplisse et qu’il aille dans son être divin, dans son Christ intérieur, dans son Dieu fait homme, dans son homme transfiguré. Pour cela, il faut modifier totalement le rapport que nous avons à la raison.

Nous allons parler de la raison et nous allons voir comment le Christ va au centre de la raison pour  la révéler et l’accomplir. Dans son prologue, Jean appelle le Christ « le Verbe fait chair », pour comprendre cela, il faut rentrer dans la raison et il faut comprendre premièrement, ce qu’est la raison, deuxièmement l’importance de la raison et troisièmement, le Christ par rapport à la raison, c’est-à-dire la notion de Verbe incarné.

Notre monde est bâtit autour de la raison scientifique, c’est elle qui organise toute la civilisation et qui lui permet d’avoir le développement technique, économique et culturel qui est le sien. Si la raison n’existait pas, il n’y aurait rien. Nous avons toujours tendance à oublier l’invisible, lorsque nous sommes conditionnés par la manière et l’idéologie dans laquelle nous vivons. Nous vivons dans un monde tangible et pour nous la réalité c’est ce qui est visible, d’autre part l’idéologie dans laquelle nous vivons nous fait penser que la réalité est uniquement ce qui est sensible et visible.

Si  j’explique que la raison est beaucoup plus réelle que le sensible, personne ne le comprendra car nous sommes conditionnés par notre manière de vivre et notre idéologie qui nous fait oublier totalement la raison. La raison c’est la faculté que nous avons pour mettre de l’ordre et de tisser des liens. Nous avons tendance à confondre la conscience, la raison et la pensée. Or, même si elles sont liées, ce sont trois choses différentes

Pour comprendre la relation entre la conscience, la pensée et la raison, il convient de partir du phénomène de la vie. La caractéristique de la vie, c’est d’être le mouvement qui anime tout, et qui à la fois, sensibilise tout, individualise tout et dynamise tout. Il y a la vie active qui renvoie à la réflexion, c’est la vie de la vie, la vie qui se réfléchit et qui devient activement la vie. La vie de la vie, c’est ce qu’on appelle l’invisible, et c’est un premier élément pour comprendre le Verbe, c’est la vie agissante. Nous ne la voyons pas, nous la sentons, elle est continuellement présente, c’est l’invisible derrière le visible.

Derrière toute chose et tout être, il y a un principe actif qui, soit conserve la chose telle quelle, soit la dynamise et la transforme. C’est le principe transformateur qu’on peut appeler principe agissant,  qui fait dire que la vie et le monde sont une gigantesque réflexion à l’œuvre. Si, quand elle étudie la nature, la science découvre des propriétés intelligibles, ce n’est pas qu’elle plaque, artificiellement sur la nature, des catégories mathématiques, mais c’est qu’elles s’y trouvent déjà.

Galilée a voulu évacuer toute projection anthropomorphique,  mais il a tout de même été obligé d’en garder une qui lui permettait de comprendre la nature, car il a dit que la nature parle un langage mathématique. La nature n’est pas de la matière inerte, dépourvue d’information, la nature, c’est de l’information, et en particulier de l’information mathématique. Si les savants trouvent de l’information mathématique dans la nature, c’est parce qu’ils pensent mathématiquement, mais également parce qu’il y a, dans la nature, des structures mathématiques.

Descartes a voulu neutraliser la nature mais il n’a pas pu faire en sorte que la nature soit complètement vide. Il  a identifié la nature à la matière, la matière à l’espace et l’espace à des formes géométriques. Descartes a trouvé qu’il y a de l’information dans la nature. C’est quelque chose qui dérange beaucoup les matérialistes qui aimeraient que la nature soit sans aucune information et que ce soit seulement l’homme qui, par un jeu de l’esprit soit capable de combiner les formes de la matière pour pouvoir en fabriquer des structure mathématiques.

Ce n’est pas comme cela que ça se passe, c’est une collaboration entre l’esprit mathématique et les structures mathématiques de la réalité. Cela veut dire qu’il y a une intelligence à l’œuvre, une vie active à l’intérieur du monde, à l’intérieur de tout, et cette vie active réfléchissante prend trois formes, la forme de la pensée, celle de la conscience et celle de la raison.

La pensée

La pensée c’est la vie active infinie. Vous avez pensez quand vous avez entendu une parole qui a résonné à l’infini à l’intérieur de vous et qui continue de vivre en vous. Vous avez pensez lorsque certains mots vous ont touché au plus profond de vous-même. Vous avez pensé quand certaines conversations, certains livres, certains poèmes, certaines pensées philosophiques, certaines paroles spirituelles, vous ont bouleversé, transformé, vivifié. Vous avez pensé quand vous vous êtes nourri de vie infinie. La pensée est quelque chose de gigantesque qui rejoint l’esprit.

L’esprit c’est la vie infinie présente à la vie infinie, qui inspire la vie infinie. Quelque part, le but de l’être humain, c’est l’acquisition de l’esprit et plus encore, l’acquisition de l’Esprit Saint. C’est ce qui se passe lorsque la vie infinie se met à vivre à l’intérieur de nous et crée cet état de transparence inouïe à l’existence. Les grands saints sont dans l’état de l’esprit où la vie infinie passe à travers eux, à ce moment là, ils ne pensent plus, ils chantent, ils célèbrent et ils glorifient. La vie du saint c’est la vie de la pensée infinie qui glorifie la vie nuit et jour. Lorsqu’on vit de cette vie, tout ce qu’on a vécu n’est rien par rapport à cette vie. C’est d’une beauté infinie qui donne une humanité infinie, qui donne une vérité infinie.

La véritable pensée, la véritable parole, c’est quelque chose d’extraordinaire et  le but de l’enseignement du Christ et de la vie de l’Eglise, est de libérer cette vie infinie qui est en nous, la sanctification, c’est ce qui se passe lorsque cette vie infinie peut totalement à passer à travers nous. Lorsque vous vivez cela, vous vivez  un état de paix et de douceur total. Tout ce que l’on recherche dans le monde, qui est de sortir des conflits, de la souffrance et de la douleur, se trouve réalisé à ce moment là.

Nous comprenons Pascal, lorsqu’il dit que toute la dignité de l’homme réside dans le fait de penser. Malheureusement, nous avons tellement l’habitude d’associer le mot penser à une réflexion calculatrice, que cette parole de Pascal nous semble abstraite. Mais si on remplace la pensée par la vie infinie, qui est la même chose que l’amour infini, alors nous comprenons ce dont parle Pascal. Lorsque les pères du désert se rencontraient et qu’ils disaient « Père, dis moi une parole de vie », c’est de cela dont il était question, « donne moi une parole qui ouvre mon cœur à la vie infinie ». Il y a dans la liturgie catholique cette parole magnifique : « dis une seule parole et je serai guéri », il y a là ce sens de la parole infinie.

Le Christ a enseigné parce qu’enseigner, c’est faire venir la pensée et la vie infinie, c’est relier les être à la vie infinie et la laisser faire son travail. Nous sommes là dans la vraie culture, la vraie humanité, la vraie morale, c’est l’humanité inspirée et vivifiée par l’Esprit Saint, c’est-à-dire la vie infinie. Toutes les plus grandes créations du monde sont faites par cette vie infinie, tout ce qu’il y a de plus beau et de plus extraordinaire dans la vie vient de cette vie infinie. Lorsqu’on est en état de grâce, lorsqu’on est inspiré, cette vie infinie nous porte, nous n’avons rien à faire, c’est elle qui fait tout. L’important, c’est de libérer à l’intérieur de nous-mêmes la vie infinie pour rentrer dans l‘esprit de la vie.

A tous les stades de la vie quotidienne, là où nous sommes, nous pouvons voir cette vie infinie se manifester, il y a ce qu’on appelle « des états de grâce ». Il y en a partout, par exemple dans une relation ou une conversation accomplie et réussie, nous avons laissé l’esprit de la conversation nous habiter et, tout d’un coup, la vie infinie qui se trouve dans cette conversation nous a porté, il y a eu un état de grâce et on s’est parlé, on a laissé parler la vie. Il y a des moments où on comprend la vie et on éprouve une joie extraordinaire à comprendre. En fait, c’est la vie infinie qui comprend en nous et qui nous permet de comprendre.

Ceci est l’extraordinaire travail de la pensée, et lorsque nous avons des vraies pensées, c’est la vie infinie qui passe et cela nous donne une jubilation extraordinaire. Lorsque la pensée ne nous ouvre pas la vie infinie, nous sommes tristes, nous sommes malheureux et parfois en colère, quelque chose a été manqué, le rendez-vous n’a pas eu lieu et nous sommes frustrés.

La conscience

La conscience c’est ce qui se passe lorsque j’applique la pensée à  moi. Je rentre dans la conscience et je vis l’extraordinaire expérience qui est de donner de la pensée infinie au moi, ce qui transfigure le moi et en fait une personne. Une conscience, c’est un moi qui est devenu infini, il n’est plus dans l’égo, il est dans la lumière, dans la liberté. Nous vivons l’extraordinaire expérience de la liberté à travers la vie infinie de la personne.

Le travail de la raison

Le travail de la raison, c’est la mise en relation de ce qui se trouve d’abord dans nos pensées, ensuite dans les choses et ensuite dans les relations qu’il peut y avoir entre les pensées et les choses. C’est la découverte de ce qu’on peut appeler la communication universelle, les pensées se transforment est elles expriment d’autres pensées à travers ces relations. Lorsque je relie deux éléments ensembles, l’un finit par exprimer l’autre, et les deux ensembles finissent par exprimer un troisième. Il y a un processus démultiplicateur.

Lorsque nous pensons, une pensée nous fait penser à une autre, et si nous mettons de l’ordre dans ces pensées, ou dans les choses, nous voyons apparaitre la communication et, à travers elle, nous voyons apparaitre la puissance transformatrice de l’esprit. La capacité d’avoir de la raison et d’introduire de la raison est extraordinaire parce que cela nous permet de devenir transformateurs et actifs dans notre domaine d’activité et dans nos relations.

Nous avons l’expérience de la vie infinie, l’expérience du moi infini et puis l’expérience du monde infini. La raison, quand elle met de l’ordre permet d’activer et de dynamiser le monde. La raison scientifique qui dirige notre monde est essentiellement fondée sur la méthode et la rigueur, c’est ce qui fait sa performance. Un esprit scientifique est un esprit rigoureux qui va soumettre ses pensées à des règles de vérification logiques et expérimentales. La caractéristique d’un esprit scientifique, c’est de toujours mettre à l’épreuve ses propres pensées au contact des pensées ou de la réalité, et cela donne des pensées particulièrement efficaces.

Bachelard a tout à fait raison de dire que la pensée scientifique fonctionne comme une psychanalyse dans la mesure où la caractéristique de la pensée scientifique, c’est  de mettre à l’épreuve ses propres pensées et de les purifier des images en se méfiant  de ses propres images du monde. Il y a là un travail d’épuration tout à fait remarquable.

Lorsque la science nous inquiète, c’est qu’elle n’est plus la science mais qu’elle devient un outil de pouvoir, c’est ce qui ce passe lorsqu’elle devient la techno-science. Elle n’est plus inspirée par la vie infinie, la communication universelle, mais c’est un instrument de pouvoir mis au service d’une volonté de pouvoir. Je peux utiliser le savoir méthodique et efficace pour mon profit ou pour un projet personnel de prise de pouvoir, nous rentrons alors dans la pensée calculante et rusée, et dans une tentation de la pensée de détourner la science.

Le Verbe incarné

Ce qui est important pour nous, c’est de progresser et d’utiliser cela pour comprendre ce que veut dire le verbe incarné. Lorsque saint Jean débute le prologue et qu’il pense le Christ comme le Verbe incarné, il le fait pour que nous comprenions les Evangiles et que nous comprenions ce que veut dire le Christ dans l’histoire du monde. C’est au niveau de la raison qu’on peut comprendre ce que signifie le Christ. Lorsque nous parlons du Christ, il y a toute une tradition qui met l’accent sur son humanité, sa compassion et son amour. Il est vrai qu’il y a une extraordinaire humanité du Christ, une extraordinaire compassion et un extraordinaire amour du Christ. Mais n’oublions pas que cet amour, cette compassion et cette humanité sont inséparables de ce que signifie le Christ en profondeur, c’est parce que le Christ est le verbe incarné qu’il a cette extrême humanité, cet extrême amour et cet extrême compassion.

Le Logos incarné, cela se comprend quand on aperçoit que cette formule est totalement libératrice à l’égard de ce qui crucifie l’humanité. C’est la même chose que la résurrection et c’est la même chose que ce qui libère l’humanité de la douleur, de la souffrance et du supplice de la croix où l’humanité se trouve enchaînée. Jean parle à la culture de son temps et à la culture universelle. Il parle à la culture de son temps pour permettre à son temps d’aller dans l’esprit de l’humanité et l’esprit de la vie, pour aller dans le fond des choses. Le Christ n’est pas seulement venu guérir les malades et consoler les pauvres, il est venu guérir l’humanité de ce qui est à l’origine des maladies et de la pauvreté.

Il s’avère que la raison humaine est malade, parce qu’elle vit un paradoxe à l’envers qui la crucifie. Si Saint jean éprouve le besoin d’appeler  le Christ le Verbe incarné, c’est qu’il réconcilie par cela la chair et le verbe, donc pour comprendre la notion de Verbe incarné, il faut comprendre que dans l’humanité, le verbe et la chair sont séparés, que cette séparation entraine la misère de l’humanité et qu’il est très important de réconcilier le verbe et la chair.

Le verbe et la chair

Le verbe est le principe actif du langage, la chair est le principe actif de nous-mêmes lorsqu’on comprend ce que veut dire « la chair ». Merlot Ponti a raison lorsqu’il dit que la chair, c’est ce qui se passe lorsqu’on vit corps et âme, on vit de toute sa chair. La chair n’est ni le corps tout seul, ni l’âme toute seule, c’est le fait de vivre corps et âme, c’est notre noyau d’être. Lorsque nous somme dans la chair, nous sommes dans la vie plus intense et accomplie qui soit. Souvenons-nous de quand nous avons fait les choses de toute notre chair, ce sont les moments d’émotion les plus profonds de notre vie, c’est des moments d’intensité.

Le verbe me fait beaucoup penser à ce qu’Aristote appelle la cause première, le principe agissant, l’activité vivante réfléchissante. Lorsqu’on parle du verbe et de la chair, on pense avoir tout dit. Mais je pense que le Logos fait chair nous incite à aller plus loin, c’est-à-dire à aller plus loin que le plus loin où l’humanité a l’habitude d’aller, le Christ c’est ce qui va plus loin que plus loin. Si on parle du verbe et qu’on en reste là, il manque quelque chose au verbe et si on parle de la chair et qu’on en reste là, il manque quelque chose à la chair. Il ne suffit pas de parler du verbe pour parler du verbe et il ne suffit pas de parler de la chair pour parler de la chair. Il faut aller plus loin, il faut aller dans le Verbe fait chair.

Le Verbe fait chair

Denis l’Aréopagite exprime très bien cela lorsqu’il dit que Dieu est tellement vivant que c’est peu dire qu’il est vivant. Il veut dire que Dieu est plus que vivant. Si vous dites que Dieu est vivant sans dire qu’Il est plus que vivant, vous n’avez pas dit que dieu est vivant. Quand je dis que Dieu est vivant, Dieu ne vit pas mais lorsque je dis qu’Il est plus que vivant, cette parole me touche au plus profond de moi-même et rentre dans ma chair.

Le passage du vivant au plus que vivant veut dire la mort et la résurrection. Lorsque quelque chose est plus que vivante,  elle meurt au vivant pour renaître au plus que vivant en provoquant une extraordinaire intensité. Autrement dit, dans le « Verbe incarné » Saint Jean introduit la méthode de la haute connaissance qui manque à notre monde pour être dans le monde véritable. Il introduit ce que la pensée médiévale appelle « l’éminence » qui  est le mot utilisé pour le « plus que », les médiévaux disaient, Dieu est éminemment Dieu, la vie est éminemment la vie, le Verbe est éminemment le Verbe, la chair est éminemment la chair. Si vous allez dans l’éminence, vous êtes obligé d’y aller avec tout votre être, avec toute votre chair et toute votre sensibilité, vous ne pouvez pas dire Dieu est plus que Dieu si vous ne rentrez pas dans le plus intime de vous-mêmes et si vous n’allez pas au-delà de vous-mêmes.

Lorsque nous disons que Dieu est plus que Dieu, cela court-circuite tout le mental pour nous permettre d’aller dans notre corps profond, cela nous amène vers notre inconscient et en même temps cela nous projette vers le             sur-conscient qui est au-delà de nous-mêmes. Cela permet d’avoir une conscience qui n’est pas enfermée dans la conscience, qui est à la fois hyper profonde, hyper intense et au-delà d’elle-même. Autrement dit lorsque Jean nous dit que le Christ est le Verbe incarné, il nous propose une expérience, celle de l’éminence et de l’intensité.

Il va nous parler du Christ, mais pour cela il faut que nous comprenions que le Christ est le Verbe incarné et pour comprendre cela, il faut que nous le vivions. Vivre le Verbe incarné, cela veut dire que nous devons lire tout ce que jean dit, à la lumière du « plus que ». Il va nous parler du Christ, mais le Christ est plus que le Christ, il va nous parler de Dieu mais Dieu est plus que Dieu, il va nous parler de Marie mais Marie est plus que Marie, il va nous parler de la résurrection mais  c’est plus que la résurrection. Il est évident que si nous lisons avec les yeux du « plus que », cela nous met dans un état d’humilité et en même temps de transcendance, cela nous met dans un état d’hyper vigilance.

Pour lire les Evangiles

Du coup, on peut lire les Evangiles, on peut comprendre le Christ. Autrement on n’y comprend rien, et quand on n’y comprend rien, il y a deux attitudes. Soit on croit au Christ pour de mauvaises raisons, soit on n’y croit pas pour de mauvaises raisons également, on « passe à côté », c’est ce que le Christ dit dans la parabole du semeur. Dans cette parabole, le Christ dit qu’il est conscient qu’une bonne partie de ce qu’il va dire va passer au dessus de la tête des personnes qui l’écoutent parce qu’elles ne vivent pas, elles n’aiment pas, mais il sait que quelque chose restera dans leur cœur et qu’un jour cela se mettra  à grandir.

Tout est gaspillé parce que nous ne nous sommes pas préparés pour recevoir le banquet, nous sommes dans la position de celui qui est invité dans un banquet et qui ne s’est même pas habillé pour y aller, ou bien de ceux qui ont toujours de bonnes raisons de ne pas aller au banquet. Il y a là une extraordinaire révolution de pensée, si nous comprenons ce principe donné par Saint Jean et par le Christ pour aborder les choses de l’esprit et les choses divines, le texte s’ouvre, la Parole s’ouvre. Avec la notion de Verbe incarné, on commence la vie là où on a l’habitude de la finir.

Le verbe scientifique

Lorsqu’Aristote pense à  la cause première, il est ébloui par la découverte qu’il a faite. Cette découverte est la synthèse entre la réalité et les idées. Une cause est une réalité qui est la cause d’une autre réalité, mais c’est une réalité qui, en étant la cause d’une réalité, est la raison. La cause veut dire l’idée faite chair, la raison faite chair. C’est extraordinaire, on pourrait dire qu’Aristote a découvert le verbe. Aristote dit que la raison n’est pas, comme chez Platon, un modèle idéal qui va modeler la réalité, la raison c’est la causalité, c’est-à-dire le lien sensible qu’il peut y avoir dans les choses de la nature qui fait que l’une est la raison de l’autre.

Platon nous dit qu’il y a un principe intelligent qui organise le monde sur un modèle idéal. Aristote nous dit que ce n’est pas avec l’idéal que l’on fait de la raison, mais avec le concret, c’est en forgeant qu’on devient forgeron, c’est au contact des choses qu’on connait la raison, il découvre la raison agissante et il dit que la raison est dans le sensible. C’est une extraordinaire découverte qui nous donne l’idée de la cause et cette idée organise encore notre monde.

Avoir une vision rationnelle, c’est dire que l’intelligence se trouve dans les choses, il suffit d’observer la réalité concrète pour y découvrir de l’intelligence, on pourrait dire que l’on n’a pas besoin d’autre chose. Quand je découvre le verbe et que je suis dans l’émerveillement du verbe, je dépasse l’opposition entre l’idéal et la réalité, je dépasse l’opposition entre l’abstrait et le concret, et je découvre un instrument particulièrement efficace pour agir dans le monde et le transformer.

La culture occidentale a découvert la rationalité, la causalité, l’intelligence qu’il y a dans les choses et elle est devenue hyper intelligente. Il en découle que nous pensons qu’on n’a pas besoin de Dieu puisqu’on a la science, puisqu’on a le verbe. Aujourd’hui une grande partie de l’univers politique, économique, universitaire et scientifique ne crois pas en Dieu parce qu’elle a déjà le verbe. Il n’y a aucune raison de chercher le Verbe divin puisque qu’il y a mieux que la verbe religieux et c’est le verbe scientifique.

La chair

Il en est de même pour la chair. Lorsqu’on recherche le principe moteur de l’homme, les uns disent que c’est le corps et les autres disent que c’est l’âme. Les deux ont raison et les deux ont tort, sans l’âme il n’y a pas de corps mais sans le corps il n’y a pas d’âme. Le corps, c’est le corps de quelqu’un, mais quelqu’un est quelqu’un parce qu’il a un corps. Quand on découvre la notion de chair, on découvre quelque chose de libérateur, exactement comme le verbe. Dans la chair on découvre un peu  ce qui se passe en psychanalyse lorsqu’on découvre le désir, c’est-à-dire la force de vie qui est en nous. Et cette force de vie est autant concrète qu’abstraite, elle est autant de l’ordre du corps que de l’ordre de l’âme, quand je désire j’ai des sensations et des pensées, cela va ensemble, il n’y a pas l’un sans l’autre. Là encore, on peut dire que l’on n’a pas besoin de Dieu vivant puisqu’on a la chair

La philosophie de notre monde

Le verbe et la chair, c’est ce que l’humanité peut avoir de mieux. Spinoza en est une très bonne illustration, dans « L’éthique », on voit que Spinoza a découvert, d’une part, le verbe avec Dieu, et d’autre part, la chair avec le désir, et il dit qu’il n’a pas besoin du Dieu personnel et de la religion puisqu’il a le verbe et la chair. Il a un concept qui lui permet de comprendre la réalité et de vivre l’homme, « L’homme peut expérimenter qu’il est éternel » dit Spinoza, la philosophie de Spinoza c’est la philosophie de notre monde, c’est l’accomplissement, c’est le ciel sur la terre.

La philosophie de l’Evangile

Saint Jean ne rejette rien, il comprend la vision intelligente du monde et la vision désirante de l’homme, mais il ajoute que tout cela n’est qu’un début et que ce n’est rien par rapport à la réalisation qu’est le Verbe fait chair, ou la chair qui se fait Verbe. Cela veut dire qu’il y a un point où le verbe et la chair se rencontrent qui ne relève ni de la raison, ni du désir mais qui relève de « l’époustouflant », du  « plus que », le Verbe plus que le verbe, la chair plus que la chair, la relation entre les deux, plus que tout. Je crois qu’on a là, la seule chose qui sauve tout.

La croix du Christ sauve le monde, c’est exactement la même chose que le « plus que ». C’est la sainteté, la vie infinie qui passe à travers moi. Lorsque nous rentrons dans cette dimension, nous faisons la même chose que Marie lorsqu’elle met le Christ au monde. Marie a été enfantée par l’Esprit Saint, c’est-à-dire qu’elle est plus que la femme et plus que la mère pour faire venir quelqu’un  qui est « plus que », là on est dans un autre horizon.

Le père Alexandre Men disait que le christianisme n’a pas encore commencé, nous ne sommes pas dans la logique de Saint Jean, le plus souvent, nous sommes dans une logique très humaine et assez banale où le Christ c’est simplement la compassion et l’amour, on parle de l’amour sans dire qu’il est plus que l’amour, on parle de la compassion sans dire qu’elle est plus que la compassion et on parle du Christ sans dire qu’Il est plus que le Christ.

Dans le cours précédent, nous avons vu accoucher Marie et transformer totalement le monde. La leçon de Saint Jean aujourd’hui, c’est de nous faire accoucher nous-mêmes en nous emmenant dans des territoires totalement nouveaux pour expliquer qu’avec le Christ, jamais on a parlé de Dieu comme cela.