Être sauvé, savoir qu’on n’a pas besoin de l’être ?
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La méthode de l’extraordinaire
La dernière fois, j’ai parlé de la méthode qui permet d’aborder la théologie morale. La méthode de l’extraordinaire.
La grande erreur de notre monde occidental réside dans le fait d’avoir pensé le religieux à l’envers. Il a ramené le transcendant à l’humain au lieu d’élever l’humain vers le transcendant. Ce qui tue la réflexion, c’est de reproduire en permanence cette réduction de tout ramener à nous, à l’utile, à l’immédiat. Sous prétexte d’être humain et concret, on fini par être totalement vide et par tuer l’essence de l’existence. Nous sommes en danger, et nous sommes sauvés à partir du moment où, au lieu de réduire le transcendant à l’humain, on relève et on spiritualise l’humain en le hissant vers le transcendant.
Un jour, j’ai été invité dans le cade de journées chrétiennes, à commenter certaines images du Christ. Ce qui m’a frappé dans les images qui étaient proposées, c’est que dans certaines d’entre elles, le Christ n’avait plus d’auréole. C’était simplement un être humain dont la divinité reposait uniquement dans l’humanité. Ce qui fait que l’homme devient homme c’est qu’il s’ouvre à la dimension divine, on déifie l’homme mais on n’humanise pas Dieu.
Est-ce que nous nous rendons compte que lorsqu’on aborde la bible, c’est Dieu qui parle, que ces paroles ne sont pas des paroles banales et humaines mais des paroles extraordinaires ? On ne comprend rien au texte religieux si on essaye de le voir avec nos yeux humains. Le Christ nous prévient en disant : « Je vous parlerai en parabole, non pas pour révéler les choses mais pour les cacher ». Il dit cela pour éveiller notre esprit et nous faire comprendre que la réalité est symbolique. Si nous ne lisons pas la Bible et les Évangiles avec les yeux du symbole, nous ne comprenons rien et peu à peu le texte perdant toute sa substance, on finit par ne plus y croire.
L’extraordinaire est conscience profonde de l’existence et expérience du Christ. L’expérience de l’extraordinaire, c’est celle de l’existence réellement vivante. Lorsque je fais cette expérience, j’entends résonner mon existence à l’infini et je m’aperçois qu’il y a une relation entre le plus intime de moi-même et le transcendant. Je découvre un Autre à l’intérieur de moi-même qui me parle et qui me guide, je découvre le principe qui guide mon existence de manière souveraine et inspirée, je fais l’expérience du Christ. Je découvre alors l’existence véritable.
Exister véritablement, c’est faire exister le meilleur de moi-même, et c’est un autre qui n’est pas moi, mais qui me permet d’être moi et même d’être mieux que moi. Je découvre en moi cet autre plus vivant que moi-même, tout commence à vivre et le monde autour de moi devient un monde symbolique, mieux encore, il devient une icône. Dieu est vivant et la vie a quelque chose de divin, la relation entre Dieu et la vie nourrit mon existence et mon être profond. Rentrer dans la dimension profonde de la vie, c’est s’ouvrir à cette relation intime et transcendante et cela permet de comprendre la théologie morale.
La théologie morale bien vécue
Aujourd’hui, nous vivons l’absence de la morale, l’absence de la théologie et l’absence de la morale théologique car l’heure est à la liberté individuelle.
Hier on avait affaire à une théologie prescriptive pensant l’unité de la théologie et de la morale comme une sorte de science absolue. Il était question de morale et de théologie d’une manière totalement objective et dogmatique.
Selon moi, la théologie nous invite à ouvrir sur un troisième sens qui n’est ni le dogmatisme, ni le vide, mais la résonnance qu’il peut y avoir entre la théologie et la morale. Lorsqu’on pratique la véritable théologie, cela a une incidence morale pratique, de même, la morale, lorsqu’on la vit profondément, dépasse la morale humaine. L’expérience véritable de la théologie, c’est-à-dire de l’étude de Dieu et de Sa Parole change notre vie quand nous comprenons que cette parole n’est pas simplement une parole théorique et légaliste, mais qu’elle est destinée à notre vie et à notre âme. Il est bien d’étudier l’histoire religieuse et les règles d’organisation de l’Eglise, mais faire de la théologie, c’est surtout se nourrir de la Parole divine et comprendre le lien qui existe entre cette Parole et nous-mêmes. Par exemple lorsqu’on lit le récit de la genèse, il importe de comprendre qu’il ne s’agit pas d’un reportage sur la création du monde, ce n’est pas un texte d’astrophysique, c’est un texte spirituel visant la libération de notre être.
La théologie morale bien vécue c’est la rencontre, à l’intérieur d’une expérience existentielle forte, de la théologie et de la morale. S’intéresser à la théologie morale, c’est essayer de comprendre comment la théologie peut devenir vivante et comment la vie peut devenir théologique. Ce qui unit la théologie et la morale, c’est un troisième terme qui s’appelle l’expérience vivante et qui permet de concilier les deux. En dehors de cette expérience vivante, il ne peut pas y avoir de relation entre théologie et morale. Dans ce cas, la théologie meurt, la morale meurt, tout meurt, et il se passe ce à quoi nous assistons aujourd’hui, c’est à dire l’apparition d’une solitude métaphysique sans nom de l’être humain.
La question du Salut
Ce qui nous sauve de cela, ce sont les « enseigneurs », pour reprendre le terme de Marcel Proust, qui nous apprennent à voir, à entendre et à sentir. Ce qui change notre vie, ce sont des maitres qui nous montrent et nous donnent à entendre un certain nombre de choses. Nous avons affaire à des êtres qui nous éclairent et les spirituels dans le monde sont des veilleurs de ce type qui bouleversent notre existence en nous montrant un certain nombre de choses, à l’intérieur de nous même et dans la vie, qui permettent de nous faire naître à la vie. Là nous avons affaire à une véritable connaissance, à une véritable science et à une véritable conscience.
Pour aborder la question du Salut, il faut comprendre deux choses. Premièrement, quand on lit la Bible ou les évangiles, il est sans cesse question du Salut. Tout ce qui est pensé, dit, enseigné, est là pour le Salut. Deuxièmement, la pensée, la parole, la connaissance véritable, c’est le Salut. La science du Salut s’appelle la sotériologie et je dirais volontiers qu’elle est la science suprême. Pour comprendre cette notion de Salut, je développerai trois éléments.
- La problématique actuelle qui est le refus du Salut et l’idée que le Salut est inutile.
- Le refus du Salut est totalement paradoxal
- La signification du Salut
- Pourquoi est-il question du Salut de l’âme dans la prière adressée à l’Esprit-Saint. « Roi céleste, consolateur, Esprit de vérité, toi qui est partout présent et qui remplit tout, trésor de bien et donateur de vie, vient demeurer en nous, purifie-nous de toute souillure et sauve nos âmes, toi qui est bonté.» Et pourquoi le salut de l’âme est essentiel.
1) Le refus du Salut
Dans la tradition de l’Eglise, le Salut est central, dans le monde qui est le nôtre, le Salut ne va pas de soi car on lui reproche trois choses : La vaine inquiétude, la dépendance, le mythe du sauveur suprême
La vaine inquiétude.
Parler d’une nécessité du Salut serait, en quelque sorte, dénigrer la réalité et ne pas en avoir conscience. Nietzsche reproche à Platon et au christianisme de dévaloriser l’existence, de ne pas aimer le monde et la vie. D’un certain point de vue, cette attitude n’est pas complètement fausse. Il est vrai que vivre avec humilité, c’est saluer l’existence et voir plutôt ce qu’il y a que ce qu’il n’y a pas. Attention à l’attitude de récrimination, qui n’accepte pas l’existence telle qu’elle est ! Le sage consent au monde, il accepte la réalité telle qu’elle est. Il n’est pas l’éternel insatisfait qui trouve que rien ne va, il est celui qui sait reconnaître la perfection de ce qui existe et remercie l’existence pour ce qu’elle est. Donc, il ne voudrait pas être sauvé puisque il est déjà sauvé parce que l’existence est déjà parfaite et rien ne lui manque. C’est une idée que l’on retrouve chez André Conte Sponville lorsqu’il dit que nous sommes sauvés quand nous savons que nous n’avons pas besoin de l’être et qu’il ne manque rien à la réalité.
La dépendance
Le Salut va faire qu’on dépend d’un sauveur. Se sauver ce n’est pas dépendre de quelqu’un qui nous sauve, c’est se libérer de la dépendance à son égard. La psychanalyse nous dit que l’être humain a tendance à chercher toute sa vie un papa et une maman qui vont prendre soin de lui, il a tendance à vouloir être pris en charge. Être sauver, c’est se sauver soi-même et arrêter de vouloir être sauvé par un autre.
Le mythe du sauveur suprême
Ce qui a été le plus destructeur dans l’histoire, c’est le mythe du sauveur suprême. Les dictateurs se présentent toujours comme des sauveurs et font croire à la foule qu’elle a besoin d’être sauvée. Hitler s’est présenté comme un sauveur, ainsi que Staline et Mao. On voit où cela a mené, cela a été la justification pour mettre en place des systèmes d’oppression terrifiants.
2) Le paradoxe de l’absence de salut
Eliminons le salut et on évite la vaine inquiétude qui perverti le rapport à la réalité, on évite la dépendance et le mythe du sauveur suprême. Il n’y a rien à dire par rapport à cela, sauf que :
Premièrement, lorsqu’on analyse la pensée de l’absence de salut, ne croyons pas que cette vision des choses a totalement rompu avec le salut. Elle est le salut même, le salut se trouvant dans l’absence de salut. On s’insurge contre le salut parce qu’on s’inquiète à propos de la réalité. Mais on parle toujours du salut. Certains disent : « arrêtons de penser qu’il y a un danger, et nous sommes sauvés », d’autre disent : « Pour être sauvé, il faut avoir conscience qu’il y a un danger », mais les deux parlent du salut. Donc l’absence de salut EST le salut.
Deuxièmement, on nous dit qu’il ne faut pas dépendre de quelque chose ou de quelqu’un. Mais attention à ne pas dépendre de l’idée qu’il ne faut dépendre de rien et de personne. Cela se voit très bien dans la pensée contemporaine qui est une pensée de la solitude et qui dit que l‘home est sauvé quand il accepte d’être totalement seul et de ne dépendre de personne humainement et métaphysiquement parlant. On est alors dans une dépendance à l’égard de l’indépendance.
Troisièmement, Se libérer du sauveur suprême, c’est encore pense en termes de sauveur suprême, et c’est voir dans l’absence de sauveur suprême, la sauveur suprême.
Autrement dit, lorsqu’un discours parle d’absence de salut, il parle du salut sous une autre forme. Et ceci nous montre qu’on ne se débarrasse pas si facilement du salut. Toute action et toute pensée humaine se fait dans l’horizon du salut et ne peuvent pas se faire autrement.
Si en critiquant le salut, je pense encore en termes de salut, c’est que le salut et l’existence humaine sont fondamentalement liés et qu’il ne peut pas en être autrement. La vie et le salut sont intrinsèquement liés car la vie implique le salut et le salut est indispensable à la vie. La vie ne dispense pas de l’action de vivre, si la vie n’est pas vécue, elle meurt. La vie est vivante dans la mesure où elle est dans l’action de vivre. Attention à ne pas oublier de vivre et à ne pas penser que lorsque la vie est donnée elle ne nécessite pas d’être vécue.
3) La signification du Salut
Dieu crée la vie deux fois, d’une part en créant la vie, d’autre part en créant la nécessité de vivre la vie et c’est ce qui fait que la vie est vivante. Dieu est Le Vivant par excellence et il fait vivre une autre vie que la vie divine. Cette vie est vivante dans la mesure où elle fait vivre la vie car l’homme a été créé aussi vivant que Dieu. Lorsque je rentre dans la vie en étant activement vivant, ma vie rentre en résonnance avec la création elle-même et je sens celle-ci palpiter à l’intérieur de ma vie.
Dieu a créé l’homme mais il n’a pas créé l’homme vivant, l’homme a encore a devenir vivant, et ce n’est pas parce qu’il est donné comme vie, qu’il est réalisé comme vivant.
Le salut, c’est ce qui se passe lorsqu’on est dans la pensée active et vivante. Vivre ce n’est pas simplement se contenter que la vie soit donnée, mais que la vie soit vraiment vécue.
Il est très difficile de passer de l’homme à l’homme vivant. De ce point de vue là, la psychanalyse est très riche d’enseignements. On passe de l’homme à l’homme vivant par une série de deuils qui sont autant de transformations et de mutations. Le premier deuil est la séparation d’avec la matrice maternelle qui était, quelque part un paradis, tout d’un coup, on est projeté dans l’extériorité et il y a quelque chose qui se rompt. Ensuite il y a une série de deuils, le sevrage, l’apprentissage de la propreté, la séparation d’avec la famille… L’enfant passe par une série de transformations, et lorsque celles-ci sont réussies, elles font de lui un vivant.
La tentation constante de l’homme c’est de refuser les mutations et de refuser de rentrer dans la vie, de régresser et de stagner, c’est de choisir la mort plutôt que la vie. La vie et le salut sont lié et vivre, c’est sauver en permanence l’existence en faisant le choix de la vie.
La vision humaine du salut.
Au départ, il a été posé que le salut est quelque chose d’inutile, voir même de dangereux. Les exemples que nous avons vu, nous montrent que le salut est fondamental et que vivre, sauver et être sauvé, sont indissociables. Si nous ne rentrons pas dans une logique de salut, nous mourrons. La vie demande qu’on s’occupe de la vie. Cela passe par la notion d’utilité, je fais des choses utiles pour me conserver, je me sers de l’extérieur pour faire vivre l’intérieur et de l’intérieur pour faire vivre l’extérieur. Là nous sommes dans un geste fondamental de transformation.
En disant que le salut est inutile, on a évoqué la vaine inquiétude, la dépendance et le mythe du sauveur suprême. Il y a une vaine inquiétude, mais il y a aussi une saine inquiétude, une inutile dépendance, mais aussi une saine dépendance, des sauveurs dangereux, mais également des sauveurs salutaires.
Il y a une inquiétude indispensable dans l’existence. C’est celle qui consiste à se réveiller en faisant quelque chose pour soi, pour vivre et pour la vie. Sartres défend l’angoisse comme la responsabilité, il dit que vivre c’est être responsable, c’est agir pour faire quelque chose de sa vie. Ce qui est salutaire, c’est de comprendre que la vie ne se fait pas toute seule et que si on ne fait rien, il n’y aura plus de vie. Donc, nous avons intérêt à nous faire quelque souci à propos de la vie sinon, il n’y en aura plus. Il y a de réelles inquiétudes, et lorsque nous voyons quelqu’un ne rien faire de sa vie, nous sommes inquiets.
La dépendance peut être positive. Lorsque j’ai l’idée de la vie, il est bien que je dépende de cette vie et que je sois lié à elle. Nous dépendons tous de quelque chose mais il faut savoir de quoi. Il est bon d’être dépendant de la vie car c’est ce qui me sauve et je m’accroche à ce qui me sauve. Il est préférable de dépendre de la vie plutôt que de la mort. Il y a des situations de dépendance qui sont créatrices.
Il y a des sauveurs dangereux mais il y a aussi des sauveurs créateurs. Il y a des maitres qui nous sauvent, des êtres remarquables qui sauvent l’humanité, et il faut les reconnaitre comme tels. Ce sont des maitres qui nous apprennent à passer de la mort à la vie. Ils nous permettent de comprendre que parfois, nous sommes dans des mécanismes qui nous semblent bons, mais qui en réalité, sont terriblement nocifs et que d’autres fois nous sommes dans des mécanismes qui nous font du bien. Un maitre c’est quelqu’un qui nous fait passer de ce qui nous fait du mal à ce qui nous fait du bien. Lorsqu’on a rencontré un maitre, on le protège, et on n’a pas honte de dire que c’est un sauveur. Il existe des sauveurs dans l’humanité et celle-ci a le bon goût de les reconnaitre.
Il y a un salut qui est humain, c’est le fait de faire des choses utiles pour la vie et qui nous permettent de nous conserver en tant qu’êtres humains. Tous les jours, autour de nous, nous avons des sauveurs. Des sauveurs très simples, souvent invisibles et qui font des choses très importantes.
Comme je me lève tôt le matin, pour prendre le train, je vois les bennes à ordures avec les gens qui se lèvent tôt pour nettoyer la ville et la rendre vivable, et je suis toujours touché de voir ces travailleurs de la nuit qui nettoient les trottoirs en me disant que s’ils n’étaient pas là, la ville serait remplie d’ordures et proprement invivable. Tous les jours, il y a comme cela des mains invisibles qui agissent dans notre réalité pour la rendre vivable, comme les femmes de ménage qui travaillent dans les entreprises pour que les bureaux soient propres. Le quotidien tient à des détails, comme lorsqu’on rentre dans une cuisine, le matin lorsque la vaisselle n’a pas été faite, essayez de prendre votre petit déjeuné au milieu des assiettes sales… quelqu’un qui a rangé la cuisine, et permet aux autres de manger dans un endroit agréable, c’est quelque part, un sauveur. Le quotidien est fait de milles détails et des mains invisibles et humbles, viennent le restaurer, le réparer et le conserver.
Est-ce que cela suffit pour parler de salut ? Non, bien évidement, parce que le salut requière quelque chose de plus. Il requière le salut du salut lui-même. Qu’il y ait des travailleurs pour nettoyer les villes, des femmes de ménages pour les bureaux et des bonnes âmes pour faire la vaisselle, c’est parfait, cela permet de bien vivre. Mais ça n’est jamais qu’un point de départ, il faut s’en servir pour autre chose, car si le salut s’arrête là, il n’y a pas de salut, et tout ce qui s’est fait de bien se transforme en son contraire.
Le salut du salut
Le salut du salut, c’est faire vivre le salut et faire vivre le message qui est derrière lui. Les gens qui nettoient la ville, les bureaux ou la vaisselle lancent un message, ils disent : « nous nettoyons la ville pour que toi aussi tu la nettoies et que tu fasses ce nettoyage partout, nous nettoyons ton bureau pour toi aussi dans le travail que tu vas faire tu nettoies les choses. »
Lorsqu’on fait quelque chose de l’ordre du salut, sur un micro-point, c’est un point de départ qui est donné pour qu’il y ait une expansion du salut, une mutation pour passer de l’utile au plus qu’utile. Quelque chose d’utile est utile pour la survie des hommes, et c’est bien de s’en préoccuper, mais la survie n’a de sens que si la vie s’y ajoute. Si la survie n’est pas pour la vie, elle est perdue et elle ne sert à rien.
C’est bien d’aménager le monde matériel, mais ça n’a de sens que si on y fait venir le monde humain et le monde spirituel. S’il n’y pas le monde humain et spirituel, la survie matérielle ne sert à rien, et on passe d’une détresse à une autre. C’est bien de supprimer la détresse matérielle, mais il ne faut pas oublier la détresse humaine et spirituelle. Si on ne supprime que la détresse matérielle, on débouche sur une situation absurde qui n’aucun sens, pire encore, on se trouve en état de détresse humaine et spirituelle dans un monde qui est prospère et on vit alors un paradoxe insupportable.
Le véritable sauveur n’est pas celui qui vient simplement aménager le confort matériel, mais c’est quelqu’un qui vient sauver le confort matériel par quelque chose qui lui donne du sens, un sens spirituel et transcendant. On est alors devant quelque chose qui est plus qu’utile et c’est ce qui se passe lorsqu’on a affaire à l’existence véritablement existante. C’est l’expérience de la communion que nous pouvons avoir avec le plan invisible et divin de l’existence. Nul ne sait jusqu’où va la vie et c’est ce qui fait qu’elle est vivante. Ce qui nous sauve, à partir de la vie matérielle que nous avons, c’est ce qui nous ouvre sur cet infini et ce débordement de vie dont nul ne sait où il va.
A ce moment, ce qui se passe, c’est exactement la rencontre avec le Christ. C’est ce qui se passe lorsqu’à l’occasion d’une parole matérielle, nous nous rendons compte de l’inimaginable et nous le voyons arriver sur terre. Là nous pouvons dire que nous sommes sauvés.
Une Parole qui sauve
L’être humain est confronté à trois épreuves fondamentales, la mort, la souffrance et le mal.
Nous croyons toujours que la mort c’est le fait de terminer cette vie, mais nous ne voyons pas que c’est bien autre chose, car la mort, c’est souvent ce qui se passe avant de mourir physiquement, lorsque la vie est totalement étouffée dans son principe.
Nous croyons tous que la souffrance, c’est celle du corps et nous ne voyons pas que c’est ce qui se passe lorsqu’on a une vie qui est totalement étouffée dans son principe.
Nous croyons tous que le mal, c’est la douleur et les conflits qu’il peut y avoir dans la monde, mais nous ne voyons pas que c’est ce qui atteint la vie dans son principe.
Le mal la souffrance et la mort, c’est ce qui se passe lorsque la vie est coupée de son principe inimaginable, incompréhensible et inouï. Dans ce cas, on a beau exister, la vie n’a plus aucun sens, car ce qui fait que la vie a du sens, c’est qu’elle est fondamentalement vivante, qu’elle n’a aucune limite et qu’elle est proprement inimaginable.
Nous sommes sauvé lorsqu’il y une Parole qui ouvre les portes de l’existence et révèle le caractère inouï, transcendant, et divin de l’existence. Là, il n’y a ni douleur, ni souffrance, ni mal.
Seul celui qui le vit est capable d’une telle Parole, c’est la sainteté, c’est ce qui se passe lorsque l’homme est habité par Dieu qui est l’inimaginable par excellence. Tout d’un coup, tout est transcendé. C’est l’expérience de la vie véritable qui rentre dans notre réalité, c’est ce qui se passe lorsque le Christ vient sur terre, quand Dieu en personne rentre dans l’existence. Là, nous sentons quelque chose qui commence dans notre cœur et qui n’a pas de fin.
S’ouvrir à la théologie morale, c’est rentrer dans un espace extraordinaire qui se caractérise, fondamentalement, par l’expérience du Salut. La vie, ne doit pas être simplement vécue, elle doit être plus que vécue. A ce moment là nous rentrons dans un monde qui n’est pas voué à la mort, à la souffrance et au mal, et donc, nous pouvons commencer à vivre.
4) le salut de l’âme
Dieu n’a pas simplement créé le monde, il a créé un monde qui peut être sauvé. La miséricorde divine, c’est que Dieu, non seulement créé le monde, mais il ne l’abandonne jamais et il fait de la vie avec tout, même avec les situations les plus désespérées de l’existence.
Autrement dit, créer le monde et le sauver, c’est la même chose, la création du monde et le Salut, c’est la même chose.
Il est important de comprendre cela par ce que cela permet de comprendre les paroles divines et pourquoi il est demandé de sauver nos âmes. L’âme, c’est la sensibilité infinie qu’il peut y avoir entre nous. Et cette sensibilité infinie, c’est ce qui fait la relation entre la matérialité et l’esprit, entre la terre et le ciel.
Nous vivons dans un monde coupé en deux, où il y a d’un côté des éléments matériels, de l’autre des éléments spirituels et les éléments matériels ont tendance à refouler les éléments spirituels. Cela fait que nous ne sommes pas dans la vraie vie.
Ce qui nous permet de rentrer dans la vraie vie, c’est l’âme, c’est ce qui se passe quand, vivant à l’intérieur du sensible, je rentre dans une sensibilité infinie qui permet de percevoir le spirituel à l’intérieur du matériel. Ce sont nos âmes qu’il faut sauver et il faut demander à Dieu de le faire. L’âme, c’est ce qui fait le plus défaut à notre monde car les hommes ont bien une sensibilité, mais ils n’en font rien.
Le Christ dit que pour être sauvé, il faut passer par lui et l’homme ne peut pas se sauver lui-même. Cette parole agace profondément l’athéisme qui dit que le salut existe quant c’est l’homme lui-même qui se sauve et qu’il n’est pas sauvé par un autre. L’Evangile dit l’inverse, lorsque l’homme veut se sauver lui-même, il se perd et c’est quand il accepte d’être sauvé, qu’il peut l’être.
Le Christ n’en fait pas une question d’orgueil, en disant qu’il y a de l’orgueil dans le fait de vouloir se sauver soi-même. Mais il dit cela parce qu’il y a plus beau que le salut que l’on se donne, car le salut, c’est un cadeau et ce n’est pas une technique. Si je me sauve moi-même, le salut devient une technique et il lui manque tout, il lui manque la beauté, la grandeur…
Lorsque le Christ nous donne le salut, ce n’est pas une technique, c’est un salut miraculeux qui ne s’inscrit pas dans un calcul et dans une logique normale, mais qui devient une gigantesque surprise. Être sauvé, ce n’est pas simplement être sauvé d’un certain nombre de situations gênantes, mais c’est, à l’occasion de la libération de quelque chose de gênant, quelque chose en plus qui est miraculeux.
Dieu sauve le monde, mais pas comme les hommes le croient. Quand je suis en face d’une situation pénible, j’appelle « salut » ce qui met fin à cette situation, mais le salut ce n’est pas cela, le salut, c’est faire plus que mettre fin à une situation pénible, c’est introduire une dimension miraculeuse dans l’existence qui fait que je me retrouve au-delà de la situation pénible et je suis alors devant quelque chose qui est plus que vivant.
C’est ce qu’explique très bien le Christ lorsqu’on lui demande pourquoi un homme est né aveugle et si c’est parce que lui ou ses parents ont péché. Jésus répond que c’est parce que l’œuvre de Dieu devait se manifester en lui.
Lorsque l’aveugle-né recouvre la vue, il voit le Christ lui-même, et c’est cela être sauvé. Si on rend la vue à quelqu’un sans qu’il voie le salut du monde, il ne voit pas vraiment. Ce qui fait que l’aveugle recouvre la vue, c’est qu’il va voir avec ses yeux physiques, mais en même temps, ses yeux spirituels vont s’ouvrir et il va voir le Christ, le salut du monde.
La question du Salut est d’une profonde pertinence théologique et morale parce qu’en théologie et en morale, toutes les paroles et les pensées que nous devons avoir, pour qu’elles soient de vraies paroles et vraies pensées, doivent être des paroles et des pensées vivantes qui sauvent.