La Haute connaissance

L’émerveillement

On ne peut pas aborder les choses spirituelles sans un état d’émerveillement. Par émerveillement, j’entends, se faire miroir, pour reprendre l’étymologie de l’émerveillement. Se faire miroir, c’est passer de l’extérieur à l’intérieur et de l’intérieur au supérieur. C’est congédier la tristesse, le vide et la prétention, en recevant une réalité qui vient d’ailleurs.

Dans les contes et les dessins animés la relation à la vie venue d’ailleurs est exprimée par les fées et le monde féerique. C’est là une vision adaptée à l’enfance pour parler des choses spirituelles et transcendantes. Dans la réalité spirituelle on n’est pas dans l’ordre d’un monde féérique mais on n’en est pas moins en relation avec l’extraordinaire de l’existence.

S’il y a une existence, c’est parce qu’il y a quelque chose qui va au-delà de l’existence, mais si ce qui va au-delà de l’existence a du sens c’est parce que l’existence existe.  

Nous pouvons mettre en relation l’émerveillement avec la fin du sacrifice, et en même temps avec la dimension du corps et de l’incarnation.

Extérieurement parlant, la fin du sacrifice, signifie « ne pas faire couler le sang », intérieurement, cela consiste à ne pas couper la réalité en deux en sacrifiant l’invisible au visible. Nous passons notre temps à vivre dans la violence. Vivre dans la violence, c’est bien sûr, perpétrer les massacres auxquels on assiste chaque jour, mais c’est aussi détruire la connaissance et la relation qu’il y a entre le ciel et le terre.

La connaissance et la morale

Le Christ est constamment présent à l’intérieur de tout ce que nous faisons. Si nous appelons connaissance la relation pleine et entière à la réalité, celle-ci met en relation trois éléments : le fait d’existence, l’existence et la relation entre les deux qui passe par l’image et le symbole. La relation de connaissance et le Christ, c’est la même chose. Le Christ, celui par qui le ciel vient sur la terre et la terre monte au ciel, par qui l’invisible rentre dans le visible et le visible va vers l’invisible, le Christ c’est ce que nous trouvons au cœur de la connaissance. Mais, dramatiquement, la connaissance est meurtrie, elle est crucifiée et souvent assassinée parce que le visible et l’invisible sont séparés.

Les merveilles de Dieu, c’est la fin du sacrifice et le fait d’avoir un corps en relation avec le visible et l’invisible. Dans le livre de la genèse, il y a deux moments dans la création de l’homme. Dieu dit : « créons l’homme » et ensuite, il dit « façonnons l’homme », c’est-à-dire accomplissons la création et l’homme qui passe par l’homme et la femme. Façonner et accomplir, cela veut dire avoir un corps qui rentre dans l’invisible et qui passe du visible à l’invisible.

L’élément profond de la morale, c’est l’émerveillement et la conséquence de l’émerveillement, c’est la connaissance et même la haute connaissance. Dans notre époque, lorsqu’on parle de morale, on parle de société, et en général, on est dans une schizophrénie à propos de la morale parce qu’on parle des normes morales comme étant répressives, arbitraires et conservatrices, mais c’est pour mettre en place d’autres normes.

Le monde dans lequel nous vivons est marqué par la lutte des normes et par le pouvoir, ce qui fait que la morale à laquelle nous avons affaire est sinistre, elle se vit dans la violence et est totalement dépourvue de morale car totalement inféodée à des intérêts partisans et à des conquêtes de pouvoir politique.

La spécificité de la morale christique est de rompre totalement avec cette vision des choses et de nous emmener ailleurs, c’est-à-dire dans l’éthique qui est le véritable sens de la morale. Chez les philosophes grecs comme Aristote, Epicure ou Epictète, il y a une constante. Pour eux, la morale ce n’est pas la guerre pour le pouvoir mais une manière de vivre et même une manière divine de vivre. Les Grecs n’avaient pas rencontré le Christ historiquement, mais ils le rencontraient dans leur expérience. Pour les Grecs anciens, il n’y avait pas d’autre façon de vivre que de vivre divinement et la divino humanité était connue et pratiquée. La divino-humanité, c’est à dire le Christ, c’était la vie capable de vivre en soi, en se suffisant à elle-même, c’est-à-dire en ayant trouvé sa nourriture intérieure et en ne dépendant plus de la nourriture extérieure. Epictète disait : Lorsque tu es convié à un repas, si tu peux ne pas te ruer sur la nourriture, tu seras le convive des dieux, mais si tu peux t’abstenir de manger tu seras comme un dieu ». Ne pas se nourrir de la nourriture des banquets, signifie être passé de la nourriture extérieure à la nourriture intérieure. Il est à noter que dans les Evangiles, le royaume des cieux est comparé à un banquet. Dans l’invisible les Grecs anciens avaient le sens de la divino humanité et de la nourriture intérieure qui s’y trouve.

Revenons à la question de la connaissance. La morale est une éthique et l’éthique consiste à vivre divinement. C’est se nourrir de l’extraordinaire beauté qui est le principe de toute chose et dont toute chose est la manifestation. Cela se traduit dans la pratique de la morale par la connaissance.

Dans le monde qui est le nôtre la morale c’est, soit l’obéissance à une règle sociale, soit l’indignation contre la règle sociale au nom de la justice. La morale oscille entre l’obéissance et l’indignation. Je voudrais montrer que la véritable morale n’est pas une affaire d’obéissance ou d’indignation, mais de connaissance. La connaissance étant le noyau le plus profond de l’existence, de la relation au Christ et de tout ce que veut dire la vie en Christ.

Le sens de la connaissance

La connaissance est une expérience spirituelle renvoyant à un état de conscience qui est un état de l’être tout entier. C’est ce qui se passe lorsque l’on confère à l’existence la dignité la plus élevée et qu’on apprend à voir celle-ci avec un regard supérieur. Ce qui caractérise l’homme de connaissance et la vie comme connaissance c’est de vivre en donnant à chaque chose le sens le plus élevé qui soit, et en particulier lorsqu’on aborde les choses divines, il faut considérer celles-ci comme étant extraordinairement élevées.

Malheureusement, Il y a une décadence du christianisme dans le monde occidental, et une ignorance de nos contemporains à l’égard du religieux. Tout le monde fait de la politique et veut le pouvoir, de ce fait on ne parle que de solutions immédiates, pratiques, matérielles et égotiques. Lorsque le religieux agit ainsi, il meurt, il devient la religion du monde et non plus celle de Dieu. Il oublie totalement d’aborder les choses divines avec une conscience très élevée, c’est-à-dire très humble. Ce qui se dit dans l’Evangile et la Parole divine est extraordinaire, il faut aller au-delà de la littéralité en haussant notre niveau de conscience et notre niveau d’attention. A ce moment-là, nous verrons beaucoup de choses dans l’Evangile que nous ne voyons pas dans une lecture ordinaire du texte.

Nous sommes dans l’oubli du religieux parce qu’on veut un religieux accessible à la foule, mais sa caractéristique c’est qu’il n’a plus rien de religieux car il parle uniquement des problèmes pratico-pratiques que rencontrent les sociétés. Le religieux ayant oublié le religieux, lorsque les savants abordent le religieux, ils le font d’une manière triviale en disant que le religieux serait un délire, une aliénation sociale et une maladie.

Il est important de sortir de la trivialité qui fait que nous sommes totalement ignorants du religieux et que par là même nous perdons le sens religieux. Avoir un sens religieux de l’existence, c’est avoir un sens extrêmement attentif à ce qui se dit dans la Parole de Dieu et dans les rites religieux. Dans les Evangiles, le Christ est extrêmement sévère à l’égard des pharisiens, quand il dit par exemple en Mathieu 23 : « Malheur à vous scribes et pharisiens hypocrites parce que vous nettoyez le dehors de la coupe et du plat et qu’au-dedans vous êtes plein de rapines et d’intempérance. Pharisiens aveugles, nettoie d’abord l’intérieur de la coupe et du plat afin que l’extérieur aussi devienne net. » Le Christ dit aussi cette Parole : « Malheur à vous docteurs de la loi parce que vous avez enlevé la clef de la science, vous n’êtes pas entré vous-même et vous avez empêché d’entrer ceux qui le voulaient. » Nous apercevons qu’à plusieurs reprises de Christ est sévère envers les pharisiens, mais il ne s’agit pas d’un propos antisémite, ni d’un propos à l’égard d’une caste de prêtre, mais d’un propos mystique.

Le scandale de la connaissance

Les pharisiens ne désignent pas les pharisiens dans l’espace et dans le temps, mais ils désignent le scandale à propos de la connaissance dans lequel nous évoluons. Le Christ reproche aux pharisiens d’avoir séparé l’extérieur et l’intérieur. La relation entre l’extérieur et l’intérieur, c’est la plénitude, c’est la relation entre le fait de l’existence, l’existence et le Logos, le symbole qui va du fait de l’existence à l’existence et de l’existence au fait de l’existence, c’est le verbe, c’est la relation divino humaine qui relie en permanence la terre avec le ciel et le ciel avec la terre.

La faute des pharisiens c’est notre faute à tous, les pharisiens c’est nous tous lorsque nous séparons l’extérieur de l’intérieur, c’est-à-dire qu’on ne vit plus l’extérieur à partir de l’intérieur et l’intérieur ne s’extériorise plus. Nous sommes dans le monde de l’exil, de la chute et de la certitude, nous sommes dans toutes les souffrances auxquelles nous sommes confrontés.

En ce sens, le Christ est venu pour la connaissance, et non pour un royaume politique. Il est plus important de parler de connaissance que de faire un état avec une armée, mais pour notre monde, c’est exactement l’inverse, il est plus important de faire un état avec une armée que de parler de connaissance. Le monde est malade faute de relation entre l’intérieur et l’extérieur. Lorsque l’extérieur n’est plus vécu de l’intérieur nous perdons toutes nos forces et par compensation, nous essayons d’avoir par la violence, la force spirituelle que nous n’avons plus parce que nous ne savons plus vivre les choses de l’intérieur.

 Le drame du monde, c’est que les pharisiens ont tout envahi et en particulier le domaine des sciences et de la connaissance qui est un domaine totalement pollué. Aujourd’hui, dans la science, ce qui est génial, c’est la physique quantique car elle retrouve la relation entre l’intérieur et l’extérieur puisque, pour aborder l’infiniment petit, il faut qu’il y ait une intervention de l’observateur sur l’objet observé afin de pouvoir déterminer simultanément sa vitesse et sa position. La physique quantique rompt avec le postula d’objectivité et avec l’idée classique de parvenir à une connaissance absolue de la réalité.

Le monde quantique nous amène dans un monde où ce qui est à connaitre apparait, d’une manière imprévisible, sous la forme d’une lumière fulgurante. L’essence de la réalité, c’est une illumination fulgurante qui rentre dans l’existence d’une manière totalement imprévisible et cela n’a rien à voir avec la domination d’un savoir qui connaitrait la réalité une fois pour toutes. Lorsqu’on n’a rien compris à la réalité, on désire tout comprendre et on aboutit à une connaissance morte, mais lorsqu’on comprend quelque chose à la réalité, on arrête de vouloir tout comprendre et on vit en se moquant éperdument de comprendre les choses une fois pour toutes.

La véritable connaissance

Pour aborder les choses de ce monde, il faut le faire, non seulement avec les yeux de l’émerveillement en se faisant miroir de la beauté de l’existence, mais il faut aussi rentrer dans l’attitude de connaissance qui consiste à accéder à toutes choses avec le plus haut niveau d’attention et d’exigence qui soit, faisant ainsi de nous des êtres fondamentalement éveillés, et par là même réveillés.

Pour comprendre quelque chose aux Evangiles et au Christ, il est vital d’opérer une révolution intérieure et de nous mettre à vivre les choses de tout notre être. Si nous le faisons, nous allons retrouver nos racines religieuses et christiques, ainsi le sens profond de la culture occidentale s’accomplira.

La culture occidentale est fondée autour de la personne qui est la relation divino-humaine qui relie l’Homme à Dieu et Dieu à l’Homme, ce n’est pas l’humanisme qui ramène tout à un plan purement visible, matériel, et immédiat dans lequel l’homme n’est plus relié à l’invisible. La véritable connaissance, c’est la lumière transfigurée de l’homme et non pas le pouvoir de l’homme.

Il est remarquable qu’une des premières paroles de la liturgie est « Sagesse, tenons-nous droits, Illumine les yeux de mon intelligence ». Ainsi, tout est dit sur un mode liturgique. La sagesse c’est de se tenir droit, c’est être dans la verticalité de la relation ciel/terre, et c’est sortir de l’oubli de la connaissance dans lequel nous sommes. Si vous vous tenez droit physiquement, vous vous tiendrez doit moralement et spirituellement. Au lieu d’être recroquevillés sur nous-mêmes de manière fœtale comme un enfant, nous allons nous déplier comme un arbre qui étend ses branches au soleil.

On pense que la morale chrétienne consiste à faire le bien, ne pas faire le mal, à être dans l’amour et dans la paix. Mais la morale Christique, ce n’est pas cela, ce n’est que la conséquence de la racine qui est « illumines les yeux de mon intelligence ! ».

La chose la plus importante qui soit, c’est la connaissance et c’est ce que dit le Christ à deux reprises : Dans l’évangile de Jean à l’occasion de la prière sacerdotale, Il dit : « Père, l’heure est venue, afin que ton fils te glorifie selon que tu lui as donné pouvoir sur toute chair afin qu’il accorde la vie éternelle à tous ceux que tu lui a donné, or, la vie éternelle c’est qu’ils te connaissent, Toi le seul vrai Dieu et celui que tu as envoyé, Jésus Christ. ».  Le Christ glorifie le Père qui lui a donné le pouvoir d’amener la vérité aux hommes et il est dit en toutes lettres que la vie éternelle c’est la connaissance de Dieu.

La vie éternelle

On ne comprend rien à la vie éternelle, parce que l’idée que l’on se fait en général de la résurrection, c’est la résurrection des corps et le fait qu’il y ait une autre vie. C’est-à-dire le fait que l’on puisse revivre autrement et de manière assez heureuse ce que l’on vit sur terre. Nous sommes aveuglés par notre égo et par notre monde visible, la vie éternelle ce serait que « moi », je puisse continuer à vivre éternellement et de manière heureuse. C’est pour cela que beaucoup ne croient pas à la résurrection car ils pensent que la vie éternelle n’est pas la perpétuation du corps dans lequel nous sommes.

Mais ce qui est dit, c’est que la vie éternelle est la plus haute connaissance qui soit et qui nous amène dans la connaissance ineffable qui ne cesse de connaitre. Je dirais que la vie éternelle est un torrent de lumière qui ne cesse de se déverser et qui va bien plus loin que ce que nous pouvons imaginer.

Dans l’épitre aux Ephésien Saint Paul écrit : « Je fléchis les genoux devant le Père duquel tire son nom toute famille dans les cieux et sur la terre, afin qu’Il vous donne selon la richesse de sa gloire, d’être puissamment fortifiés par son Esprit dans l’homme intérieur, en sorte que le Christ habite dans vos cœurs par la foi, afin qu’étant enraciné et fondés dans l’amour, vous puissiez comprendre avec tous les saints, quelle est la longueur, la largeur , la profondeur, et la hauteur de la connaissance de l’amour du Christ qui surpasse toute connaissance.

Ceci est un texte absolument extraordinaire. Nous sommes devant quelque chose d’inouï qui montre ce que veut dire la connaissance qui est la vie supérieure à chaque instant et qui est donc la vie éternelle.

Cela change complètement les choses, et nous comprenons pourquoi le Christ dit : « vous êtes des dieux lorsque vous vous nourrissez de la parole de Dieu ». Si vous vous nourrissez vraiment de de la Parole de Dieu, vous allez avoir une vision supérieure de l’existence qui sera extrêmement attentive à chaque chose et toute chose va devenir divine. C’est une mutation prodigieuse d’existence.

La crise de la connaissance

Il est tout à fait admirable que des philosophes, et non des moindres, aient constaté que nous vivons une crise de la connaissance. Cette crise on la trouve déjà chez Héraclite, lorsqu’il constate que les hommes ayant coupé leur relation avec le Logos, vivent repliés sur eux-mêmes et bien qu’éveillés, ils vivent comme s’ils dormaient.

Si on ne comprend pas ce que veut dire Héraclite, on fait de lui un des premiers théoriciens du social. Mais le monde commun, chez Héraclite, c’est extraordinaire, car lorsqu’il y a le Logos, nous sommes divinement saisis et lorsqu’il y a quelque chose de divin, les hommes font société et une vraie société humaine, c’est de la joie et de l’enthousiasme. On ne peut pas faire une société sans enthousiasme et sans vie divine.

Le fait de trivialiser les choses c’est remplacer le monde commun des éveillés par un monde dans lequel tout le monde dort en croyant ne pas dormir. On ne sait plus regarder les choses avec les yeux de la contemplation et de la beauté. Ce qui fait que l’on est intelligent c’est qu’on est capable de voir le principe harmonieux qui permet à toutes choses d’exister. Les choses existent parce qu’elles sont belles.

Le monde n’est pas toujours beau, mais s’il n’était jamais beau, nous ne pourrions pas vivre. La modernité croit que l’intelligence c’est l’intelligence technique, mais elle fait une erreur magistrale, car ce n’est pas en maitrisant le monde que je deviens intelligent, mais c’est en cessant de le maitriser.

Il y a deux types de connaissance. Celle qui consiste à plier le monde à une représentation pour assoir son pouvoir sur le monde et maitriser la réalité d’une manière tyrannique par ce qu’on appelle l’intelligence. Et puis, il y a l’intelligence de la vie qui permet de subvertir la connaissance qui veut maitriser les choses, pour se laisser connaitre, vivre intuitivement, être capable de sentir les choses et d’être senti et révélé par elles. La connaissance n’est pas le pouvoir que j’ai sur le monde, mais la révélation qui me vient à l’occasion de mon contact avec celui-ci. La connaissance est une surprise qui n’arrête pas de nous surprendre et non pas une absence de toute surprise.

Il y a une crise de la connaissance parce que nous pensons la connaissance sur le mode de la réduction de l’invisible au visible, de la réduction de la contemplation à la maitrise et sur le fait de passer de la révélation au pouvoir. De ce fait, le monde est confié à une intelligence mortifère qui crée des dispositifs de pouvoir effrayants qui suscitent le désespoir ou la violence. Rentrer dans la vie éthique, c’est pratiquer une révolution à l’intérieur de l’intelligence en retrouvant les sources de celle-ci. D’où cette parole de la liturgie : « Seigneur, illumine les yeux de mon intelligence » qui va de pair avec une autre parole : « Seigneur, ouvre ma bouche et mes lèvres publieront ta louange ! ».

Les trois types d’intelligence

Le premier c’est celui du calcul, c’est l’intelligence instinctive, le deuxième c’est l’intelligence représentative et enfin il y a la véritable intelligence qui est celle du cœur, l’intelligence intuitive.

L’intelligence instinctive, c’est quelque chose qui mélange l’adaptation, le calcul et la ruse. Ce qui est intelligent, ce sont les dispositifs qui nous permettent de nous adapter à la réalité pour répondre aux questions qu’elle nous pose et aux sollicitations qu’elle suscite. Je suis intelligent parce que je m’adapte, je calcule et dans un monde conflictuel je suis capable de me donner des buts et les moyens de les atteindre. Je commence à asservir le monde et non pas simplement à m’adapter à celui-ci. Par la ruse, je contourne mes adversaires en utilisant des masques pour égarer leur attention et ainsi pouvoir les dominer. Tout notre monde est organisé autour de ce type d’intelligence, adaptative, calculatrice et rusée. C’est un terrible rapport à l’intelligence qui cherche à lutter contre la violence mais qui ne fait que la générer. Nous sommes dans cycle infernal qui n’a pas de fin, et dans une impasse.

L’intelligence de la culture, c’est la capacité de dépasser le monde de la violence pour aller vers celui de la représentation et de l’image. C’est le côté créatif de la culture, lorsque je dépasse la guerre, je me sers de mon intelligence pour explorer les choses et je fais toutes sortes de découverte grâce à la capacité que j’ai de transformer le monde en un langage, en des images, et je crée une image du monde. Le problème c’est que la culture est souvent mise au service du pouvoir, ce qui fait que je me représente les choses pour conquérir le pouvoir.

L’intelligence du cœur, c’est l’intelligence qui va plus loin. C’est ce qui se passe lorsque je renonce à la violence et il est très intelligent de renoncer à la violence, car la violence appelle la violence, et si personne ne fait le premier pas, on ne s’en sort pas. On arrive à sortir de la violence lorsque quelqu’un accepte de se désarmer, et cela sauve tout le monde. On ne répond pas au mal par le mal, mais ce n’est pas être désarmé, c’est découvrir une autre arme, celle de l’esprit qui va plus loin. C’est la différence entre la bêtise et l’intelligence. La bêtise, s’est s’enfermer dans ce qu’on a l’habitude de faire, c’est être incapable de renoncer à la violence et donc continuer à pratiquer la violence, à en souffrir et à faire souffrir.

Celui qui renonce à la violence et se désarme, désarme tout le monde et emmène tout le monde dans une dimension supérieure à la violence où on aperçoit qu’il y a autre chose, qu’il y a une existence noble et magnanime assez géniale.

La véritable intelligence

L’intelligence c’est être capable de rompre avec l’état naturel des hommes en montrant autre chose. Comme le dit Pascal « L’intelligence, c’est la finesse et le cœur », l’intelligence c’est la capacité de faire autre chose que d’aller de la partie vers le tout en allant du tout vers la partie. C’est ce qui fait que l’on rentre dans le détail, on découvre que la réalité est infinie à travers l’infinie nuance qu’elle contient et on opère le passage de la totalité à l’infini.

Lorsque je suis dans l’infini, je romps avec le pouvoir et la violence et je rentre dans quelque chose d’ineffable et c’est ainsi que l’on parvient à véritablement créer une humanité. On pourrait dire que gagner la guerre, c’est bien, mais il est plus difficile de gagner la paix. Ce qui fait la vraie humanité et la vraie vie, ce n’est pas de conquérir, mais d’être conquis. C’est ce qui se passe lorsqu’on est emmené par la finesse infinie de l’existence et que c’est autour de cela que l’on se rassemble. Là on découvre un deuxième aspect de l’intelligence qui est le tact, la délicatesse, la finesse, et on découvre que l’homme se nourrit d’infini et de paix. L’homme se nourrit de cœur, le cœur c’est le noyau vital des choses qui permet à celles-ci d’exister. Dans notre corps, le cœur c’est ce qui régule la circulation du sang et l’équilibre entre l’intérieur et l’extérieur, c’est un extraordinaire régulateur, c’est l’organe de l’harmonie infinie.

Les choses sont ce qu’elles sont parce qu’il y a en elles de l’être qui est ce qu’il est. Cet être est la structure harmonieuse qui est au fond de chaque chose et de chaque être, c’est le mystère de l’un, la paternité au sens fort qui embrasse tout.

La connaissance du cœur

Si je rentre en moi, à l’intérieur de l’harmonie que je sens vivre en moi et qui est l’amour divin à l’intérieur du cœur, je vais comprendre les structures harmonieuses qui se trouvent chez les autres, je vais accéder à la connaissance intuitive qui est la connaissance immédiate, globale et géniale de la réalité. Pour un esprit rationnel, c’est impossible, seule la connaissance logique et démonstrative existe, pour lui la connaissance intuitive n’existe pas. C’est pourtant ce qui se passe lorsque je vis l’amour divin à l’intérieur de mon cœur, qui est ma boussole, mon sens de l’harmonie et qui va me permettre de saisir immédiatement les structures harmonieuses.

Nous avons tous fait ce genre d’expérience, en rentrant dans une pièce et on ressent une atmosphère déplorable, ou bien en allant dans une petite ville, on trouve l’atmosphère délicieuse. Ce qui nous fait saisir immédiatement la disharmonie ou l’harmonie d’un lieu, c’est notre cœur, c’est l’amour divin à l’intérieur de nous qui saisit les choses et permet d’arriver à cette intelligence.

L’expérience de la connaissance, c’est ce qui se passe avant la morale et avant la religion. Avant de parler de morale ou de religion, il faut commencer par se concentrer et se mettre dans la perspective de ce qu’on va voir, c’est la vie extraordinairement attentive qui fait que nous allons arrêter de vivre dans la violence et dans l’oubli de ce qui est supérieur.  Nous allons nous laisser saisir par l’infinie délicatesse des choses et nous allons écouter notre cœur, c’est-à-dire l’harmonie qui est en nous pour sentir et vivre l’harmonie qui est autour de nous.

Lorsque nous vivrons ainsi, dans la paix, dans la finesse, dans l’intuition harmonieuse, les choses vont devenir très créatrices, très libres et vivantes, très élevées et elles amèneront beaucoup de paix, de finesse, d’intuition fulgurante. Elles vont apporter ce qu’apporte l’homme spirituel. Lorsque l’on a un contact avec un être spirituel, on se sent extrêmement bien, il y a quelque chose de génial qui passe à travers les paroles et on peut alors commencer à parler de Dieu, du Christ et de la religion parce que cela a du sens. On n’est pas dans des concepts, on est dans une expérience.

La vie en Christ.

Les hommes sont devenus chrétiens parce qu’en écoutant le Christ, Ils ont perçu la proximité avec Dieu. Le Christ est le plus proche de Dieu, mais ce plus proche, nous l’avons par la finesse de notre cœur, par l’harmonie qui se trouve en nous. Il nous dit que la vie est une vie divine qui est en nous et que si nous la vivons en rentrant dans la finesse de nos relations nous allons être ce qu’Il est. Les hommes adhèrent au Christ parce que Sa vérité c’est aussi leur vérité.

Les premiers moines sont partis dans le désert pour fuir le christianisme comme religion d’état. Pour eux si le christianisme devenait une religion d’état, il y aurait une Eglise du pouvoir. Ils avaient parfaitement raison parce que lorsque cela a été le cas, les chrétiens se sont mis à persécuter les païens et leur ont fait subir ce qu’eux-mêmes avaient subi. La véritable vie en Christ, c’est celle du moine par la prière, c’est la vie totalement attentive qui nous amène à la transfiguration du « nous », c’est-à-dire le fait de faire passer l’intelligence du cerveau dans le cœur, le fait de passer de l’intelligence primaire, du calcul et de l’adaptation, à cette connaissance du cœur.

Vivre, c’est se laisser guider par le Christ intérieur qui vit en nous. Les choses deviennent alors extraordinairement cohérentes. Introduire le Christ dans notre vie, c’est y introduire le principe Christ qui permet de rencontrer la Personne Christ et de rencontrer la personne que nous sommes. Le divino-humain, c’est notre Christ intérieur qui est en relation avec le Christ extérieur. Saint Paul parle de la connaissance lorsqu’il dit : « A cause de cela je fléchi les genoux devant le Père duquel tire son nom toute famille dans les cieux et sur la terre, afin qu’Il vous donne, selon la richesse de sa gloire, d’être puissamment fortifiés par son Esprit dans l’homme intérieur. En sorte que Christ habite dans vos cœurs par la foi, afin qu’étant enracinés et fondés dans l’amour, vous puissiez comprendre avec tous les saints, quelle est la largeur, la longueur, la profondeur, la hauteur et connaitre l’amour du Christ qui surpasse toute connaissance. »

Là nous sommes devant l’essentiel. Saint-Paul demande, à genoux à Dieu, que l’homme intérieur de chacun d’entre nous soit fortifié pour que nous puissions connaitre l’amour du Christ qui est la connaissance dépassant toute connaissance, nous permettant de révéler la hauteur, la largeur, la profondeur et la hauteur de la vie divine.