26 – La morale et la religion

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Nous avons parlé de la science et de la technologie, du politique et du social, nous allons parler aujourd’hui de la morale et de la religion. Ce qu’il y a derrière ces couples qui organisent notre quotidien, c’est la difficulté de penser la relation entre le ciel et la terre, entre l’intérieur et l’extérieur, entre l’homme et son Autre. On pense toujours d’une manière divisée, en opposition et non pas d’une façon profonde et créatrice. Ceci se voit dans la relation que l’on peut faire entre la morale et la religion.

La phénoménologie

Fondamentalement, l’être humain est Un parce qu’il est deux, il est ouvert sur son Autre et dans une relation avec Lui. Cela se sent à l’intérieur de nous-mêmes, en nous, il y a le « je » ou le « moi », et puis, il « l’être » ou le « non-moi » et c’est la rencontre entre le « je » et « l’être », le « moi » et le « non-moi » qui fait que nous sommes ce que nous sommes, parce que nous sommes des êtres vivants, que la vie rencontre la personne et que la personne rencontre la vie.

Dire  « je » ou dire « moi », c’est exprimer un  « je » ou un « moi » vivant inspiré par la vie, qui personnalise la vie, et en personnalisant la vie, cela débouche sur un « moi » inspiré. Nous avons du mal à penser parce que nous ne pensons pas d’une manière vivante, nous pensons toujours d’une manière isolée, nous pensons la vie sans le « moi » et le « moi » sans la vie. Nous pensons la biologie qui est la vie sans le « moi » ou bien la psychologie qui est le « moi » sans la vie, mais nous ne pensons pas en termes de phénoménologie, c’est à dire en manifestations, en expériences vivantes et en phénomènes. Un phénomène, c’est l’explosion de quelque chose qui apparaît, et c’est là que se trouve la réalité de ce que nous sommes.

L’homme n’est pas une réalité biologique ou psychologique, c’est une réalité explosive, il pense par la rencontre de la biologie et de la psychologie qui donne le phénomène vivant. L’homme est un phénomène vivant qui parle de la vie, du sujet, de la rencontre entre le sujet et la vie, et cela donne le phénomène appelé homme.

Cette vision des choses est la traduction de l’expérience du Christ sur le plan de la connaissance, de la réalité et de la pratique. Le Christ est le modèle de la Vérité parce qu’il est la relation entre Dieu et l’homme, il est  Dieu fait homme pour que l’homme devienne Dieu. C’est la relation entre l’être visible et l’être invisible, l’être dicible et l’être indicible, l’être matériel et l’être ineffable.

Apercevoir la réalité dans sa plénitude, c’est faire l’expérience du Christ, de la rencontre entre Dieu et l’homme, entre l’être réel que nous somme et l’être ineffable.  Cela permet d’avoir la vraie science, la vraie politique, la véritable relation de l’homme et du monde.

La relation entre l’homme et le monde

Nous avons parlé de l’homme et du monde pour dire que la véritable relation entre l’homme et le monde, ce n’est pas l’homme en face du monde mais l’homme dans le monde et le monde dans l’homme et dans cette relation entre l’homme et le monde, se développe une relation créatrice, comme un fleuve qui déborde. Ce qui permet d’aller au-delà des oppositions, c’est la réalité débordante, l’homme révèle le monde et le monde révèle l’homme, l’homme et le monde se révèlent l’un l’autre.

Ce qui est dit du monde peut se dire des autres, vivre avec les autres, ce n’est pas vivre en face d’eux, mais en eux, eux en nous et nous en eux, là aussi, nous nous révélons les uns les autres, nous vivons une suite de révélations, de phénomènes et de manifestations qui sont des messages du Christ et de la vie dans sa plénitude.

Vivre, c’est être dans un monde où, continuellement, le Christ se révèle à nous à travers des moments, des figures et quantités de révélations. Si nous étions véritablement attentifs à la vie, nous verrions le Christ à chaque instant des différentes manifestations de l’existence. Faire l’expérience de la nouveauté avec le Christ, c’est le moment où lorsque nous sommes dans le matériel, nous voyons quelque chose de délicat de fin et d’ineffable apparaître. Tout d’un coup, nous faisons la rencontre de la divino-humanité et nous la vivons dans un contact extrêmement fin et délicat, ce que Saint François de Sale appelait « la fine pointe de l’âme », ce sont des moments où le Christ est en nous et nous sommes en lui.

Donc, il ne faut pas reléguer le Christ dans un moment historique lointain, ni en faire une figure abstraite et désincarnée, mais il faut véritablement prendre au sérieux ce que disent les pères de l’Eglise quand ils disent que le Christ est le cœur de la vie,  la relation entre le visible et l’invisible, le dicible et l’indicible.

La science et la technique

La science c’est la raison et la théorie, la technique c’est l’application de la science, fondamentalement la science et la technique sont deux aspects d’un même processus, quand on fait l’expérience phénoménologique de la science et de la technique, on a l’art de savoir  qui débouche sur l’art et la manière de faire. Cela nous permet de rentrer dans la connaissance et à la connaissance de rentrer en nous et c’est là que nous débouchons sur des aspects créateurs. La science et la techniques peuvent être extraordinairement créatrices et christiques à partir du moment où nous rentrons dans l’art de la science et dans l’art et la manière de la technique. Lorsqu’on a la science et la technique, on a l’art et la manière de faire savoir et de faire.

Le politique et le social

Dans la relation entre le pouvoir qui organise et la société qui est organisée, le pouvoir rentre dans la société et celle-ci rentre dans le pouvoir, cela permet de donner une densité à notre expérience humaine politique et sociale. Faire l’expérience de la politique et de la société, c’est faire une expérience extrêmement créatrice qui consiste à organiser le monde pour en faire un organisme, c’est à dire une réalité vivante mue de l’intérieur.

Les vraies sociétés sont des sociétés intérieures gouvernées par des hommes intérieurs qui voient ce qui permet à la société de devenir vivante et intérieure. La véritable politique et la véritable société sont celles de la vie, et quand on se laisse guider par la vie, on découvre une socialité géniale qui est le produit d’une politique géniale.

Malheureusement, lorsque le politique n’est pas vivifié par le verbe, cela donne l’égoïsme politique, la conquête du pouvoir, les divisions du monde, les conflits, la mort et tous les drames liés à la vie politique ainsi que toutes les pesanteurs liées à la vie sociale.

Nous avons opposé « le Prince » de Machiavel au « Tao Te King » de Lao Tseu qui sont des manuels tous deux destinés à l’éducation des princes, mais totalement opposés l’un à l’autre.

D’une part, dans « Le Prince », de Machiavel nous avons la vision d’un monde gouverné par l’égoïsme et la férocité des hommes, où faire de la politique, c’est être un chef de guerre pour essayer de tenir la violence en respect afin de pouvoir installer un monde à peu près vivable.

D’autre part dans le «  Tao te King, la politique de Lao Tseu est exactement l’inverse, elle part, non pas de la réalité des égoïsmes, mais de l’expérience du profond équilibre qu’il peut y avoir dans la nature et dans le monde, et cet équilibre est produit par le vide. Ceci veut dire que l’on s’efface devant les autres, devant la nature, devant l’existence et on la laisse s’exprimer, à ce moment là, c’est l’existence qui guide et qui amène les choses vers leur équilibre. On n’est pas dans une tension pour prendre le pouvoir, on renonce à prendre le pouvoir et cette vision des choses est une politique christique.

Faire de la politique ainsi, c’est essayer de réintroduire de l’équilibre et de l’harmonie dans un monde totalement ignorant et en proie à un égoïsme féroce,  c’est réintroduire la Parole de la vie dans un monde dominé par des relations de mort, c’est avoir un rapport thérapeutique à l’existence.

Ce type de relation existe chaque fois que nous avons affaire à des personnes constructives qui ont véritablement envie d’organiser les choses pour qu’elles marchent, lorsque nous sommes dans cette optique constructive, nous sommes capables d’introduire dans la vie, des éléments d’équilibre et de connaissance qui apaisent le monde.

La morale et la religion

Pour parler de la relation entre la morale et la religion, il convient d’apercevoir quatre choses :

L’intériorisation et l’extériorisation

Le fond des rapports entre la morale et la religion n’est ni moral, ni religieux, c’est la relation qu’il peut y avoir entre l’intérieur et l’extérieur, mais l’intérieur et l’extérieur n’existent pas, ce qui existe, c’est l’intériorisation et l’extériorisation.

Les activités d’intériorisation et d’extériorisation sont indispensables et indissociables. Intérioriser et extérioriser, c’est ce qui fait le sujet vivant, dans l’intériorité, il prend des éléments dans la nature et dans le monde des hommes et il les personnalise, il les individualise et il les intériorise, c’est ce qui se passe quand la nature devient « ma » nature et quand la société et la vie deviennent « ma » société et « ma » vie, quand je m’approprie la vie et que je la vis. Mais l’intériorité n’est rien si elle ne débouche pas sur l’extériorité, c’est-à-dire si ma vie ne devient pas de « la » vie et si ma matérialité ne devient  pas « la » matérialité.

La démultiplication

En ce sens, la relation entre l’intériorité et l’extériorité est un va et viens de l’intérieur à l’extérieur et de l’extérieur à l’intérieur, c’est le mouvement même de la vie, on reçoit et on redonne, en recevant et en redonnant, on multiplie, on fait croître, on est dans un processus de croissance, ce qu’on a reçu, on l’a travaillé de l’intérieur et ce qu’on redonne est plus riche.

La relation entre l’intérieur et l’extérieur est la relation même de la création et elle est à mettre en relation avec ce qui est dit dans l’Evangile quand le Christ parle du royaume des cieux et le compare à un grain de blé qui produit au centuple.

Cette relation est la même chose que la résurrection, l’expérience de l’intérieur et de l’extérieur qui va vers la démultiplication, c’est celle de la vie qui, en dépassant la vie et en mourant à une vie simple, va vers une vie rayonnante qui déborde de vie, d’amour et de feu. Nous sommes dans une libération de la vie et c’est pour cela qu’il est important que le grain de blé meurt pour pouvoir ensuite donner le déploiement de la richesse et de la multiplication. Là nous découvrons la véritable relation créatrice.

On peut avoir beaucoup, mais si on n’est pas capable d’en faire quelque chose, on n’a rien, de même, on peut avoir peu de choses, si on sait en faire quelque chose, on a beaucoup. Là, on est devant l’art divin, Leibnitz disait que l’art de Dieu c’est de faire le maximum avec le minimum. Le Christ nous invite à être pauvres, car cela veut dire apprendre à vivre avec peu, et lorsqu’on a appris à vivre ainsi, on fait énormément avec peu et en ce sens, la pauvreté est la clef de la richesse.

Pour Hegel, la relation entre l’intérieur et l’extérieur, c’est le nom même de Dieu, et toute la pensée doit déboucher sur la pensée créatrice qui est la jubilation. Dans « La phénoménologie de L’esprit », il écrit : «La vérité est comparable à un banquet dionysiaque, et parmi tous les participants, aucun n’est ivre » et nous retrouvons la une métaphore de Grégoire de Nysse qui parle de la « sobre ivresse ». C’est ce qui se passe lorsqu’avec très peu, on est capable de faire beaucoup, de multiplier l’existence et de faire vivre le royaume des cieux.

La relation entre l’intérieur et l’extérieur est la chose la plus créatrice qui soit et c’est la capacité de transformer l’existence en un fleuve débordant.

A l’intérieur de cela, il est important d’apercevoir la signification de la morale et de la religion. Ce sont des institutions de notre monde profondément structurantes lorsqu’on sait les aborder en tant que telles.

Les éléments de base de la religion et de la morale

On peut définir le religieux comme l’intérieur et la morale comme l’extérieur et apercevoir qu’il existe une relation créatrice entre les deux. Dans « Les deux sources de la morale et de la religion », Bergson défini les éléments de base de la religion et de la morale.

L’élément de base de la religion est fondé sur l’idée que la vie est plus forte que la mort, et celui de la morale, sur l’idée que l’humanité est plus forte que la violence. Les expériences de la morale et de la religion sont fondées sur deux croyances, une croyance dans la vie et une autre dans l’homme. La vie renvoie à la dimension ontologique et l’homme à la dimension anthropologique.

Notre monde refuse aujourd’hui autant la morale que la religion parce que nous sommes dans un monde meurtri et individualiste. Il a été meurtri par une morale et une religion autoritaires et politiques et il ne veut plus entendre parler ni de morale, ni de religion. Il est vrai que le moralisme existe et qu’il est particulièrement étouffant, de même qu’il existe des religions autoritaires et cruelles particulièrement tyranniques.

La religion et la morale sont personnelles

Il y a dans notre monde une dimension individualiste qui ne veut entendre parler ni de morale, ni de religion parce que l’homme entend tout faire par lui-même, inventer la morale et la religion en disant « chacun sa morale et sa religion ». Nous avons affaire à un faux procès parce que la religion et la morale sont nécessairement toujours personnelles et il n’y a pas besoin de dire « à chacun sa morale et sa religion » car une morale et une religion impersonnelles sont impossibles.

Il convient de rétablir la vérité et de comprendre que le religieux, comme la morale sont des constituants fondamentaux de l’existence humaine et qu’aucune existence humaine ne peut se passer de rapport au religieux et à la morale.

L’expérience religieuse

L’essence religieuse de l’existence est liée à la croyance même dans l’existence et à l’organisation de cette croyance. Vivre, c’est nécessairement croire que la vie est possible, c’est adhérer à la force mystérieuse de la vie et c’est par ailleurs mettre en forme cette croyance en lui donnant un cadre.

Le cadre, c’est celui de l’action religieuse de l’existence qui consiste à vivre et à faire les choses religieusement, c’est-à-dire les faire avec un maximum d’attention de sorte que l’existence entière se remplit d’esprit, l’esprit étant marqué par cette attitude religieuse.

Un être religieux c’est quelqu’un qui a l’amour de la vie et qui vit dans l’attention à la vie. Dans tout ce qui est important dans le monde, la religion est présente. Par exemple dans certains établissements d’enseignement où il règne une atmosphère religieuse dans le rapport au travail et aux livres, la religion se trouve dans l’attention extraordinaire donnée à l’étude, aux élèves, à la science et aux différentes disciplines.

Cela renvoie à tout ce qui cultive la qualité de l’existence, la perfection d’un jardin japonais et le calme qui en ressort, la sérénité des grands temples orientaux, la paix des monastères liée à une extraordinaire attention donnée à chaque moment de la journée, à chaque geste, à tout ce qui se dit et à tout ce qui se fait.

Krishnamurti  dit que l’homme religieux est un homme totalement attentif à l’existence et qui ritualise positivement celle-ci. Ceci est également dit par Simone Weil dans « La pesanteur et la grâce » où elle dit que la religion est attention et qu’on mesure la quantité de religion d’une époque à sa qualité d’attention.

On a le sentiment que la religion est un cadre rigide, mais ce n’est pas un cadre rigide, c’est un cadre puissant, d’une extrême fermeté qui nous amène à l’attention qui permettra de libérer la quintessence de la vie. Il n’y a pas plus beau que de vivre en se donnant totalement à l’attention de la vie, cela génère une extraordinaire liberté intérieure.

Nous vivons une mort / résurrection, l’exigence de l’attention va supprimer et anéantir l’homme dispersé, désordonné et chaotique, celui qui « zappe », qui passe d’une chose à l’autre dans une impatience extrême avec une avidité liée à l’enfer qu’il vit.

L’attention

L’essence de la vie est religieuse, mais notre époque n’est pas capable d’entendre cela parce qu’elle voit la religion avec  des yeux d’adolescents qui disent que la religion est un pouvoir politique, qui ne veulent pas êtres dominés et embrigadés et qui veulent vivre sans religion. Quand on vit sans religion, on vit sans attention et on est dans un véritable chaos. Sortir de la violence de la religion, c’est rentrer dans la véritable religion et c’est connaître la véritable laïcité. Ce qui nous permet de vivre les uns avec les autres, c’est d’être dans la paix et dans l’attention. Si nous sommes attentifs à la vie et aux autres, nous ne pouvons pas être dans l’intolérance, nous sommes au contraire extrêmement respectueux des relations les uns aux autres, et nous pouvons vivre en respectant les différents parcours intellectuels, philosophiques et spirituels.

En ce sens, il n’y a qu’une manière de vivre une véritable laïcité, c’est de vivre une véritable religion de l’intérieur et qui est une religion attentive. Le religieux qui s’exprime sous une forme politique extérieure n’est pas religieux.

Le plus important, c’est de revenir à l’essence religieuse de l’existence, c’est-à-dire totalement attentive et spirituelle qui fait qu’à un moment, chaque chose a du sens.

Lorsqu’on a affaire à une organisation religieuse temporelle, spatiale, évènementielle et liée à des rites, ce n’est pas autre chose qu’une pratique de la pensée et de l’attention véritable. En ce sens Bergson a raison de dire qu’être un homme religieux, c’est croire que la vie est plus forte que la mort, et lorsqu’on vit attentivement, on fait en sorte que la vie devienne plus forte que la mort parce que chaque élément de l’existence prend tout son sens.

L’expérience morale.

C’est la croyance que l’homme est plus fort que la violence, ou plutôt qu’une vie plus forte que la violence est possible.

La violence renvoie au viol et à la transgression des limites, mais surtout à la transgression de l’intime et du secret, de l’unique. C’est un acte terrible qui non seulement fracasse les limites constitutives de la réalité, mais profane le sacré et l’intime qu’il y a dans l’existence en provoquant un état de désespoir. Le monde de la violence est un monde dans lequel, du fait d’une brutalité extrême, plus rien d’intime, de secret et d’unique, n’existe, on est anéantis.

Ce qui permet de surmonter la violence, c’est la force de l’intime, c’est l’expérience de l’unique qu’on appelle la force morale. C’est cette dimension extraordinaire qui fait qu’un être humain devient fidèle à l’intime, à l’unique et au secret qui existe à l’intérieur de lui-même, c’est cette fidélité au secret qui donne une véritable force mentale et qui montre l’existence possible d’une vie plus forte que la violence.

Si la religion a le sens de la vie et si elle est la capacité de faire vivre cette vie en toutes choses, la morale est le sens de l’intime et du secret qui a la force de les faire vivre en toute chose et qui donne à l’existence un aspect extraordinairement personnel.

L’expérience de la Personne

Derrière les expériences de la religion et de la morale, nous trouvons une relation intense qui va de la vie à la personne et de la personne à la vie. , ceci fait que nous sommes dans un monde extrêmement vrai et profond du fait du rapport à la vie, et extrêmement libre du fait du rapport à la Personne.

Là nous pouvons dire que nous sommes dans la quintessence de la personne, la rencontre entre la liberté et la vérité, entre l’intime de nous-mêmes et la puissance de l’existence et quand on entre dans cela, on rentre dans une apothéose, un couronnement.

Dans la tradition juive, l’arbre de Sephirot part du royaume pour aller vers le couronnement, c’est ce qui se passe lorsque nous rentrons dans la pauvreté, que nous commençons à vivre la vie et l’intime et que tout cela se démultiplie pour déboucher sur le couronnement.

Il peut arriver, dans la vie de rencontrer des êtres accomplis, et quand cela arrive, le simple fait d’être à côté d’eux nous éblouit, nous enchante et nous apaise de façon merveilleuse, ce sont des êtres totalement pacifiés et traversés par un rayonnement extraordinaire.

Les Grecs vivaient pour cela, le modèle de l’homme c’était le sage, serein et accompli. Dans la tradition chrétienne, les hommes et les femmes partaient en pèlerinage pour rencontrer leur âme et ils le faisaient grâce à des rencontres avec des maitres spirituels, des saints et des saintes dont la seule vision les remplissait d’une joie ineffable. Des milliers de personnes accouraient vers Saint Séraphin de Sarov simplement pour le voir sortir de sa cabane, et cette seule vision les remplissait d’une joie extrême.

Lorsque la relation entre la morale et la religion se réalise, c’est extraordinaire, et on arrive à ce paradoxe que cela n’a plus rien à voir avec de la morale ou de la religion, c’est la vie même, c’est la liberté, c’est la vie qui est devenue liberté, c’est la liberté qui est devenue vie, c’est la personne qui devient céleste, c’est le ciel qui devient personnel et là, nous sommes devant mieux que la morale et mieux que la religion. Bien sur, il faut de la morale et de la religion au sens extérieur des termes pour permettre la religion et la morale intérieures  ainsi que leur dépassement.

Quand on a compris cela, on a une clef de compréhension de ce qui se passe autour de nous car nous avons affaire à une humanité qui est malade parce qu’elle ne fait pas vivre cet homme vivant et libre qui est en elle. L’absence de cet homme vivant et libre est une véritable tragédie dans notre monde et rend les hommes malheureux.

La coupure entre morale et religion

Cette difficulté à vivre se voit dans la relation entre la morale et la religion, elle s’exprime soit dans une religion sans morale, soit dans une morale sans religion et le monde vit dramatiquement la coupure entre morale et religion.

La coupure entre le monde d’hier et celui d’aujourd’hui

Une coupure se trouve entre le monde d‘hier marqué par le conformisme religieux, et le monde d’aujourd’hui marqué par le conformisme moral.  Socrate est victime du conformisme religieux, ce qui caractérise sa pensée, c’est de vouloir que le religieux extérieur devienne une morale intérieure, c’est ce qui était inscrit en haut du temple de Delphes : « Connais-toi toi-même… ». Bien que l’on soit dans un cadre religieux, il est dit qu’en rentrant dans un temple, si on ne découvre pas les dieux à l’intérieur de soi-même, on ne les découvrira jamais. Les dieux sont à l’intérieur et les dieux c’est la connaissance de soi-même, l’intime, la Personne, l’unique qui est à l’intérieur de soi. En connaissant l’unique à l’intérieur de soi, on découvre l’unique à l’extérieur.

C’est le problème auquel est confronté le Christ avec les pharisiens car ils sont dans la religion extérieure qui opprime la morale intérieure et la liberté.

La coupure dans notre culture

Dans notre culture Il y a une coupure dramatique entre la morale et la religion qui est une coupure moderne, l’homme moderne veut se débarrasser du conformisme religieux extérieur pour aller vers l’unique de lui-même et vers la liberté. Mais il fait l’erreur de vouloir se débarrasser du religieux au lieu d’y rentrer et de comprendre que c’est le l’ordre de la vie. La morale ne peut pas être un simple phénomène individuel, de même que l’unique et l’intime ne peuvent pas être un phénomène individuel, dans cette vision des choses, c’est à chacun de choisir et d’inventer ses valeurs.

Bien entendu, tout homme doit être créateur, mais pour cela l’homme doit être libre et pour être libre, il faut être vivant, autrement on a une liberté sans vie et elle devient la liberté du vide. La liberté, c’est le fait d’intérioriser quelque chose d’extérieur, c’est le personnaliser.  Une intériorité dépourvue de vie n’intériorise et ne personnalise rien  et  elle n’est plus capable de faire une véritable Personne.Bergson a permis de sortir du conformisme religieux et moral dans lesquels nous nous trouvons d’une manière géniale, il ne pense pas la morale ou la religion séparément, il les pense ensembles à travers un couple de catégories qui est le clos et l’ouvert. Pour lui le problème n’est pas de savoir si il faut être plus moral que religieux ou plus religieux que moral, s’il faut être laïque ou pas, mais de comprendre ce qui est en jeu dans l’existence.

Devenir vivants et libres

Nous avons besoin de morale et de religion, nous avons besoin d’avoir un moment qui est clos et ensuite un moment qui est ouvert et dynamique. Ce qui est important, ce n’est pas la morale ou la religion, mais c’est la Personne, ce qui est important, c’est vous, c’est nous, c’est que nous devenions des êtres vivants et libres. Si nous devenons des êtres vivants et libres, nous deviendrons vraiment religieux et moraux.

Il y a une crise de la morale et de la religion parce qu’on parle de la morale d’une manière morale, de la religion d’une manière religieuse et on oublie complètement de parler de la vie et de la liberté, or c’est là que se trouve la clef de la morale et de la religion. Il y a de la morale et de la religion parce qu’il y a de la liberté et de la vie, et non l’inverse.

La vision de la liberté et de la vie, c’est la vision de la Personne qui est l’individu qui devient porteur d’une vie, c’est la vie qui s’individualise à travers cet individu pour donner quelque chose qui n’est plus simplement l’individu ou la vie, mais qui est un monde porteur, plein de possibles et de choses à découvrir.

Aujourd’hui, il y a une crise de la morale et de la religion parce qu’on n’est pas dans la vie et dans la liberté, ce qu’on  dit de la morale et de la religion est mort et n’a aucun intérêt, cela se traduit par le fait d’opposer la morale et la religion en expliquant, par exemple que la morale n’a pas besoin de religion, ou bien, en ayant une religion totalement conformiste.

Il convient de revenir à l’expérience de la vie et, de donner à toute chose sont caractère explosif.