Saint Silouane et la communion universelle

Après être entrés dans l’expérience de la prière inspirée par Saint Isaac, nous allons continuer à nous nourrir de celle-ci avec le starets Silouane.

Un mode de connaissance

Il faut bien comprendre que la prière est le mode de connaissance par excellence. Pour nous, connaitre est une activité rationnelle de type scientifique, mettant en relation des concepts et des intuitions, pour faire des synthèses et ainsi faire progresser le savoir.

Cette vision, sur un mode laïque, exprime parfaitement ce qu’est la connaissance fondamentale qui met en relation notre être avec l’être divin de la transcendance et opère une synthèse qui ne fait pas simplement progresser le savoir, mais qui transfigure totalement les données de la réalité. Lorsque nous pratiquons le savoir mondain et que cela se déroule bien, il nous ouvre sur les merveilles de la nature à travers toutes sortes de découvertes plus passionnantes les unes que les autres.

Ce qui est vrai sur le mode de la connaissance laïque, extérieure et scientifique, l’est encore plus sur le mode de la connaissance fondamentale et mystique qui démultiplie l’expérience de découvertes et de merveilles. Nous n’imaginons pas ce que la connaissance divine nous permet de révéler. Il est bien de voir les choses avec des yeux humain, mais il est encore plus extraordinaire de les voir avec « des yeux divins ».

Nous avons commencé à comprendre ce que signifie la véritable connaissance et nous en avions vu un aspect lorsque Denis l’Aréopagite explique, dans les hiérarchies angéliques, que l’expérience de la connaissance, c’est la conversion, le changement de regard et la rupture avec la réalité en nous emmenant dans les hauteurs du domaine angélique.

Cela signifie que connaître, c’est s’affranchir totalement du monde de la banalité, de l’extériorité, de l’égo, de la matérialité et de la brutalité dans lesquels nous sommes, pour rentrer dans la réalité véritable. L’expérience de la rupture avec le monde, c’est celle de la rupture avec le monde pollué dans lequel nous vivons, que nous prenons pour le véritable monde en ne soupçonnant pas ce qu’est le monde véritable.

Lorsque nous rentrons dans un certain degré de connaissance, il devient indispensable de passer par la prière pour se tenir dans cet état de connaissance. Des penseurs païens expriment fort bien cela. Lorsque Socrate est au contact de la pensée philosophique, il prie les dieux de pouvoir la conserver, de même Epictète prie Zeus de pouvoir conserver la sagesse à laquelle il s’est élevé. Être sage n’est pas possible sans une prière faite à l’esprit de la sagesse parce qu’être sage consiste à devenir la sagesse même, pour cela, il faut être dans une pure attention continuelle à la sagesse. Seul l’accès à une pensée « autre » peut permettre d’accéder à ce niveau de réalité. La pensée fondamentale n’est pas simplement une pensée humaine, c’est une pensée qui nous est donnée par la pensée fondamentale elle-même.

Lorsque nous nous mettons en relation avec la sagesse et la pensée fondamentale, nous passons nécessairement par la prière pour pouvoir être dans leur réalité. Lorsqu’un artiste crée, il est en contact avec la musique ou la peinture, il est en contact avec elles, il dialogue avec l’esprit de la musique ou de la peinture, et il peut produire des œuvres extraordinaires parce qu’il se met en état de prier la musique ou la peinture de venir l’inspirer, alors il devient la peinture ou la musique.

Devient qui tu es

L’expérience de la prière permet de réaliser la parole de Pindare, reprise par Saint Augustin et par Nietzsche : « Deviens qui tu es ». Pour être ce que je suis, je dois nécessairement me relier à la prière, c’est-à-dire me mettre dans cet état où je demande de tout mon être à la musique, à la peinture, à la pensée de m’habiter. Je les invite, je les vis, je les accueille, je me mets entre parenthèses pour qu’elles prennent possession de moi. C’est ce que l’on trouve dans l’expérience de la vie divine.

L’expérience de la prière nous ouvre sur l’universel qui est l’expérience de l’Un dans la diversité et de la diversité dans l’Un. C’est un regard de plénitude sur la réalité. L’universalité, c’est le grand rêve de notre modernité mais c’est aussi son drame et sa frustration parce que ce qu’il manque à l’universalité c’est ce qui lui permet d’exister, à savoir, l’expérience mystique et spirituelle. L’universalité n’est pas pensable sans la mystique, lorsqu’elle est pensée uniquement de manière humaniste, elle perd toute son énergie.

Pour le comprendre, revenons à l’expérience de l’universel, ce qui nous permettra de comprendre notre situation à l’égard de l’universalité et à la manière dont il est possible de libérer notre rapport à l’universel.

L’unité et la diversité

Toute l’histoire de la connaissance est marquée par la relation entre l’unité et la diversité. L’unité est le propre de l’esprit, la diversité est le propre de la réalité concrète. Le problème de la connaissance consiste à unir la réalité concrète dans sa diversité au sens de l’unité, ce qui va permettre de parvenir au spirituel. Si nous prenons les choses d’un point de vue laïque, la relation entre l’unité et la diversité, peut être pensée de trois manières : à partir de l’unité, à partir de la diversité ou à partir de la relation entre l’unité et la diversité.

Les grecs anciens ont pensé l’universalité à partir de l’unité qu’il faut envisager comme une expérience qualitative profondément harmonieuse. Cette expérience de l’harmonie, est celle de l’équilibre qui existe en chaque chose et en chaque être. Voir le monde avec les yeux de l’Un, c’est voir le principe harmonieux qui permet à toute chose d’exister. On trouve cette expérience chez Platon dans L’idée et l’idéal. L’expérience de l’Un est la même que celle de la beauté qui permet de s’ouvrir, par l’idéal, à la diversité. En décelant la beauté de chaque chose, on voit comment tout concoure à la beauté. Cette vision d’équilibre, on la trouve très bien dans la sagesse chinoise qui, pour chaque chose, voit un principe d’équilibre et d’harmonie.

A l’opposé de l’expérience de l’Un, il y a celle de la diversité, de la différence et de la singularité. Les choses ne sont pas les mêmes et chacune a quelque chose de spécifique à me dire.  Ce n’est pas un principe harmonieux que je découvre en chaque chose, mais un principe de différence. C’est ce qu’Aristote tente d’enseigner lorsqu’il nous invite à aller au contact des choses et à comprendre que la réalité est multiple, elle n’est pas harmonieuse, elle est exubérante, c’est un foyer de diversités, de singularités et de qualités. On se trouve dans une attitude de surprise et d’étonnement, de renouvellement continuel de la connaissance.

La troisième expérience d’unité dans la diversité est celle de la connaissance à partir de l’imagination décrite par Kant. Il a très bien vu que l’homme possède deux sources de connaissance : une source intellectuelle, idéale, des concepts qui lui permettent d’ordonner le monde, et une source concrète d’informations données par l’expérience. Il a ajouté une troisième manière de connaitre, qui n’est ni l’idéal, ni la diversité concrète, mais l’homme avec son imagination. L’homme a un mot à dire dans la connaissance. Celle-ci n’est pas simplement ce qui est donné par le principe harmonieux ou par la diversité, c’est aussi ce qui est donné par l’homme capable de réconcilier l’idéal et la diversité. C’est la nouveauté de la démarche Kantienne dans la connaissance. Nous avons des intuitions et des informations qui viennent de la diversité des choses, mais nous avons également des concepts qui permettent de les unifier. Kant nous dit que ce qui permet d’unifier la diversité et l’unité, c’est l’imagination qui est la capacité de passer du concret à l’abstrait et de l’abstrait au concret. Pour figurer cette production, il donne l’exemple du disque qui peut renvoyer à un cercle ou bien à une assiette. L’imagination, c’est cela. En voyant un disque, nous somme capable de le transposer sur le plan de la géométrie ou sur un plan usuel. Nous sommes capables de voir la relation qui existe entre le disque, le cercle et une assiette et de translater l’un dans l’autre. Le travail de l’imagination est de faire correspondre l’abstrait et le concret, et derrière l’imagination, c’est le travail du sujet. Le sujet humain peut réconcilier l’unité et la diversité dans l’imagination en produisant des images et en les faisant circuler d’un plan de réalité à un autre.

Cézanne montre bien ce travail de l’imagination avec l’invention du cubisme et de l’art abstrait. Son coup de génie a été de mettre en relation des tomates avec des cercles et d’expliquer qu’il était possible de produire de la peinture grâce à la transposition de fruits dans des cercles. Au lieu de peindre des tomates, des pêches ou des oranges de manière réaliste, il s’est contenté de dessiner des cercles et ce sont les spectateurs, avec leur imagination, qui vont combler le vide qu’il a créé et vivre le tableau de manière intérieure.

L’universalité

On peut donc penser l’unité dans la diversité à travers trois éléments : l’harmonie, la diversité et l’imagination. On a affaire à l’universalité, c’est-à-dire la capacité de découvrir de l’Un à l’intérieur du multiple et du multiple à l’intérieur de l’Un. La caractéristique de l’universel, c’est qu’il n’est pas réducteur, il n’est pas fermé et étouffant. Avoir le sens de l’universel, c’est avoir le sens de la liberté de l’esprit qui peut aussi bien passer par l’harmonie, la diversité foisonnante ou l’imagination.

En effet, si je dis que La réalité est harmonieuse et que toute chose dit l’harmonie à sa façon, je suis dans l’universel, mais si je dis que la réalité est d’une extraordinaire diversité et que rien ne ressemble à rien, je suis également dans l’universalité, enfin, si je dis que la réalité et imaginative, et que les images se transforment dans tous les sens, je suis encore dans l’universel. Je suis dans l’universel parce que je suis dans la liberté de l’esprit qui passe par l’unité, par la diversité et par la relation entre l’unité et la diversité. Passer sur le plan de l’esprit, c’est faire l’expérience de la vie créatrice. La réalité dans laquelle nous vivons est créatrice et il y a quantité d’approches qui permettent d’y accéder. La vie spirituelle, c’est d’apercevoir que derrière les choses, il y a des idées et des pensées derrière lesquelles se trouve un souffle créateur. Nous avons une vie spirituelle lorsque nous découvrons les pensées et le souffle créateur qui se trouvent derrière la réalité concrète.

L’universalité s’exprime dans l’université, mot dans lequel on retrouve les mots unité et diversité. L’université est, par excellence, le lieu qui permet à la liberté de l’esprit de s’exprimer, par la voie de l’harmonie, de la diversité ou de l’imagination, c’est la coexistence de toutes ces façons de lire la pensée et le souffle créateur qui donne à l’université son sens spirituel. L’universalité c’est l’ouverture et la liberté de l’esprit par excellence.

L’universalité et les « droits de l’homme »

Dans notre monde, on parle de l’universalité, mais c’est dans un sens politique, et je suis frappé de voir la pauvreté du discours concernant l’universalité et la pauvreté du sens donné à l’universalité. On confond, souvent universalité et généralité. La généralité, ce sont des caractères qui se trouvent chez tout le monde comme le fait que nous avons tous quatre membres et que nous avons tous besoin de manger, mais cela n’est pas universel parce que cela ne parle pas de la pensée, de la beauté de l’existence et du souffle créateur. L’universalité est ramenée à une généralité matérielle, et nous avons affaire à un détournement, par le matérialisme, de la notion d’universalité.

On parle d’universalité à propos des « droits de l’homme » car ceux-ci reposent sur l’idée que l’homme est né libre est qu’il a des droits fondamentaux, politiques et matériels. Cependant nous sommes dans l’universalité du droit mais pas dans celle de l’esprit. Derrière l’universalité du droit, se trouve un désir de faire dépendre du droit, la liberté de l’esprit, et par là même, d’amener le ciel sur la terre. C’est ce qui fait l’ambiguïté des droits de l’homme, d’un côté c’est une chose appréciable que de respecter la dignité humaine et de donner aux hommes des droits politiques et économiques fondamentaux, mais en même temps, ce que personne ne voit ou n’ose dire, c’est que « la déclaration universelle des droits de l’hommes » est une machine de guerre contre le religieux pour faire descendre le ciel sur la terre en se servant de prétextes tout à fait légitimes.

Lorsqu’on fait de la liberté humaine une affaire de droit et qu’on ne la pose plus d’une manière créatrice, on fait dépendre la liberté du droit et non pas de la liberté créatrice. Avec les « droits de l’homme », certes, la liberté humaine et les droits politiques et économiques des hommes sont défendus, mais la liberté ne dépend plus de la liberté créatrice mais de la capacité qu’ont les hommes de fixer le droit. Il y a une captation de la liberté et on n’a pas affaire à la liberté universelle mais à une capture des sources de la liberté qui sont transcendantes, et totalement spirituelles, elles dépassent le cadre du droit humain. Le véritable garant de la liberté, n’est pas le droit humain, c’est la liberté elle-même.

C’est le drame des « droits de l’homme » dans notre monde, car ceux-ci sont acceptés par les occidentaux mais sont incompris par d’autres civilisations qui ne mettent pas le droit et l’homme au centre de tout et qui ne comprennent pas que la liberté soit un effet du droit. Dans un monde spirituel traditionnel la liberté n’est pas garantie par le droit humain mais par la liberté elle-même. Cela explique les limites et l’échec des « droit de l’homme » dans le monde car ils ne sont pas enseignés dans la liberté créatrice. Il est dit que l’homme est né libre, il n’est pas dit que l’homme est relié à une liberté créatrice. Il est fort dommage que l’Europe n’ait pas situé, à la base de la liberté, la liberté spirituelle et créatrice et n’ai pas voulu assumer ses racines chrétiennes.

Il aurait fallu faire non pas une « déclaration universelle des droits de l’hommes », mais une « déclaration universelle de la spiritualité créatrice de l’homme » qui dépasse le droit. Aujourd’hui, l’Europe s’essouffle car elle s’est pensée uniquement sur le mode du droit politique et économique sans aucune liberté de l’esprit. Aujourd’hui plus aucun idéal anime l’Europe, on a l’impression que c’est une vaste zone commerciale avec des normes qui permettent des échanges économiques, il y a un peu de culture, mais une extrême pauvreté dans les débats idéologiques, moraux et culturels, et surtout, il n’y a aucune unité des peuples autour d’un souffle spirituel. Ceci est dramatique parce que si cela continue, l’Europe risque de se désagréger.

Lorsque l’universel tue l’universel.

Nous sommes en présence de nombreux conflits culturels et de légitimité dans le monde. Par exemple le grave problème de l’excision et de l’infibulation des femmes dans le sahel.  D’un côté, il y a la logique des « droits de l’homme » occidentale disant qu’on n’a pas le droit de mutiler des femmes, d’un autre côté des associations religieuses expliquent que ces pratiques sont des coutumes traditionnelles et qu’on n’a pas le droit d’imposer une culture étrangère à un peuple. Sur le plan du droit, ce conflit est insoluble parce qu’il met en présence des droits incompatibles, à savoir le droit fondamental pour les femmes de ne pas être mutilées et la spécificité culturelle d’un peuple. On peut évidemment considérer que le droit des femmes est plus important que la spécificité culturelle et bousculer celle-ci en la qualifiant de barbare et rétrograde.

En faisant cela, on permet effectivement aux femmes d’être plus respectées, mais on ouvre un précédent car si on commence à intervenir dans la spécificité culturelle des peuples au nom du respect des droits de l’homme, il n’y a pas de raison de s’arrêter car des spécificités culturelles aberrantes, il y en a partout. Et même si ce n’est pas le cas, on risque tout de même de les remettre en causes au nom du respect des droits de l’homme. On rentrerait alors dans la problématique dangereuse qui serait d’exercer une domination mondiale par les droits de l’homme et au fait que l’universel tue l’universel.

Pour que l’universel vive, il faut aller au-delà du droit, et retrouver cette liberté créatrice. Il nous faut une véritable culture spirituelle et retrouver le religieux que la révolution française a chassé. La laïcité a pensé qu’elle pouvait fabriquer de l’universalité, mais elle s’est trompée parce qu’elle est incapable d’un geste créateur et elle se développe uniquement sur un mode négatif. Ce que nous appelons laïcité est la neutralité religieuse et idéologique, ors celle-ci est impossible car personne n’est neutre, et rien n’est moins neutre que de vouloir imposer le neutre.

La république, une religion

L’Etat français ne peut pas se passer de religion, la république elle-même est une religion, il y a des cultes républicains. La république n’est pas neutre et elle maintien des cultes civiques comme la mémoire collective et le sentiment national qui permettent à la communauté d’exister à travers un idéal et une certaine transcendance de la France. On ne peut pas bâtir une communauté sociale sans une religion, des rites et une transcendance. Si cela n’existait pas, la république disparaîtrait. Nous vivons donc dans un véritable mythe de la laïcité, par ailleurs, celle-ci détruit ce qui fait la spécificité de l’esprit humain qui est de développer des idéaux et de s’y engager et non pas de se tenir sur la réserve.

Ce ne sont pas des gens neutres qui ont bâti la France, ce ne sont pas non plus des fanatiques, mais des êtres ayant des convictions et capables de les faire valoir loyalement et respectueusement. Ce ne sont pas des tièdes qui bâtissent le monde mais des personnes qui ont un grand sens de l’engagement.

L’humilité spirituelle

L’universalité doit exister car c’est le moyen d’éviter la guerre, la haine des peuples et l’autodestruction de l’humanité. Mais encore faut-il s’en donner les moyens, et ces moyens sont essentiellement spirituels. On n’arrivera pas à l’universalité si on ne retrouve pas ses fondements spirituels transcendants et mystiques.

Ce qui permet d’arriver à une véritable laïcité et au respect entre les peuples c’est l’humilité spirituelle devant ce qui nous dépasse et c’est un certain sens de l’ignorance lié à un sens de l’émerveillement. Aujourd’hui, la tolérance est vécue sur le mode de la chasse à l’intolérance, ce qui fait que l’on se trouve dans un dispositif de guerre en pensant arriver à la tolérance par le fait de culpabiliser, de punir, de dénoncer, de chasser et de traquer tous les propos intolérants. Nous sommes comme « l’élite de la vertu » au 19ème siècle, ces femmes qui pensaient pouvoir faire cesser la prostitution en donnant des coups de parapluies aux prostituées.

Aujourd’hui, « l’élite de la vertu » poursuit ceux qui tiennent des propos intolérants et leur font la chasse sur les réseaux sociaux pour les traduire en justice, les punir et ainsi les faire taire. Si on continue ainsi on finira par faire haïr la tolérance et provoquer une intolérance « vengeresse ».

Le respect mutuel des hommes les uns pour les autres est un extraordinaire mystère spirituel. Ce qui fait que je vais avoir du respect pour les autres, c’est la conscience profonde de ma petitesse et de mon ignorance, c’est la découverte de l’humilité qui fait taire l’arrogance. Qui sait si celui qui vient d’un autre horizon ne possède pas des secrets que j’ignore ? Nous rentrons alors dans une expérience de connaissance valable partout et c’est à partir de là qu’il faudrait penser le problème des étrangers en France. Il faudrait que les français et les étrangers aient de l’humilité les uns envers les autres et que tout le monde ressente cette expérience de petitesse. Si nous n’avons pas cette humilité, cela conduira à des replis communautaires, à des guerres entre communautés et à la montée d’une méfiance réciproque.

Ce travail spirituel n’est pas fait et nous sommes dans l’utopie en pensant pouvoir bâtir une humanité unifiée simplement en faisant la chasse à l’intolérance.

Le Starets Silouane

L’expérience de l’universel humain est le plus haut état mystique dans lequel on peut vivre et il est donné par le sens de la prière. Le Starets Silouane explique que si on prie vraiment, on est capable d’emmener l’univers entier dans sa prière et de faire l’expérience extraordinaire de l’unité du genre humain. C’est faire l’expérience qu’il n’y a pas de différence entre toi et moi. Il faut bien comprendre que ce n’est pas la confusion entre toi et moi, c’est la prise de conscience que l’humanité est UNE. A notre niveau, nous voyons que l’humanité est diverse et que dans cette humanité, il y a des gens que nous aimons, et d’autres que nous n’aimons pas. Nous avons une vision divisée de l’humanité parce que nous ne sommes pas dans la prière et que notre reflexe est de nous protéger car nous nous sentons menacés.

Tout ce qui s’est fait de créateur dans le monde, ne s’est pas fait par des gens se repliant dans leur identité mais par des gens ayant un véritable sens de l’unité du genre humain et de la personne. Lorsqu’un artiste crée de la musique, il ne le fait pas pour telle ou telle partie de l’humanité, mais il offre sa musique à la liberté du genre humain et à ceux qui voudrons bien l’écouter. Il en est de même pour l’écriture, la peinture et tous les arts. L’unité est cette capacité à dire que les choses créatrices sont faites pour tout le monde et offertes à tout le monde.

Ce qui est vrai sur le plan de l’art l’est également sur le plan spirituel et donne un sens au Corps du Christ. Saint Paul dit que tout est UN et que nous faisons tous partie du Corps du Christ. Le Corps du Christ, c’est la même chose que l’Eglise et il faut comprendre cela en faisant une analogie avec l’art. L’art s’offre à tout le monde et il en est de même pour le spirituel. Le fait que l’homme et que toute vie soient reliés à une source ineffable, n’est pas réservé à telle ou telle partie de l’humanité mais cela est offert à tous. La prière permet d’arriver à cela car c’est l’expérience de la réalité, rappelons-nous Socrate et Epictète qui priaient pour être toujours sages et rester dans l’attention pure. Lorsqu’on est dans l’expérience de la prière, on est dans la vie pure qui passe partout qui est libre à l’égard de tout et qui est au-delà de toutes les haines et conflits du monde.

Aujourd’hui les médias diffusent essentiellement des nouvelles concernant des conflits, des divisions et des affrontements. On pense que c’est en donnant des droits et en ayant des prisons que l’on va pouvoir résoudre ces problèmes et on oublie de donner aux gens le sens de la liberté créatrice qui se trouve partout. En faisant l’expérience de la prière au Mont Athos, saint-Silouane découvre que celle-ci l’amène à emporter l’univers entier dans cette prière. Quand on rentre dans la prière, on rentre dans la réalité pure qui n’a pas de frontière. Cette vérité se retrouve chez Grégoire de Nysse qui dit que la liberté divine n’a pas de limite et passe partout.

Il y a urgence

Si nous devenons une communauté spirituelle priant avec ardeur, nous pourrons bâtir une véritable écologie dans le monde qui sauvera la nature, et en même temps une véritable économie et une véritable politique qui permettront de préserver l’humanité.

Notre culture a fait la gigantesque erreur de chasser totalement le religieux ou de n’avoir qu’une religion sociale et extérieure coupée de ses racines mystiques et spirituelles. Il y a véritablement urgence car on ne voit pas ce grand mouvement de conscience qui permettra de libérer les forces spirituelles par la prière. Bien sûr, il y a des chrétiens qui se réunissent et qui prient pour la planète, mais cela ne suffit pas car il importe d’avoir la connaissance qui va avec.

Nous devons comprendre que la prière est un mode d’action inimaginable pour notre expérience humaine. Le Christ dit que pour guérir certains malades, il faut passer par la prière et le jeûne, c’est l’expérience de la réalité pure qui permet de recadrer les êtres. Nous avons tous perdu le sens de la réalité parce que la culture dans laquelle nous sommes est une culture du « je » et du pouvoir sur tout, mais pas de la réalité et de son incarnation.

Le Starets Silouane nous invite à cet extraordinaire travail spirituel en décrivant la prière qui permet d’embrasser le monde entier et de faire vivre l’universalité : « L’amour du Christ en tant que force divine, comme don du Saint-Esprit, de l’unique esprit qui agit en tous, établit ontologiquement les liens de l’unité. L’amour s’assimile la vie de l’être aimé. Celui qui aime Dieu est inclus dans la vie de la divinité, celui qui aime sont frère, inclut dans son existence personnelle hypostatique, la vie de son frère, celui qui aime le monde entier embrasse par son esprit l’univers tout entier. » Il y a là un programme extraordinaire.

Nous pouvons faire une expérience d’universalité si nous vivons vraiment spirituellement, c’est-à-dire si nous vivons en Christ, dans l’unité avec le Christ et dans l’unité avec le frère, ce qui nous ouvre sur la vie de l’univers entier.