20 – La vie qui terrasse tout

retrouvez ICI un extrait de la conférence

 

Après avoir vu par delà le bien et le mal, par delà la souffrance utile et inutile nous allons voir par delà la vie et la mort.

L’expérience de la vie pure

Spinoza a l’inspiration de la vie pure et elle correspond à ce qu’il appelle l’éternité. Il est courant de faire de Spinoza un matérialiste athée mais je pense que la bonne lecture de Spinoza a été faite par Novalis à la fin de « L’encyclopédie » où il voit dans Spinoza un des plus grands mystiques de la philosophie.

Il y a des moments dans l’existence où nous pouvons faire l’expérience de la vie pure, faire cette expérience, c’est se situer hors du temps, hors espace, dans un autre monde. Cette expérience se produit quand la vie et le temps s’arrêtent, quand l’existence est suspendue, on pourrait l’appeler « la parenthèse sublime ». Karlfried Graf Durckheim parle des nuits étoilées et explique que tout être humain a dans sa vie des nuits étoilées.

Nous avons tous eu ce genre d’expérience, quand j’écoute Mozart, je rentre dans l’éternité, Mozart n’est plus une musique, c’est LA musique et ce passage d’une musique à LA musique défini l’entrée dans la vie pure et dans l’éternité. Un ami compositeur me disait : « Mozart a révélé une musique écrite de toute éternité ». Quand on écoute une telle musique, tout s’arrête, on passe sur un autre plan d’existence, il n’y a plus ni passé, ni avenir, il n’y a même plus de présent, il y a autre chose.

Et s’il y a expérience du présent, il faut prendre ce terme au sens métaphorique de cadeau, de don, de grâce, de quelque chose qui vient d’ailleurs. C’est très bien représenté dans le film « Amadeus » où on voit le concurrent de Mozart qui dit en écoutant Mozart : « C’est une musique divine ».

On passe sur un plan ontologique de l’existence, on est dans le hors temps parce que ce qui est sublime, profond, grand et magnifique échappe au temps. Ce qui est intelligent l’a toujours été, l’est et le sera toujours, de même que ce qui est beau et profond. Ne pensons pas que l’on ne peut pas faire l’expérience de l’éternité, quand on s’ouvre à la dimension ontologique de l’existence et qu’on voit apparaître la perfection, on s’ouvre à quelque chose de l’ordre de l’intelligence, de l’infini, de la grandeur et de la profondeur, on pénètre dans l’existence éternelle.

On est devant quelque chose d’extraordinairement qualitatif, l’éternité n’est pas un fantasme, une compensation ou une projection humaine, l’éternité fait partie de la réalité, mais de la réalité spirituelle de l’existence. Tout ce qui est spirituel est éternel, si nous appelons « spirituel » la résonance sur le plan ontologique et transcendant qui transparait à travers la beauté, la profondeur, la grandeur, le sublime, l’infini et la perfection.

L’expérience de la pensée

Les pensées profondes qui bouleversent notre  vie sont des pensées qui nous situent dans l’éternité. Ces pensées nous les promenons avec nous dans l’existence, elles nous habitent, elles ne nous quittent pas, il y a des paroles qui vivent avec nous nuit et jour, qui sont à l’intérieur de notre cœur, qui nous bouleversent, qui nous transcendent et qui nous inspirent.  Expérience de la musique, expérience de la pensée, expérience de la Parole qui nous révèle à nous-mêmes.

Lorsque nous avons l’expérience de l’ouverture du cœur au niveau spirituel, nous avons quelque chose d’éternel. L’invitation à la vie spirituelle, c’est l’ouverture de notre être à la présence divine ineffable qui rentre à l’intérieur de notre vie et nous structure, nous centre, nous rectifie, nous redresse, nous donne une colonne vertébrale. Dans ces moments, l’expérience de l’éternité est palpable.

Souvent, la quotidienneté est confuse, marécageuse, bourbeuse, nous sommes pleins d’affects, brouillés, nous ne sommes pas dans un état de justesse. Avec l’expérience spirituelle, nous sortons d’un espace où tout est brouillé pour rentrer dans quelque chose qui est clair, pur et lumineux et cela nous redresse intérieurement, nous savourons quelque chose de juste qui est hors du temps. Dans ces moments là nous pouvons avoir une petite idée de ce que veut dire « sortir de l’état de péché ». L’état de péché veut dire ne pas être dans l’axe, c’est ce qui se passe lorsque dans notre monde nous avons la vue brouillée et polluée par le trop d’affects et de passions qu’il y a dans l’existence et nous ne parvenons plus à sortir de cet état de confusion.

Au-delà de la morale

Cet état qualitatif où on voit apparaître la vie pure qui est une grâce et qui intervient dans notre vie, donne le sens de la véritable morale par delà le bien et le mal. Dans cet état, cela n’a pas de sens de dire que c’est bien parce que c’est  mieux que bien, c’est bouleversant, c’est étincelant, c’est fulgurant, ce n’est pas bien par opposition au mal, c’est quelque chose d‘autre, c’est par delà le bien et le mal. Cela ne veut pas dire n’avoir aucun discernement à propos de ce qui convient et de ce qui ne convient pas, mais cela nous situe au-delà.

Il est faux de considérer que la morale est quelque chose d’extérieur que l’on applique comme une règle. L’exigence morale nous introduit dans le sérieux fondamental de l’existence où je n’applique plus la morale comme j’applique une règle mais il y a une osmose entre moi et la morale. Il en va de la morale comme de la musique, Mozart n’a pas fait de la musique, il a été la musique, Baudelaire a été la poésie, Vermeer a été la peinture. Tout ce qui s’est fait de beau de grand et de sublime, s’est fait à partir de cet état d’osmose qu’on peut appeler un état de communion.

C’est là qu’il faut aller au-delà de la morale et qu’on peut comprendre la parole du Christ à l’égard des pharisiens et de la loi. Le Christ n’a pas enseigné une morale, il a été La morale même et il a reproché aux pharisiens de faire de la morale au lieu d’être la morale et de la vivre. Quand aujourd’hui on veut se débarrasser de la vie morale, on dit que c’est un ensemble de règles qui permettent de vivre en société et qui sont de type conservateur.

C’est le discours de ceux qui veulent se débarrasser de la morale pour apporter leurs propres règles. Quand on a un véritable sens de la morale, on n’est plus dans la morale, on est dans la vie, c’est la vie même qui nous inspire et nous guide de l’intérieur, on est dans le feu, l’amour et la communion. On comprend que la vie en Christ est une vie de feu, dans l’amour, le don total et la communion avec la vie ineffable qui nous vient de Dieu.

Nous comprenons ce que voulait dire Berdiaev lorsqu’il parlait de la morale authentique et qu’il mettait en relation la vie divine avec d’une part l’homme et d’autre part l’authentique morale. Pour Berdiaev et comme le disait Pascal, la véritable morale se moque de la morale, parce que la véritable morale n’est pas de l’ordre de la règle extérieure, elle est un état intérieur constant. Il faut une extrême liberté, une extrême originalité et une extrême spiritualité pour cela.

Tous les problèmes que nous nous posons sont liés à l’extérieur, nous voulons maitriser les choses de l’extérieur, sans les vivre de l’intérieur et cela donne des architectures compliquées pour essayer de vivre sans intériorité, sans feu, sans amour, sans inspiration, sans communion avec l’existence.

En ce sens il y a une extraordinaire liberté de la véritable morale et c’est ce que Berdiaev sent dans l’homme véritable. Dans le religieux véritable, l’homme n’est que liberté. Dieu, l’homme, la vie, c’est tout un.

La force du OUI

C’est comme dans l’expérience de la souffrance où on sort de l’opposition entre souffrance utile et souffrance inutile qui nous place à l’extérieur de la souffrance et qui ne fait que générer plus de souffrance. La véritable souffrance est liée à l’expérience de la patience, de l’attente, à l’expérience de supporter et de la force véritable. L’expérience de la souffrance, c’est une force inconnue qui vient à nous, non pas sous la forme de la violence mais sous la forme de la profondeur invisible qui est capable de dire OUI à l’existence. La plus grande force qui existe au monde, c’est la force du Oui dans laquelle il n’y a plus d’esclavage, plus de douleur, mais il y a autre chose.

L’expérience de la profondeur nous permet de découvrir les forces fondamentales, quand on est dans la vie pure, elle passe partout, elle est au delà de la souffrance utile ou inutile. Toutes les grandes choses portent en elles une difficulté, une épreuve et une joie. C’est un peu comme dans l’expérience de l’art ou de l’accouchement, c’est à la foi extrêmement difficile et extrêmement beau, c’est les deux ensembles. Lorsqu’on crée quelque chose, c’est forcément éprouvant, mais en même temps, c’est beau. Parce que c’est les deux ensembles, c’est profondément  juste, équilibré et cela ne fait pas de nous des êtres brisés mais des êtres construits et même des êtres ressuscités.

La résurrection

Il nous faut méditer sur la résurrection. Que veut dire la résurrection, et en quoi inspire-t-elle l’éthique fondamentale ? On n’a pas l’habitude de penser la vie morale de  l’homme en termes de résurrection, on y pense parfois sur le mode de la vie, parfois sur le mode de la mort, parfois sur le mode de la vie et la mort, mais rarement sur le mode de la résurrection parce que cela nous semble impossible.

La résurrection est souvent considérée comme un prodige, un tour de magie, et forcément, le monde n’y croit pas et explique que lorsqu’on a du bon sens, on ne peut pas accepter l’idée de la résurrection. La seule chose de certaine dans l’existence, c’est la mort. Croire en la résurrection, c’est dire que quelqu’un peut revenir du royaume des morts.

Aussi paradoxal et étonnant que cela puisse paraître, nous pouvons faire l’expérience de la résurrection, nous pouvons revenir du royaume des morts, nous sommes appelés à revenir du royaume des morts.

André Breton dans son « Manifeste du surréalisme » dit cette phrase étonnante : « Je recherche un point dans l’existence où il soit possible de voir le haut et le bas, le bien et le mal, la vie et la mort, d’un même regard. ».

Il a par ailleurs, une phrase très choquante qui explique que l’acte surréaliste par excellence, consiste à descendre dans la foule et à décharger son arme sur la foule. Si on s’arrête à cette phrase, on est forcément choqué, scandalisé, révolté et on voit dans André Breton un apprenti terroriste, mais si on a la patience de lire la phrase suivante : « Qui n’a pas eu, au moins une fois, envie d’en finir de la sorte avec le petit système d’avilissement et de crétinisation en vigueur.. », on comprend qu’il s’agit là d’une image qui renvoie à la vie pure. Pour Breton la vie est tellement extraordinaire, tellement belle, que si on n’a pas, parfois des accès de colère face à la médiocrité dans laquelle nous vivons, c’est que quelque part, on n’a rien compris à l’existence. Breton avait un sens très poétique de l’existence et comme tout poète et tout mystique, il souffrait beaucoup de voir la banalité et la médiocrité avec lesquelles elle était traitée et c’est la raison pour laquelle il a ce cri de révolte.

Ce cri est une quête de vie pure, et cette vie pure c’est celle qui est capable justement de dépasser l’opposition entre le haut et le bas, le bien et le mal, la vie et la mort. Breton est en quête d’une vie de feu, d’une vie d’amour, d’une vie de communion et d’une vie en Christ dans la lumière infinie. Il y a là une bonne introduction à ce que peut signifier la notion de résurrection.

Renaissance ou résurrection ?

Si on prend la notion de résurrection de l’extérieur, cela fait penser à certaines rivières qui apparaissent, disparaissent et réapparaissent, on a le sentiment que la résurrection c’est la réapparition de quelqu’un qui est apparu, qui a disparu et qui apparait de nouveau. Si on considère les choses de l’extérieur, on commet l’erreur qui consiste à penser la résurrection comme une renaissance.

Il y a un phénomène historique important, c’est la réapparition dans le monde occidental des humanités grecques et latines, c’est la tentation de rependre l’idéal de l’homme grec et romain et donc de s’intéresser à la vie de la citée, au développement de l’économie, de la politique, des arts et de la culture, c’est la réapparition d’une vie laïque ou religieuse après le christianisme. Il y avait le génie grec avec la civilisation et la culture, le génie romain avec le droit, la conquête, l’empire, le développement économique, politique et culturel ainsi que le développement du monde.

Le christianisme nous a amené à penser la vie éternelle et non pas la vie de ce monde et la renaissance fait un retour à la civilisation et à l’empire des anciens. La renaissance, c’est la répétition de quelque chose qui avait disparu et qui réapparait  sous une autre forme. La résurrection, n’est pas une répétition, c’est autre chose. On pourrait en avoir une petite idée lorsqu’on voit des personnes affaiblies par l’épreuve, la maladie ou les difficultés, des personnes qui n’étaient plus dans la vie et qui tout d’un coup on un regain de forces physiques, de volonté, et elles reviennent dans la vie. Mais la résurrection ce n’est pas encore cela, ce n’est pas le retour à une vie passée, c’est quelque chose qui nous emmène au-delà de la vie et de la mort.

L’individu, le sexe et la mort

La résurrection, c’est l’ouverture sur une nouveauté d’un autre type, c’est une nouveauté plus nouvelle que toutes les nouveautés. Lorsque les biologistes considèrent la vie humaine, ils voient derrière elle quelque chose qui touche à la profondeur et que Yung appelle le principe d’individuation.  A propos de la mort, ils expliquent que l’individu, le sexe et la mort sont apparus ensembles dans l’évolution de la vie. La vie aurait pu se développer par scissiparité, en divisant et multipliant les cellules, il aurait pu y avoir une auto duplication de la vie qui se serait développée par division interne. Ce qui apparaît dans cette vision, c’est la relative pauvreté de ce mode de reproduction et on peut dire que la duplication et la prolifération du même, c’est peut-être quantitativement riche mais c’est qualitativement pauvre.

Lorsque la vie passe par l’individu, le sexe et la mort, il y a une rupture à l’intérieur du vivant. Cela veut dire que la vie se retient de se propager par scissiparité et que, pour se reproduire, elle va avoir besoin d’un autre, il y a l’apparition de la sexualité, de l’individu et de la mort, cela va ensemble. Je ne peux pas me reproduire tout seul, je suis limité et j’ai besoin d’un autre et cet autre, c’est l’autre sexué mais c’est aussi les autres dans le temps car la reproduction, cela se fait avec tous les autres qui font que je ne suis pas le seul à me reproduire.

La transmission

Beaucoup de personnes ne comprennent pas que la mort est liée à la transmission, elles pensent que la mort c’est la fin de la vie et elles n’ont pas idée qu’en mourant nous permettons à d’autres forces de venir pour renouveler la vie. Par la même, la mort devient une œuvre.

En général, on a une vision très narcissique de la mort, c’est-à-dire que quand on meurt, la vie s’arrête et tout s’arrête. Ce n’est pas une idée réaliste, car il suffit de regarder la réalité pour constater que quand on meurt, ce n’est pas fini, la vie continue et il y a ce paradoxe qui fait que parfois, il y a des personnes qui sont beaucoup plus vivantes après leur mort que durant leur vie comme certains artistes par exemple.

La reproduction de l’humanité se fait par une retenue de la vie qui passe par un autre et les autres, elle passe par un individu sexué qui est inscrit dans la transmission parce que la mort se fait avec les autres. Ceci est un certain mode de renouvellement de l’existence, c’est le renouvellement de notre condition charnelle dans la condition de ce monde matériel.

« Par la mort, Il a vaincu la mort »

La résurrection nous emmène dans un autre type de nouveauté dans laquelle le but est de nous faire comprendre qu’il y a un mode de renouvellement qui ne passe pas par l’individu, qui ne passe pas par la sexualité et qui ne passe pas par la transmission telle que nous la connaissons. Il y a une manière de fabriquer de la vie qui est plus nouvelle que nouvelle et qui va au-delà de l’individu, au-delà de la sexuation et au-delà de la mort. C’est là que le chant qui est chanté à Pâques prend tout son sens car il est dit que le Christ par la mort a vaincu la mort. On relie souvent cette phrase à la souffrance et à la crucifixion, mais ce n’est pas cela. Ce qui permet de comprendre la résurrection, c’est ce que disent Saint Paul et Saint Jean et cela permet de ne pas la vivre comme un prodige magique.

Saint Paul prend l’image de la graine qui donne l’arbre, il dit que la résurrection c’est ce qui se passe quand une graine plantée en terre donne un arbre. On ne voit pas tout le processus de croissance et de transformation qui se fait entre la graine et l’arbre, et pourtant on voit apparaître l’arbre. Saint Paul ouvre ainsi une autre vision, il ne pense pas la résurrection comme une renaissance ou la récupération d’une force, il pense la résurrection comme la croissance invisible d’une graine qui fait apparaître un arbre.

Ce n’est pas pour rien qu’il est question d’un arbre, car il y a une référence à l’arbre de vie qui est au centre du jardin d’Eden. Saint Paul nous dit qu’on a du mal à comprendre la résurrection parce que quand on ne voit pas la réalité, elle n’existe pas. On ne voit pas que dans l’invisible, il se passe un processus de transformation et de croissance qui transforme une graine en arbre, lorsqu’on se rend compte de cela, la résurrection cesse d’être un prodige pour devenir un grand mystère spirituel.

Mourir au monde visible

L’expérience de la résurrection, c’est quand nous rentrons dans l’invisible et que nous acceptons l’idée de la transformation et de la croissance. Ne pensons pas que parce qu’il y a la mort, il n’y a plus de vie, derrière la mort il y a la vie et derrière l’invisible il y a la transformation. La réalité profonde, c’est celle de la croissance, c’est l’accomplissement, la fructification, la démultiplication, c’est l’essence invisible de la vie. Quand on rentre dans la vie pure et dans la vie spirituelle, on rentre dans quelque chose qui se démultiplie à l’infini, on rentre dans une infinité de résonances et on ne sait pas où elle va. Tout ce qui est hyperpuissant se démultiplie et on ne sait absolument pas où ça va. Cela fait penser à ce que le Christ dit à Nicodème : « Tout homme qui n’est pas né de nouveau ne pourra pas rentrer dans le royaume des cieux. Dieu est Esprit, Il est comme le vent, nul ne sait d’où Il vient et nul ne sait ou Il va. »

La vérité c’est que toute l’existence est sous tendue par le verbe, par la vie divine ineffable d’une énergie surpuissante qui va au-delà de tout. C’est en disparaissant qu’elle peut produire au centuple et donner tout son fruit. Si vous faites l’expérience d’une sensation profonde,  vous allez disparaitre du monde pour rentrer dans cette sensation et y découvrir la présence de Dieu, vous allez découvrir un torrent intérieur d’une richesse inouïe qui va résonner en vous à l’infini. Vous n’allez plus voir la vie, vous allez l’entendre, vous allez être la vie même, vous n’allez plus voir le monde, vous allez rentrer dans le monde intérieur d’une richesse absolument extraordinaire.

Saint Paul dit que si vous voulez comprendre la résurrection, il faut fermer las yeux, il faut mourir au monde visible et là, vous allez comprendre, vous allez être dans un processus de croissance, vous allez faire grandir en vous l’arbre de vie et vous allez être dans la vie véritable.

Nous sommes tellement accrochés au monde que nous voyons tout avec les yeux et nous pensons que dès que nous ne voyons plus, il ne se passe rien parce que nous ne sommes pas dans la sensation profonde qui est l’individu profond, qui est en même temps l’éros profond et le mystère de la mort.

Le mystère de la mort c’est le mystère des mutations des transformations et des croissances. La croissance c’est que quand quelque  chose cesse d’être, c’est qu’il devient plus grand, quand nous cessons d’être, il ne se passe pas simplement une diminution, il y a aussi une expansion. C’est quelque chose que Bergson et Proust ont compris, nous pensons toujours que le temps c’est le temps de la mort et nous ignorons totalement le temps de la vie.

L’expérience de la résurrection, c’est ce qui se passe quand on ferme les yeux, c’est ce que nous dit le Christ dans l’Evangile de Jean. Les disciples et la foule sont dans le « voir », ils veulent voir le Christ et Il leur dit une parabole qui paraît totalement incongrue : « Si le grain de blé tombé en terre ne meurt, il demeure seul, mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit. »

Saint Paul parle de la même chose, Il parle de ce qui se passe dans la vie invisible, à ceux qui veulent le voir, le Christ dit de fermer les yeux, il leur dit d’arrêter de regarder et de rentrer dans leur œil intérieur. Il leur dit de mourir au visible, si on ne meurt pas au visible, on peut se croire seul, abandonné, on peut penser que la vie s’arrête avec la mort, on est prisonnier de notre égocentrisme et on pense que la mort, c’est la fin.

La mort n’est pas une fin au sens temporel, c’est un évènement métaphysique extraordinaire, c’est une mutation d’être, quand nous mourons, nous fermons les yeux, toutes les personnes que nous avons vu mortes, ferment les yeux, elles dorment. Dans l’iconographie orthodoxe, le Christ sur la croix est représenté comme celui qui dort. Il y a le visible et l’invisible, l’expérience de la mort, c’est de passer du visible à l’invisible, c’est le fait de fermer les yeux sur le monde qui existe à l’extérieur pour rentrer dans le monde intérieur. Cette expérience de la résurrection, vous l’avez déjà faite, et vous la faites à chaque fois que vous êtes dans les sensations profondes.

La vie et la mort ne s’opposent pas

Le Christ, Saint Paul et saint Jean nous donnent les clefs pour ouvrir la vie et la mort, tant que nous sommes dans notre égo narcissique parce que nous regardons les choses extérieures, et ne les vivons pas de l’intérieur, nous pensons qu’il y a vie, qu’il y a la mort et qu’elles s’opposent l’une à l’autre. Nous pensons que quand on meurt, il n’y a plus de vie et que tant qu’on vit la mort n’est pas là.

Mais lorsque nous fermons les eux et que nous nous ouvrons à l’invisible dans le monde intérieur, tout se démultiplie. Quand je fais l’expérience de fermer les yeux en écoutant Chopin, je sens résonner en moi les choses à l’infini et je suis dans un désir fou, un amour fou, je suis embrasé par le génie et en même temps je suis un peu comme Sainte Thérèse d’Avila, je meurs de ne pas mourir, je disparais dans mes sensations et j’aimerais disparaître encore plus.

Quand le Christ dit qu’il est venu pour mourir, c’est qu’il est venu pour fermer les yeux et rentrer dans le monde invisible, si tout ne rentre pas dans le monde invisible, l’Esprit ne pourra pas faire son œuvre, et là, nous sommes dans les grands mystères. C’est ce que nous ne voyons pas, c’est cette vie invisible extraordinaire qui est à l’intérieur de nous, qui est à l’intérieur de tout mais que nous ne voyons pas parce que nous ne vivons pas l’expérience de l’ouverture du cœur. C’est pourquoi, la sainte tradition hésychaste dit que la chose la plus importante, c’est que l’intelligence de l’homme aille dans son cœur.

Enchaînés au visible

L’intelligence, c’est le premier cerveau, le cerveau prédateur et reptilien dans lequel on veut que le monde soit à notre disposition  pour pouvoir le dominer, le rationnaliser et en tirer profit, on est incapables de voir les choses pour elles mêmes. Le deuxième cerveau est le cerveau intuitif, qui permet de voir les choses pour elles mêmes. Mais il y a un cerveau encore plus profond, c’est le cerveau englobant, la conscience ultra profonde qui fait que nous pouvons être conscients, et de nous même, et du monde.

Nous comprenons pourquoi le Golgotha est appelé le lieu du crâne, c’est là que le Christ nous fait rentrer dans cerveau fondamental de l’humanité qui n’est plus le cerveau créateur, qui n’est pas le cerveau intuitif, mais qui est le lieu de l’équilibre profond entre le ciel et la terre, ce qui fait que l’homme est un arbre de vie et qu’il est capable de tout démultiplier de l’intérieur.

A propos de la crucifixion et de la résurrection, la tradition occidentale est enfermée dans la souffrance du Christ, elle a tellement identifié la mort du Christ à la souffrance, aux clous, aux épines, que nous sommes enchaînés au visible. « L’idiot » de Dostoïevski a raison de dire que tant qu’on représentera la mort du Christ sous la forme d’un Christ ensanglanté  avec une couronne d’épine, l’humanité sera enchaînée et nous irons droit vers l’athéisme, le matérialisme, le nihilisme et tout ce qui enchaîne le monde.  Saint Paul nous dit que l’expérience véritable n’est pas ce que l’on croit. Oublions la croix comme supplice, le fouet, les clous, la couronne d’épines et devenons capables de percevoir les mystères de l’invisible.

La libération de l’intelligence

Tout ce qui est dit à propos de la résurrection nous place dans un autre espace qui est l’espace de l’invisible, de l’ouverture du cœur et de la libération de l’intelligence. Ce qui ressuscite, c’est notre intelligence, c’est notre cœur profond, c’est là que les choses se passent et c’est pour cela que les moines vivent et prient pour transfigurer l’intelligence. Le Christ est venu enseigner la Parole et la Vie infinies pour que l’intelligence des hommes change totalement.

Nous avons affaire aujourd’hui, à quelque chose de monstrueux qui envahi la planète et qui est l’inverse de cela, c’est l’intelligence artificielle qui est le contraire de l’intelligence transfigurée. Elle est là pour maintenir la vision égotique de l’homme et l’enchaîner au visible pour l’empêcher d’aller vers sa résurrection intérieure.

Thomas fait cette expérience de résurrection intérieure quand il peut toucher les plaies du Christ, il fait l’expérience du processus de croissance. Le Christ qui a été crucifié est le même que celui qui se trouve devant Thomas et qui resplendit de lumière et de vie. Le Gland et le chêne, c’est la même chose, le Christ crucifié  et le Christ ressuscité, c’est la même chose. Quand on comprend cela, on s’ouvre à l’espace invisible et on rentre dans le processus de croissance.

Nous comprenons ici ce qu’André Breton cherchait dans « Le manifeste du surréalisme », il cherchait son processus de croissance intérieure, quand on est dans la vie infinie,  il est possible d’embrasser l’existence d’un seul regard, et de voir la vie et la mort, le haut et le bas, le bien et le mal. C’est cette vie dont on peut faire l’expérience en fermant les yeux, n’oublions pas cette parole du Christ qui dit : «  Il faut que je disparaisse pour que l’Esprit puisse faire son œuvre. », il faut cesser de Le voir pour que notre œil intérieur s’ouvre. C’est une manière nouvelle de parler de la mort, Saint Paul et Saint Jean ressuscitent notre discours sur la mort, car celui-ci nous empêche de penser la mort.

Lorsque les iconographes représentent le Christ sur la croix en train de dormir, les yeux fermés, Ils disent dans un langage iconographique ce que l’on trouve chez  Saint Paul et Saint Jean  dans la Parole du Christ : « Si le grain ne meurt… ».