27 – L’art et la Culture

Retrouvez ICI un extrait de la conférence

Pour aborder la relation entre l’art et la culture, il est important de revenir sur la relation qu’il peut y avoir entre la nature et la culture parce que notre société est enfoncée dans l’opposition totalement artificielle  que l’on fait entre la nature et la culture. En ce qui concerne la nature et la culture, l’essentiel se trouve en dehors de ce doublet et c’est important pour notre monde car le débat nature/culture est un enjeu politique, moral et spirituel majeur.

L’opposition nature/culture

Si on défini les choses de l’extérieur, la nature et la culture s’opposent. La nature c’est ce qui n’a pas été cultivé par l’homme, la culture c’est ce que l’homme ajoute à la nature par son travail et son invention. Il y aurait, d’un côté la nature qu’on appelle  le sauvage, le non défriché, le non cultivé et  d’un autre côté la culture.

Pour Levi Strauss, la séparation entre nature et culture, repose sur l’interdit de l’inceste qui est ce par quoi l’humanité se sépare en humanité cultivée et humanité sauvage, L’humanité sauvage étant celle qui ne règle pas sa reproduction et qui, du coup, ne règle pas ses échanges sociaux et économiques.

La culture intervient à partir du moment où la reproduction est réglée, ce qui règle également les échanges sociaux et économiques. Cette opposition nature/culture est très forte chez les premiers anthropologues du 17ème siècle. Par exemple, chez Hobbes, la nature apparaît comme le lieu de la violence, de l’égoïsme, de la guerre de tous contre tous, alors que l’humanité apparaît véritablement avec la culture et la société. Pour tout une part de la pensée, l’homme est homme parce qu’il est un animal culturel et non pas un animal naturel. Alain Finkielkraut, dans « La sagesse de l’amour », dit que l’homme n’est pas fait pour revenir à la nature, mais pour s’en affranchir et aller vers la culture, l’homme n’est pas chez lui dans la nature.

Pour l’anthropologie du 17ème siècle, la nature c’est l’anti-humanité et la culture c’est l’humanité, mais on s’aperçoit qu’il existe la vision exactement inverse dans la culture et dans l’anthropologie. Pour Rousseau, au 18ème siècle, l’homme est chez lui dans la nature et l’état de nature se confond avec la vie intérieure et avec l’expérience esthétique émotionnelle qu’il décrit très bien dans « Les rêveries du promeneur solitaire » lorsque sur le lac du Bourget, il éprouve un sentiment de communion universelle, il est dans la véritable société, il fait société avec l’univers. Par opposition, ce qui perverti l’homme, c’est la culture, la société et la fait que l’homme vivant avec ses semblables, sorte de lui-même, se compare aux autres et cherche à représenter quelqu’un à leurs yeux.

La confusion entre l’art et la nature

Entre Hobbes et Rousseau, quelque chose de tout à fait singulier est apparu dans l’histoire de l’occident.

A la renaissance, on voit apparaître une confusion entre l’art et la nature, c’est tout à fait remarquable dans les peintures d’Arcimboldo où celui-ci recompose le visage humain à partir de fruits et de légumes, de livres ou d’instruments.

A priori, cela ne paraît rien, on peut penser que c’est une forme d’astuce et de coquetterie, mais en fait, cela va très loin. Si le visage humain peut être représenté par des fruits et des légumes, des livres ou des compas, cela veut dire qu’il n’y a plus de limite entre l’homme et la nature, la nature est dans l’homme, de même que  l’homme est dans la nature et donc, on peut aller au-delà de l’opposition entre la nature et la culture.

Aujourd’hui, on s’interroge sur le virtuel, le virtuel ne date pas d’aujourd’hui, il a été inventé à la renaissance, avec le maniérisme italien, le trompe l’œil, des compositions comme celles d’Arcimboldo qui font sauter la séparation qui existe entre nature et artifice, de sorte que la nature devient un grand artifice, de même que l’artifice devient totalement naturel.

On débouche sur le vertige de la culture, de l’art et de l’esthétisme. On comprend qu’à la fin du 19ème siècle, la culture et l’art vont devenir la religion du monde moderne. Au moment ou apparait le positivisme, et le rêve d’un pouvoir tout puissant de l’homme grâce à la science, apparaît également le rêve d’un pouvoir tout puissant grâce à la culture et à nature. Pendant longtemps, la culture s’est posée la question de savoir où se trouve le siège naturel de l‘homme. Se trouve-t-il dans la nature, dans la culture ou bien se trouve-t-il ailleurs, au-delà de la distinction nature/culture, dans une confusion entre la nature et l’art, qui fait que tout est possible et que, quelque part, la nature est ce que l’homme peut inventer et se donner à lui-même.

Une nouvelle religion

Flaubert, à parfaitement compris le problème de son époque, la nouvelle religion qui est train de naître et qui est celle de la culture.  Dans « Bouvard et Pécuchet » nous assistons à une mise en scène drolatique faite par Flaubert, du ridicule de la culture et en particulier du ridicule qui saisit une civilisation lorsque tout devient culture. Comme le dit Heidegger, lorsque tout devient culture, tout est intéressant et rien n’est fondamental.

Nous sommes aujourd’hui dévorés par une crise de l’art et de la culture dans la mesure où, depuis le 19ème siècle, notre époque est tentée par le « tout est art et tout est culture ». Alain Finkielkraut dans « La défaite de la pensée » dit qu’aujourd’hui on dégaine sa culture comme hier on dégainait son revolver. Tout serait culture, tout serait art, et il est intéressant de voir ce qui est derrière cela. Derrière tout cela, on bâtit à peu de frais, une démocratie, on reconnait une pseudo dignité à toutes les minorités, et tout en dissolvant l’art et la culture, on donne l’illusion à tout le monde qu’il est un artiste et un être de culture.

Dans « Après l’histoire », Philippe Muray se moque des travers de nos contemporains qui tentent de faire croire que des choses dépourvues de valeur, d’intérêt et de travail, sont des œuvres d’art, le tout sur un fond de slogan du genre « la ruée vers l’art », une sorte de détournement parodique de « la ruée vers l’or » de Charlie Chaplin.

Actuellement, il y a une grande confusion à propos des notions de nature, de culture et de leur relation, soit on les oppose au nom de la nature ou de la culture, soit on les confond. Dans tous les cas, on est dans une crise morale et spirituelle profonde parce qu’on a totalement perdu de vue le caractère spirituel de la nature et de la culture, et c’est sur quoi nous allons nous pencher, en revenant d’abord sur les notions de nature et de culture, puis sur la notion de soin qui est à la base de la culture, et sur la notion d’art qui est le soin à l’intérieur du soin, lequel débouche sur une expérience du corps en profondeur.

La nature

Aujourd’hui on ne comprend plus rien à ce qu’est la nature, on confond la nature avec l’environnement, et l’environnement avec les règnes de la nature que sont le minéral, le végétal et l’animal. Cette vision des choses est totalement égotique, quand nous pensons la nature en tant qu’environnement, nous la pensons comme un cercle, avec nous au centre, et la nature comme étant les environs de ce centre. Si nous pensons la nature ainsi, il est impossible de développer une écologie car nous oublions que la nature c’est nous, parce qu’elle est en nous et que nous sommes en elle, nous ne sommes pas extérieurs à la nature.

Nous sommes des êtres vivants, des êtres naturels, et dans notre corps, nous récapitulons l’évolution. Par ailleurs la nature n’est pas la faune et la flore. Le minéral, le végétal et l’animal sont des règnes de la nature, mais ce n’est pas la nature. La nature, c’est quelque chose que personne n’a jamais vu parce que c’est le principe agissant qui se trouve derrière les règnes de la nature et qui fait que ce qui est, est ce qu’il est.

Cela est fort bien expliqué par Aristote lorsqu’il parle de la cause première qui est présente en permanence dans tout ce qui existe que l’on peut appeler l’être, Dieu, la vie et qui est de l’ énergie. La nature est une énergie hyperpuissante d’origine divine qui se manifeste à travers la création, et il faut ajouter que la nature n’est pas un objet en face de nous, mais c’est une expérience métaphysique.

L’expérience métaphysique

Il y a trois catégories métaphysiques : l’être, l’essence et l’existence,  l’expérience métaphysique consiste à aller de l’existence à l’être à travers  l’essence.

L’existence, c’est la vie concrète autour de moi, cette vie concrète regorge d’énergie et de possibilités. Rentrer dans une expérience métaphysique, ce n’est pas se contenter d’être submergé par l’existence, mais c’est aller à l’essentiel.

C’est ce que pratique la pensée lorsqu’elle revient sur l’existence pour essayer de comprendre ce qui fait exister l’existence. Ce qui fait exister l’existence, c’est l’être, c’est-à-dire le miracle même de l’existence qui fait que quelque chose « est », et c’est la dimension phénoménale de l’existence. Rentrer dans l’expérience de la nature, c’est faire l’expérience d’un équilibre profond extraordinaire. Les grecs anciens, dans un monde païen, voyaient en cela une expérience divine.

Les anciens trouvaient Dieu dans le dépouillement et l’intériorité, à travers une expérience essentielle de l’existence qui les amenait à la contemplation de l’énergie fulgurante qui est dans la réalité. En vivant l’existence dans l’essentiel et en débouchant sur l’être, on se sent tellement exister qu’on n’a pas besoin d’autre chose, et on vit quelque chose de l’ordre du contentement. Là, nous faisons quelque chose qui nous fait comprendre ce qui est de l’ordre de la nature, quelque chose de sensible qui devient essentiel et qui débouche sur une hyper énergie fulgurante.

L’expérience profonde de la nature nous amène à Dieu, et les hommes ont toujours appris Dieu à travers la nature, à travers l’existence, l’essence et l’être.  Notre expérience de Dieu, c’est l’expérience quotidienne de notre vie intérieure qui nous dit « vis, existe, vas à l’essentiel et ouvres-toi à l’être ». Notre expérience de Dieu, c’est ce que la vie nous rappelle en permanence, quand nous n’existons pas, quand nous ne sommes pas dans l’essentiel, nous sommes invités à l’être, et parfois assez durement.

Pour qui sait écouter, Dieu parle en permanence dans le cœur, en permanence autour de nous et tout est une invitation à l’existence et à la plénitude, Le Christ est celui qui nous guide à travers l’existence intérieure.

Vivre dans la réalité et faire l’expérience de Dieu, c’est la même chose. La nature n’est donc pas un objet de l’ordre de la matérialité minérale, végétale ou animale, mais c’est une hyper énergie, une source créatrice fulgurante derrière les éléments à la fois sensibles et intellectuels de l’existence.

La culture

Hanna Arendt rappelle qu’il y a une relation entre la culture et l’agriculture, et que cette relation est à la base de la notion de religion. La culture est une activité qui consiste à cultiver les choses, et les cultiver cela veut dire les faires grandir, les faire croitre, il faut le faire religieusement, avec tout son soin, avec toute son attention intérieure. La culture n’est pas un domaine, c’est une activité, la culture n’existe pas, il n’y a que des hommes et des femmes cultivés qui existent, et ce sont ceux qui cultivent en permanence l’existence.

La culture, c’est la vie même, et c’est la vie la plus naturelle qui soit, ce qui fait qu’il n’y a pas à se demander ce qui sépare la nature et la culture, puisque c’est la même chose. La nature se cultive en permanence et la culture n’arrête pas de se naturaliser, c’est-à-dire de rendre les choses sensibles et essentielles et de développer l’énergie que l’on trouve dans l’existence.

L’opposition  entre la nature et la culture

La relation entre la nature et la culture, c’est l’expérience même de la vie, la nature se cultive et la culture est vivante. Le vrai problème entre nature et culture vient de ce qu’on ne vit pas, c’est l’anthropologie moderne qui introduit l’opposition entre la nature et la culture car elle ne relie plus l’existence humaine à la vie et à Dieu, et elle essaye de reconstituer une signification de l’existence  en dehors de Dieu.

Lorsque Hobbes explique que la nature de l’homme se trouve dans la société et pas dans la nature, il réécrit le livre de la genèse, et pour lui c’est l’homme qui invente l’homme à travers la société et ce n’est pas Dieu qui le créé.

Rousseau oppose la nature à la culture, et lui aussi réécrit la genèse en disant que l’homme invente l’homme à travers la sensibilité humaine.

Hobbes défend la raison, Rousseau défend la sensibilité, Hobbes oppose la raison à la sensibilité, Rousseau oppose la sensibilité à la raison, mais tous deux sont d’accord sur le fait que ce n’est pas Dieu qui créé l’homme, c’est l’homme qui invente l’homme et il l’invente soit en opposant la culture à la nature, soit en opposant la nature à la culture.

La transmission

Quand on rentre dans le sens profond de la matière, on s’aperçoit qu’il n’y a pas d’opposition entre la nature et la culture parce que la nature n’est jamais une chose, elle est toujours une expérience spirituelle et il en est de même pour la culture, les deux sont de l’ordre d’une expérience spirituelle intérieure et profonde.

Ceux qui pensent ainsi la relation entre la nature et la culture ne pensent pas que l’homme invente l’homme mais qu’il est créé pas Dieu, par le souffle créateur qui s’exprime dans la nature et dans la culture, dans ce que l’homme reçoit et dans ce qu’il redonne.

Dans la relation entre la nature et la culture, il y a la question de la transmission qui fait que l’homme reçoit et qu’il redonne. Il reçoit ce qui existe avant lui, ce qui vient des profondeurs de la vie et qui est de l’ordre de la nature, et il le cultive pour le redonner.

Hobbes et Rousseau ne pensent pas que l’homme reçoit et redonne. Pour Hobbes, la nature n’est pas un don, c’est une calamité, et pour Rousseau la culture n’est pas une chance, c’est aussi une calamité et ce qui permet de sortir de cette opposition, c’est de revenir au souffle spirituel.

Dans notre monde, il y a une profonde maladie dans l’art parce qu’on veut que l’homme soit « sans héritage », ce qui était le maitre mot de Philippe Meirieu, un des grands promoteurs de la nouvelle pédagogie. Cela veut dire qu’on ne pense plus l’élève dans la transmission, on le pense comme un individu tout seul qui s’approprie le monde pour lui-même. Il n’existe rien avant lui et il n’existe rien au-delà de lui, parce qu’à la base, ce qui existe, c’est l’individu tout seul.

Autrement dit, la relation entre nature et culture, c’est quelque chose qui renvoie en profondeur à la signification même du souffle spirituel. L’homme vient de loin et il est fait pour aller loin parce qu’il est créé par le souffle divin qui s’exprime dans ce qu’il reçoit inconsciemment à l’intérieur de son corps, qui grandit et le fait grandir pour pouvoir le projeter au-delà de lui, dans une vie qui n’est plus inconsciente, ni même consciente, mais sur consciente.

Le soin et le salut

Heidegger a approché la relation entre nature et culture en faisant de la catégorie du soin, la catégorie fondamentale de l’anthropologie, idée que l’on retrouve chez Hanna Arendt. Pour eux, l’homme n’est pas un être de nature, ni un être de culture, mais un être de soin.

On sait bien que dans la notion de soin, nous avons affaire à la relation qu’il y a entre la nature et la culture. Soigner, c’est réparer, conserver, c’est faire progresser pour dégager l’intime qualité de quelque chose. A travers le soin, on a affaire à tout le cycle de l’existence qui permet de comprendre la notion de salut. Vivre, c’est la même chose qu’être sauvé et sauver. Sauver cela veut dire réparer quelque chose qui est brisé, le conserver, et quand quelque chose a été réparé et conservé, c’est faire mieux que cela, c’est aller dans l’intime de la chose pour pouvoir la libérer.

Ce qui fait que la vie et sauvée, c’est qu’elle est réparée, conservée et libérée. Une vie sans salut, c’est une vie qui ne se répare pas, qui ne se conserve pas et qui ne se libère pas. La vraie question de l’homme, c’est celle du salut, et c’est d’abord celle de la lucidité, car il y a en chaque être humain, une cassure et  une brisure à réparer.

La question est de savoir où est ce qui doit être réparé et restauré dans l’être humain, où est ce qui doit être conservé et où est ce qui doit être libéré. Dans la vie chrétienne, le salut est au fondement de la vie, vivre c’est avoir conscience d’être sauvé. Il n’y a qu’un seul art de vivre et c’est le salut qui permet de réparer, de conserver et de libérer.

Cela permet de comprendre le lien qu’il y a entre les notions de nature et de culture. La nature et la culture ont été cassées, elles ne sont ni réparées, ni conservées, ni libérées parce qu’on les pense en dehors du salut. Il est frappant de voir que dans les moments historiques que nous vivons, où il y a des choses extrêmement graves qui se passent au niveau de l’homme, de la culture et de la nature, personne ne pense au salut.

Il n’y a personne pour expliquer ce qu’est la nature et pourquoi elle a été cassée, pourquoi elle n’est pas conservée et pourquoi elle n’est pas libérée, de même pour la culture et il manque un sens du soin qui va au-delà de la nature et de la culture.

Avant même qu’existent la nature et la culture, le soin existe, et c’est parce que le soin existe que la nature et la culture existent. La vision du soin nous fait aller dans l’ultra profondeur de l’humanité car une des choses les plus profondes que l’homme puisse faire, c’est de se soigner, de prendre soin de lui-même et il est très beau de dire à quelqu’un : « prends soin de toi, tu es précieux, conserve et libère ce caractère précieux ».

Cela donne un sens profond à la nature comme à la culture, un sens spirituel et religieux et tant que nous n’aurons pas retrouvé notre rapport religieux à l’existence, nous ne pourrons pas réparer la nature et la culture.

L’erreur que l’on fait c’est de vouloir faire de l’écologie sans cette vision religieuse et spirituelle et de vouloir faire de l’éducation sans aucune religiosité. L’absence de religiosité dans notre rapport à la nature et à la culture explique les énormes problèmes que nous avons, c’est-à-dire : une négligence terrible à leur égard  et des réponses qui n’en sont pas pour réparer les dégâts que nous avons-nous-même causés.

A partir de là, on peut comprendre la signification de l’art par rapport à la culture.

Si le propre de la culture, c’est le soin qui fait grandir et croître la nature, la caractéristique de l’art, c’est d’être le soin à l’intérieur du soin. Il y aurait beaucoup à dire sur l’art, mais Heidegger et Bergson ont dit deux choses essentielles.

L’art selon Heidegger

Pour Heidegger, l’art est l’expérience métaphysique la plus profonde que l’homme puisse faire et  Il  explique que l’art est un moment spécifiquement mystique, c’est ce qui se passe quand on vit pour rien et uniquement pour le fait de vivre.

Vivre pour vivre, c’est regarder pour regarder, écouter pour écouter, toucher pour toucher, c’est passer d’un monde technique, asservit à un égo qui veut profiter des choses sans leur permettre d’exister, à un monde où les choses et les êtres vivent pour eux-mêmes.

C’est l’expérience même de l’art et de la contemplation, et elle est donnée aux hommes pour qu’ils puissent comprendre des choses qui viennent de Dieu et qui les dépassent.

Dans notre monde, le religieux, le mystique, le divin et le transcendant, s’expriment par la religion, mais ils s’expriment aussi par l’art. En faisant l’expérience de l’art et de la beauté, on apprend à regarder les choses, à les sentir et à les faire vivre pour elles-mêmes.

Il y a là une mutation extrêmement  importante, l’art, c’est le contraire de la technique car dans la technique on utilise les choses et dans l’art, on arrête de les utiliser pour les regarder et les laisser exister par elles-mêmes. En laissant exister les choses et les êtres par eux-mêmes, on voit se déployer leur mystère, leur présence, et on commence à se rendre compte qu’il y a une autre dimension dans l’existence, qui n’est pas seulement la dimension utilitaire et dominatrice, mais qui est une expérience de liberté.

Nos contemporains ne comprennent rien à Dieu parce que notre mondé est dévoré par  une vision utilitaire qui ne permet pas aux choses et aux êtres d’exister. Dieu c’est l’existence même, qui existe pour exister et tant qu’on a un schéma utilitaire qui cherche à asservir les choses on ne peut pas comprendre Dieu.

Avec l’expérience de l’art où l’on écoute, on goute, on savoure une chose pour elle-même, on commence à se rendre compte qu’il y a une existence au-delà de l’intérêt égotique. Heidegger parle de l’expérience poétique qui est quelque chose qui nous fait vivre mais qui n’est pas de l’ordre de l’utilité quotidienne.

L’art selon Bergson

Bergson explique très profondément que l’art n’est pas simplement lié avec la vie, il est lié avec notre corps, il est inscrit à l’intérieur et il est libéré par notre corps. Bergson dit que nous sommes tellement dévorés par la société et l’utilité que nous ne savons plus voir les choses pour elles-mêmes car nos sens sont totalement paralysés, mais dans l’expérience artistique, en regardant les choses et les êtres pour eux-mêmes, nous voyons surgir les milles nuances de l’existence.

Nos yeux se mettent à peindre la réalité, nos oreilles à entendre la musique de la réalité, nos mains à sculpter la réalité et notre être entier s’ouvre à l’existence qui se révèle comme un opéra, la vie entière devient de l’art.

Le corps glorieux de l’homme

L’art n’est pas sur ajouté à la nature, c’est l’expression même de la nature, sans qu’il y ait pour autant une confusion entre les deux, faisant croire que l’art c’est tout ce qu’on veut. L’art est au contraire quelque chose d’extrêmement structuré de l’intérieur sous la forme d’une expérience mystique personnelle.

En laissant vivre l’existence pour elle-même et en vivant autre chose que la vie égotique, on commence à entendre des choses de l’ordre de la vie divine et, ce qui est bouleversant, c’est que notre corps lui-même se met à naître, nos sens s’éveillent et nous découvrons en nous-mêmes, un corps inouï, nous sommes dans une propédeutique du corps glorieux. Ce que fait apparaître le Christ dans la résurrection, c’est le corps glorieux de l’homme qui ne peut  pas mourir.

Il y a deux manières de voir le corps glorieux, la première, c’est celle des apôtres qui voient le ressuscité derrière le crucifié et la deuxième c’est celle de Thomas qui lui, a besoin de voir le crucifié derrière le ressuscité.

Ce qui se passe derrière tout cela, c’est la compréhension que le corps profond de la vie n’abolit rien et transfigure tout, ce corps se trouve partiellement à l’intérieur de chacun d’entre nous et le Christ est venu le libérer et le délivrer à travers la Pâque. C’est là l’expérience prodigieuse de la véritable culture et du véritable art, ce sont des révélateurs d’un corps que nous ne connaissons pas encore.